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Les chocolatiers français à la conquête du monde

La boutique Jean-Paul Hévin, à Ginza à Tokyo. jp hevin

À l'occasion du Salon du chocolat, à Paris, enquête sur le succès international de nos artisans de la ganache.

Un King-Kong de 4 mètres en chocolat. Il fallait oser, Jean-Paul Hévin l'a fait. Dès le 29 octobre et jusqu'au 2 novembre, les visiteurs attendus en nombre au Salon du chocolat à Paris sauront où prendre une photo souvenir. À l'autre bout du monde, au Japon, les magazines féminins sont déjà hystériques. Là-bas, Jean-Paul Hévin est une rock star. Le Mick Jagger de la ganache. Ses fans savent qu'il descend au New Otani, le palace historique de Tokyo, et le guettent. «Les filles font les folles», admet ce patron de PME en rougissant. En janvier, un planning chargé l'y attend: dédicaces au Salon du chocolat de Tokyo, interviews et inauguration de sa dixième boutique. Sa récompense après ces quatre semaines délirantes? Une retraite dans un ryokan de Kyoto.

Pour Hévin qui y a installé deux premières boutiques en 2002, le Japon s'est présenté comme une évidence. C'est un pays à la gastronomie raffinée, à même d'apprécier une onctueuse ganache. Surtout, il y a vécu entre 1984 et 1985. Pas encore installé à son compte, il fut envoyé à Tokyo pour ouvrir la première antenne nippone du prestigieux pâtissier Peltier. «J'ai sillonné chaque île en dormant à fond de cale sur des tatamis, j'ai appris la langue et j'ai même animé une émission mensuelle sur NHK, le TF1 local», raconte-t-il.

Aujourd'hui, le Japon est de très loin le premier marché à l'export des chocolatiers français. La maison Hévin écoule pas moins de 60 % de ses chocolats en Asie dont 30 tonnes au pays du Soleil-Levant. D'Osaka à Kobe, Pierre Hermé compte quant à lui 12 points de vente et seulement 3 de plus dans l'Hexagone. À une échelle moins artisanale, le score de Fauchon s'élève à 27 franchises nippones contre un unique flagship en France. Sitôt ouverte une boutique à Paris pour le prestige, tous les jeunes chocolatiers foncent au Japon.

Là-bas, pas de Noël ni de Pâques mais une fête de «la Saint-Valentin, où se font 90 % des ventes, raconte Charles Znaty, l'associé de Pierre Hermé. Depuis vingt ans, une tradition dont l'origine est mystérieuse veut que les Japonaises offrent en février des chocolats à toutes les personnes de sexe masculin. Pas juste à l'être aimé mais aussi aux amis, collègues, supérieurs hiérarchiques». Tout se passe dans les grands magasins. Sur son iPhone, Znaty conserve une vidéo où des centaines de femmes surexcitées partent à l'assaut d'un grand magasin. Imaginez Noël aux Galeries Lafayette. En cent fois pire. Pour cette obligation sociale baptisée «giri choco», les enseignes chics comme Isetan et Daimaru rebaptisent un étage «chocolat promenade» et y installent, pendant trois semaines, des dizaines de marques. De La Maison du Chocolat à Lenôtre en passant par de petits artisans comme Sébastien Bouillet (Lyon), François Pralus (Roanne), Anne-France Benoît (Angers), Christophe Roussel (La Baule), Henri Le Roux (Quiberon)… le «made in France» est en majesté.

“ Au Japon, l'emballage compte autant que le produit. Il faut que ce soit “kawaï” (mignon) ”

Christophe Bertrand, directeur À la reine Astrid

Tous les chefs font le voyage. Le secret est dans la logistique. «C'est rock'n'roll, confie Hugues Pouget, le chef pâtissier de Hugo & Victor. Juste après Noël, on enchaîne avec 3 tonnes à produire pour la Saint-Valentin japonaise.» Expédiés en avion, les chocolats voyagent en soute, congelés ou refroidis à 0 degré. Un secret de polichinelle. «Seuls les chocolats industriels à l'enrobage épais avec des conservateurs, beaucoup de gras et de sucre peuvent l'éviter», explique Christophe Bertrand, à la tête d'À la reine Astrid, dont le best-seller est une fève de cacao caramélisée enrobée de chocolat. Une fois arrivés à destination, les produits sont stockés à 4 degrés puis trois jours avant utilisation, la température est montée à 12 degrés, comme dans une cave à cigares.

