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« La campagne du XXIe siècle » se dessine dans la France rurale

Dans l'Orne ou le Maine-et-Loire, des villages se sont réunis pour mutualiser leurs moyens et réaliser des économies dans le cadre de la réforme territoriale.

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Publié le 27 janvier 2015 à 10h29, modifié le 28 janvier 2015 à 01h18

Temps de Lecture 6 min.

Dans l'Orne, les communes de Tinchebray, Frênes, et cinq autres de leurs voisines, ont fusionné le 1er janvier 2015.

Il était une fois dans l'ouest de l'Orne... Le 1er janvier, sans tambour ni trompette, une petite révolution a eu lieu : une municipalité est née. Bienvenue à Tinchebray-Bocage, une « commune nouvelle », mais pas vraiment une nouvelle commune puisque née de la fusion de sept villages mitoyens : Tinchebray, Saint-Cornier-des-Landes, Frênes, Beauchêne, Larchamp, Saint-Jean-des-Bois et Yvrandes.

Des mairies qui ont profité des incitations financières offertes actuellement par le gouvernement – un gel pendant trois ans de la baisse des dotations de l'Etat que subissent toutes les collectivités – pour se regrouper et mutualiser leurs moyens.

Un dispositif qui s'appuie sur un texte datant de décembre 2010, établissant la « commune nouvelle » pour favoriser l'association des villages, et dont les parlementaires discutent une nouvelle version à partir du mardi 27 janvier.

Avec ses cinq mille trois cents habitants, Tinchebray-Bocage est même devenue, du jour au lendemain, la sixième ville du département. Pour Jérôme Nury, maire (UMP) de cette commune nouvelle, le calcul a été vite fait : la nouvelle mairie devrait gagner 300 000 euros par an dans l'opération. Envisagée en septembre 2014, la commune nouvelle a été entérinée à la fin d'octobre, et officialisée, donc, le 1er janvier.

« Il y a trente-six mille communes en France. Tout le monde sait bien qu'à terme l'Etat dira qu'il faut rationaliser et imposera des fusions. Nous, on a préféré faire ce regroupement avec une carotte plutôt que se le voir imposé par l'Etat avec un bâton », résume-t-il. La philosophie du dispositif ? Rien de moins que dessiner  « la campagne du XXIe siècle, forte, rassemblée, dont la voix compte ».

AUTOPARTAGE ET FIBRE OPTIQUE

Rapidement, les sept maires ont élaboré une charte, que la loi n'impose pas mais qui permet de « graver dans le marbre » un principe fondamental : l'identité des anciennes communes est conservée. Les noms des villages d'origine, qui deviennent des communes déléguées, demeurent, tout comme les mairies où les habitants pourront toujours voter ou réaliser leurs démarches d'état civil.

Même les panneaux indiquant l'entrée des communes déléguées vont rester tels quels, et ne porteront la mention « Tinchebray-Bocage » que dans un avenir non défini. Seul Wikipédia ose pour l'heure qualifier chacune des sept municipalités fusionnées d'« ancienne commune française ».

Sa nouvelle enveloppe en poche, le maire entend « offrir de nouveaux services aux habitants », comme la fibre optique pour que chacun ait accès à Internet, le transport à la demande ou l'extension du système d'autopartage électrique mis en place à Tinchebray. A terme, la mairie va aussi faire des économies sur les indemnités des élus : si les conseillers municipaux élus en 2014 dans les sept communes restent tous en place, leur nombre sera réduit lors des élections de 2020.

Le regroupement n'a pas vraiment rencontré d'opposition, ni dans les équipes municipales, qui l'ont validé à 96 %, ni dans la population. Ce jeudi matin de janvier, dans l'épicerie de la Grande-Rue, la conversation roule un moment autour de la commune nouvelle, mais le flot des commentaires se tarit vite : ici, tout le monde est d'accord pour dire que le rapprochement des sept communes, c'est « très bien ».

Devant la mairie de Tinchebray, dans l'Orne.

« Dans certains villages, une fois qu'on a payé le maire et ses adjoints, il n'y a plus de budget ! lance un client. Si on peut tous s'entraider, c'est pas plus mal. » La responsable du magasin acquiesce et salue le fait que des réunions publiques aient été organisées dans chacun des villages, qui ont permis de calmer quelques inquiétudes.

