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La question peut sembler choquante: elle est pourtant posée le plus sérieusement du monde par des sociologues et des criminologues, sans compter des juristes dont c’est la tâche d’en faire une loi. Et à la lumière des événements de cette semaine à Ottawa, le Canada va être très confus s’il regarde du côté des États-Unis...

Deux cas d’espèce.

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Le premier tueur, en 2009, est musulman, d’une famille palestinienne. Le second, en 2011, ne l’est pas.

En 2012, le chercheur en droit Tung Yin, du Collège Lewis & Clark en Oregon, posait du coup la question d’une façon encore plus dérangeante : aux États-Unis, est-il possible d’être qualifié de terroriste si on n’est pas musulman ? Et la réponse était : pratiquement pas.

Deux exceptions: Timothy McVeigh et l’homme appelé «Unabomber». Le premier a fait exploser un édifice gouvernemental en Oklahoma, le second a envoyé des colis piégés à différentes personnes pendant des années. Tous les deux ont reçu l’étiquette de terroriste. Mais tous les deux, note Tung Yin, évoluaient aussi avant le 11 septembre 2001.

Il existe une définition à peu près acceptée du terrorisme: un acte criminel contre une population civile, motivé par une idéologie. Mais le tueur de l’Arizona prétendait avoir des motivations politiques, en s’attaquant à la politicienne Gabrielle Giffords, qu’il a gravement blessée à la tête. Et au Québec, Richard Bain, l’homme de l’attentat manqué contre la première ministre Pauline Marois, en septembre 2012, prétendait aussi agir pour des motivations politiques.

Par ailleurs, même l’auteur de la tuerie dans une clinique militaire du Texas, Nidal Hasan, a été finalement jugé pour meurtres, et non pour terrorisme. Il a été condamné à mort en 2013.

La différence réside-t-elle dans le fait que l’acte terroriste est planifié alors que la tuerie est le résultat d’un acte de folie? A priori, non, les Américains ayant une longue série de tueries de masse, entre autres dans des écoles, où les auteurs ont laissé des textes détaillés faisant état de leurs intentions.

Les États-Unis ont par contre ajouté au débat une distinction propre à eux-mêmes : les armes à feu. La doctorante en littérature Marissa Brotsoff ironisait à ce sujet dans le magazine Salon en 2013, après l’attentat du marathon de Boston: peu importe le nombre de personnes tuées par un tireur avec un fusil, celui-ci sera décrit comme «un psychopathe déconnecté de la réalité». En revanche, s’il y a une bombe —ou de l’anthrax, ou du poison ou quoi que ce soit d’autre qu’une arme à feu— même s’il ne s’agit que d’une tentative de meurtre, ça devient du terrorisme :

C’est comme si nous avions tranquillement déterminé que ce sont des formes cruelles et inhabituelles de violence qui, de ce fait, sont conçues pour terrifier des populations entières, au contraire des tueries de masse.

Si tel est le cas, les deux auteurs de l’attentat du marathon de Boston, en 2013, seraient des terroristes —une bombe— alors que le tueur d’Ottawa cette semaine, n’en serait pas —un fusil.

La question s’est posée jusqu’en Norvège : Anders Behring Breivik, qui a tué 77 personnes en 2011, a été finalement accusé d’avoir commis des actes terroristes. Mais c’est parce qu’après le fait, en 2012, la Norvège a changé la loi: jusque-là, il fallait que plus d’une personne soit impliquée pour que ce soit défini comme un acte terroriste.

La question déborde suffisamment du camp des sociologues et des criminologues pour que même le site de vulgarisation How Stuff Works se soit posé la question : quelle est la différence entre une tuerie de masse et du terrorisme? Au final, admettent les auteurs, la réponse est floue: «pour l’instant, il semble y avoir un accord international tacite (quoique non explicite) à l’effet que le terrorisme soit déclenché par une idéologie spécifique ou une motivation politique, alors que le meurtre de masse est un acte de violence sans discrimination contre une population innocente.» Mais il y a une grosse zone grise entre les deux.

Et comme l’écrit Tung Yin dans sa recherche de 2012, il serait fondamental pour les juristes d’éclaircir cette zone grise, parce qu’une des deux étiquettes —terroriste— a beaucoup plus de conséquences: elle signifie qu’une opinion publique accepte de réécrire les lois, peut-être même de sacrifier certaines de ses libertés, dans l’espoir d’éviter d’autres actes du genre. Tandis qu’à l’inverse, cette même opinion publique considère que les lois sont déjà bien adaptées pour lutter contre l’autre étiquette, celle du meurtrier. Que celui-ci soit atteint ou non de troubles mentaux.

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