Comme ses confrères, Christophe Bertrand achemine ses bonbons en vrac avant de les disposer, sur place, dans des coffrets. «Là-bas, l'emballage compte autant que le produit. Il faut que ce soit “kawaï” (mignon), indique cet ancien exportateur de caviar et de truffes. Les formats sont souvent tout petits pour deux-trois chocolats et avec plus d'air que de produit. En France, on déteste les “boîtes voleuses”. Au Japon, cela ne dérange personne.» Une fois sur place, les chefs découvrent «une organisation impressionnante, témoigne Christophe Roussel. Chacun a une traductrice à ses côtés et, de 10 heures à 20 heures, on dédicace les boîtes (20.000 cette année pour l'artisan baulois, NDLR) et on enchaîne les talk-shows…»

Les plus sollicités sont ceux dont la marque porte le nom du créateur. Les autres doivent avoir une histoire à raconter. «Être une femme chocolatier dans une dynastie d'artisans nous a bien aidés», souligne Anne-France Benoît dont le Caramandes, une amande caramélisée au beurre salé et trempée dans du chocolat, s'arrache pendant le «giri choco». Le marathon n'est pas de tout repos. Piétiner toute la journée dans le bruit assourdissant est épuisant. Hévin, Hermé et Arnaud Lahrer ont leur petit secret: ces messieurs filent régulièrement en douce se faire masser au dernier étage d'Isetan.

À des milliers de kilomètres de là, les émissaires des grands magasins sillonnent sans relâche l'Hexagone pour dénicher de nouveaux chefs. Le guide des Croqueurs de chocolat est leur bible. «Ils ont débarqué du jour au lendemain, il y a dix ans, se souvient Arnaud Lahrer. Ils connaissaient aussi bien ma collection que moi.» Il lui arrive de s'adapter avec des pralinés au sésame noir, des caramels au thé vert matcha et des bicouches à base de marron dont la texture et le goût rappellent leur cher haricot rouge.

Pas de tablettes. Trop onéreux. Au Japon, le chocolat est vendu trois fois plus cher qu'en France. Il ne viendrait pas l'idée à un Japonais de casser le chocolat en morceaux ni de croquer une bouchée dans la rue. «Ils appliquent nos conseils à la lettre et consomment le chocolat dans les meilleures conditions: assis, au calme et plutôt en fin de journée», raconte Arnaud Lahrer.

Il faut en mettre plein la vue

Pierre Hermé au Japon Pierre Hermé

Aux quatre coins de la planète, de plus en plus de gens deviennent des connaisseurs. «C'est comme le cigare et les grands vins. Il y a d'abord de la curiosité, du snobisme et ensuite, c'est parti, analyse Charles Znaty de la maison Hermé. La culture mondiale du chocolat n'en est qu'à ses balbutiements.» Sollicité par les milliardaires du gaz et du pétrole, Hermé s'installe à Bakou, capitale de l'Azerbaïdjan. La Corée du sud s'affirme comme un nouvel Eldorado. Quant aux pays du Golfe qui ont le palais sucré, ils se pâment aussi pour le chocolat haute couture. Aux Émirats, une princesse se fait livrer chaque mois, par jet privé, 25 kg de douceurs de chez Arnaud Lahrer. Chez Fauchon, la fille d'un cheikh est récemment repartie avec un sac de 300 kg. Payés en liquide. Dans ces royaumes où l'alcool est interdit, les amis se reçoivent autour d'un thé et d'un plateau de sucreries. «Pour ne pas qu'une femme touche le même chocolat qu'un homme, ils doivent être emballés individuellement», explique Damien Couliou, directeur des produits Fauchon. Avec du papier doré si possible. Il faut que ça brille.

Dans ces pays du désert, les contrats se scellent souvent en offrant des chocolats… et le plateau ou la coupe en argent qui va avec. Il faut en mettre plein la vue. Rares sont les marques françaises à avoir ce savoir-faire, grande spécialité de la maison libanaise Patchi. Installés dans les malls et les palaces, nos chocolatiers visent plutôt les expatriés qui aiment choisir leurs chocolats à l'unité.