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Il n'y a qu'à la boulangerie, à quelques pas de là, qu'on trouvera un circonspect. « Tout tombe », lâche ce septuagénaire, gapette vissée sur la tête, venu chercher son « pain de deux ». Lui n'aime pas trop cet air du temps qui veut que les petits se rassemblent pour devenir de plus grosses structures. Déjà que la Basse-Normandie va bientôt s'associer à la Haute-Normandie pour ne devenir qu'une région...

Trouver comment désigner la nouvelle entité a été « un peu compliqué », admet M. Nury. Pour être « géographiquement identifiables », les sept maires sont tombés d'accord sur le fait que le nom de la commune principale, Tinchebray (deux mille six cents habitants) devait être repris. Mais comment trouver un terme qui rassemble toutes les autres ? Les idées de « Tinchebray-les-Villages », « Tinchebray-les-Bourgs » et même de « Tinchebray-Agropole », avec un néologisme qui aurait pu désigner un « pôle de centralité en milieu rural » ont été émises avant qu'un maire ne suggère le mot « bocage », qui définit le paysage commun à tous.

« DANS LE DÉPARTEMENT, TOUT LE MONDE EN PARLE »

A une soixantaine de kilomètres de là, les maires de Vrigny, Marcei, Saint-Loyer-des-Champs et Saint-Christophe-le-Jajolet, qui se sont aussi rassemblés en commune nouvelle le 1er janvier ont fait un tout autre choix. « On ne voulait favoriser personne », raconte Michel Lerat, le maire de cette nouvelle municipalité de mille deux cents habitants. « On s'est dit que ce qui nous réunissait, c'est le paysage », et la commune prendra donc le nom de Boischampré. « On trouvait aussi ce nom poétique. Dans ce monde si brutal, on s'est dit que ce n'était pas idiot », sourit l'élu.

M. Lerat et ses collègues ont aussi profité des incitations financières pour sauter le pas et se rassembler entre « communes qui travaillaient de toute façon depuis des années ensemble ». « Dans l'Orne, il y a encore beaucoup de villages de moins de cinquante habitants. Ce n'est plus viable ! », explique-t-il, certain que Boischampré va faire des émules. « Dans le département, tout le monde en parle », assure ce maire, qui dit être sollicité par de nombreux collègues pour aller parler de son expérience et « prêcher la bonne parole ».

DES SERVICES PUBLICS « RENFORCÉS »

Car la commune nouvelle est un dispositif récent, pour lequel les élus disposent peu de recul : créé en décembre 2010, il a jusqu'ici été adopté par une dizaine de municipalités seulement. « A l'époque, on est passés pour des originaux », s'amuse Philippe Chalopin. Lui a lancé la réflexion sur le regroupement de sa mairie avec quatre de ses voisines dès 2011. La commune nouvelle de Baugé-en-Anjou, dans le Maine-et-Loire, est officiellement née le 1er janvier 2013.

Deux ans plus tard, le maire dit être passé d'« original » à « visionnaire ». « [En mutualisant les budgets et les projets,] on a renforcé l'existence et la compétence des services publics en milieu rural », constate-t-il. Mieux, selon lui, la commune nouvelle « a sauvé une partie du territoire ».

Parmi les réalisations permises par le regroupement des communes, M. Chalopin cite volontiers la maison de santé, dont la construction commence et qui va accueillir une quarantaine de professionnels :

« Ce projet n'aurait jamais pu voir le jour si nous avions été seuls : l'ancienne commune de Baugé n'avait plus de budget, et la communauté de communes n'avait ni les compétences ni les finances pour nous aider. Grâce à la commune nouvelle, on a pu démarrer ce chantier qui va coûter 3,7 millions d'euros, dont 50 % en autofinancement. »

La fusion des communes a aussi permis d'offrir le même tarif à tous les élèves fréquentant l'école de musique ou de garantir un service de soutien juridique, impossible à mettre en place dans des petits villages.

Interrogé sur les aspects négatifs de l'expérience, M. Chalopin finit par en voir un : les Pages jaunes ont mis du temps à intégrer le changement.

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