Si l'on regarde la carte du monde, nos artisans semblent se méfier du trio Chine, Russie, États-Unis. À Shanghaï, les douaniers aiment certes le chocolat. Mais ils ont tendance à trop se servir. À Moscou, les mines patibulaires des «importateurs» en goguette au Salon du chocolat en ont fait reculer plus d'un. De toute façon, leurs fiancées aux jambes de flamant rose refusent de goûter le moindre bonbon. Outre-Atlantique, aucun chocolatier ne s'aventure au-delà de la Grande Pomme. Éduquer le palais des Américains? Certes, ils ont adopté le macaron, produit ludique à partager. Mais apprécier le fin croquant d'un praliné, c'est plus compliqué. «Ils sont élevés au goût gras et sucré du Hershey's (barres chocolatées industrielles, NDLR)», soupire Arnaud Lahrer. L'École que Valrhona a ouverte cet automne pourrait bien changer la donne.


PALMARÈS EN EXCLUSIVITÉ

Voici, en avant-première de la sortie du Guide des Croqueurs de Chocolat, les chocolatiers récompensés. Les trophées seront remis au Salon du chocolat le vendredi 31 octobre à 16 heures.

FRANCE

Pâtisserie Laurent Duchêne: Award de l'Excellence

Noël Jovy chocolatier: Award du Coup de Cœur

Pâtisserie François: Award de la Découverte

Mori Yoshida: Award du Chocolatier Étranger en France

Julien M.: Award de l'Espoir Pâtisserie chocolaterie

Chasles : Award du Nouvel Entrant

Chocolaterie Hawecker: Award du Décor

Aux petits gourmands : Award de la Recherche Créative

Benoît chocolats: Award de la Chocolatière

ÉTRANGER

Oberweis (Luxembourg) : Award Jubilatoire du Jubilé

Es Koyama (Japon): Award étranger de l'Excellence

M de Noir (Liban) : Award de l'Espoir Étranger

En même temps, à l'occasion des 20 ans de cette manifestation, 20 chocolatiers recevront la médaille des Incontournables du chocolat français.Sadaharu Aoki - Gilles Cresno - Dupont avec un thé - Franck Fresson - Jacques Genin - Fabrice Gillotte - Vincent Guerlais - Pierre Hermé - Jean-Paul Hévin - Pascal Lac - La Maison du Chocolat - Arnaud Larher - Le cacaotier (Hubert Masse) - Pascal Le Gac - Henri Le Roux - Pierre Marcolini- François Pralus - Patrick Roger - Christophe Roussel - Richard Sève (Jacques Pessis)


Le Salon du chocolat fête ses 20 ans

1994-2014: presque une génération! Ce Salon, c'est l'aventure un peu fêlée d'un couple fondu de chocolat, Sylvie Douce et François Jeantet, qui décide un jour de créer un événement inédit autour de ce produit qui les passionne. Vingt ans plus tard, cette «success story» à la française est devenu l'incontournable rendez-vous gourmand de l'automne. Cette année, pour être à la hauteur de l'anniversaire, le salon s'est agrandi, s'étendant sur 20 000 mètres carrés et deux niveaux, pour quelque 220 exposants.

Parmi les temps forts, ne passez pas à côté de l'exposition-rétrospective des 150 robes les plus emblématiques créées au fil des éditions par des binômes de couturiers et chocolatiers. Arrêtez-vous devant la reproduction par Jean-Paul Hévin du fameux King Kong de l'artiste Richard Orlinski sur 4 mètres de haut. Ensuite, selon votre temps et votre humeur, assistez à l'une des démonstrations de chefs qui auront lieu tous les jours au rez-de-chaussée, à la remise des Awards du Club des croqueurs de chocolat, le vendredi 31 à 16 heures ou à une séance de dédicaces (Christophe Felder, Pierre Hermé, Philippe Conticini…) au stand de la Librairie Gourmande. (Colette Monsat)

Salon du chocolat. Porte de Versailles, pavillon 5, 75015 Paris. Du 29 octobre au 2 novembre 2014, de 10 h à 19 h. Adultes: 14 €, enfants jusqu'à 12 ans: 6,50 € (gratuit jusqu'à 3 ans).

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6 commentaires
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    La meilleure réclame que j’aie jamais vue en France, elle annonça « Vérifier ça, que tout le monde dit, le Noir amincit ». Mais après tout, mon chocolat préféré est celui de Lindt-Sprüngli, de ne moins que 80% cacao et qui est assez amer.

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