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Le musée rouvre ses portes - L'évènement Picasso

Les trois petits-enfants de Pablo Picasso et Marie-Thérèse Walter : de gauche à droite,  Olivier, coauteur du documentaire « Picasso. L’inventaire d’une vie », diffusé le 26 octobre sur Arte, Diana, qui travaille sur le catalogue raisonné des sculptures, et Richard.
Les trois petits-enfants de Pablo Picasso et Marie-Thérèse Walter : de gauche à droite, Olivier, coauteur du documentaire « Picasso. L’inventaire d’une vie », diffusé le 26 octobre sur Arte, Diana, qui travaille sur le catalogue raisonné des sculptures, et Richard. © DR/Gilles Bensimon
Par Anne-Cécile Beaudoin

A l’occasion de la réouverture du musée parisien, Match avait assisté en avant-première à l’accrochage des œuvres du maître.

Elle l’attendait sur le trottoir, juste en face du cirque Medrano, perdue dans un capharnaüm de vieux châssis, de sommiers déglingués et de matelas jaunis. Seule sa tête dépassait. Visage modelé à grands pans de lumière. Front large, regard dur, lèvres pincées. Pablo Picasso est subjugué. « Combien pour ce portrait de femme ? » « Cent sous », répond le père Soulié, marchand de bric-à-brac rue des Martyrs. « Le bonhomme qui l’a peint s’appelle Rousseau, ajoute-t-il. Mais la toile est bonne, vous pourrez la gratter et repeindre dessus ! » Marché conclu. La belle aubaine… Acquérir une « croûte » de Rousseau, à qui le jeune homme voue une tendresse admirative, pour une bouchée de pain ! Nous sommes à l’automne 1908. Picasso repart avec le tableau immense, bien calé sous son bras. La suite est célèbre : fin novembre, Picasso organise un banquet pour célébrer son achat. Guirlandes et lampions flottent ce soir-là sur la misère de l’atelier du Bateau-Lavoir. Convaincu par Apollinaire d’accepter l’invitation, Rousseau fait son entrée, coiffé de son chapeau mou, violon à la main. Puis il prend place sur le trône confectionné par Pablo et surmonté d’une banderole où l’on peut lire : « Honneur à Rousseau ». Encadré d’un drapé de reps vert, son tableau est installé sur un chevalet. On ouvre des boîtes de sardines et de conserve, on se soûle à l’absinthe. Toute la bohème de Montmartre est réunie : Georges Braque, Max Jacob, André Salmon… La nuit d’ivresse se conclut par cette formule de Rousseau adressée à Picasso : « Nous sommes les deux plus grands peintres de l’époque. Toi dans le genre “égyptien”, moi dans le genre moderne. »

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La collection particulière de Picasso, c’est avant tout cela : ses rapports personnels avec les peintres. Ses attaches avec certains d’entre eux, son admiration sans mesure. Ses frères, ses compagnons de cordée, ses maîtres. Quand il travaille, ils sont toujours là, dans son atelier, derrière lui, à le regarder. « Mon père a d’abord collectionné des babioles, raconte aujourd’hui sa fille Maya. Des bouts de papier, des cartes postales, des souvenirs des copains de foire. Puis il s’est mis à rassembler des sculptures d’art africain et océanien, à l’époque de grande pauvreté au Bateau-Lavoir et boulevard de Clichy. Il arpentait les puces, chinait dans les brocantes. » Un attrait sans doute déclenché par Matisse, collectionneur d’art tribal. A l’automne 1906, Picasso, qui a alors 25 ans, vient dîner chez le fauve. « Matisse prit sur un meuble une statuette de bois noir et la montra à Picasso, écrit Max Jacob. C’était le premier bois nègre. Pablo le tint à la main toute la soirée. » Fasciné par le côté surnaturel de ce fétiche avec ses yeux en amande grands et vides, il passe des nuits à réaliser des dessins. Puis il se met lui aussi à « la chasse aux nègres ». Le résultat sera cette œuvre primitive, échafaudée par blocs, lancée comme une bombe d’anarchiste dans la peinture occidentale en 1907 : « Les demoiselles d’Avignon ».

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Pour sa collection, le créateur du cubisme choisit les classiques : Chardin, Renoir…

« La collection de mon père s’est aussi constituée d’échanges mutuels avec ses amis Derain, Van Dongen, Marie Laurencin et Matisse, poursuit Maya. A l’automne 1907, par exemple, Matisse lui donne sa “Marguerite”, portrait naïf de sa fille en robe verte. Picasso lui offre une nature morte, “Pichet, bol et citron”. » En 1910, Wilhelm Uhde, marchand et ­historien d’art, laisse à Picasso une figure de Corot, « La petite Jeannette », pour le remercier d’avoir fait son portrait. Maya reprend : « A partir de 1918, année où Georges Wildenstein, Jacques Helft et Paul Rosenberg s’associent pour faire de Picasso le plus grand peintre du monde, mon père sort de la dèche. Il peut désormais se procurer, via ses amis ou des marchands d’art, des œuvres importantes qu’il achète ou échange contre les siennes. » Le créateur du cubisme choisit les classiques Le Nain et Chardin, mais aussi Braque, Miró, Gauguin, Renoir, Cézanne (« notre maître à tous »), Modigliani, Balthus…
Sous l’Occupation, Picasso, aidé de son banquier Max Pellequer, alors directeur de la BNCI (future BNP), trouve la parade pour que sa collection échappe aux confiscations nazies : elle sera mise sous coffre au nom de Marie-Thérèse Walter, maîtresse de Pablo, et reviendra en dot à leur fille Maya. « Chaque jeudi, se remémore Maya, j’accompagnais papa à la BNCI, au 16 boulevard des Italiens. C’est là que se trouvait le coffre, une pièce de 5 mètres sur 3. Et c’est ainsi que Renoir, Miró, Courbet sont entrés dans ma vie. J’avais à peine 10 ans. Je détestais la “Tête de chamois” peinte par Courbet. Le portrait de femme du Douanier Rousseau, acquis chez le père Soulié, m’amusait beaucoup. J’adorais les Braque, parce que je le connaissais. Mais ce que je préférais, c’était piocher dans la boîte de chocolats, mise elle aussi à l’abri ! »

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Devant les Matisse et les Cézanne, Picasso s’exclame : « Que ­peut-on faire de mieux ? »

Il faudra attendre 1959 pour voir resurgir les trésors. Sous l’objectif de David Douglas Duncan, Picasso déballe ses chefs-d’œuvre pour les accrocher aux murs de sa nouvelle propriété, le château de Vauvenargues, au pied de la montagne Sainte-Victoire. « Ma grand-mère, Marie-Thérèse, et ma mère, Maya, n’avaient jamais touché au contenu du coffre dont elles se sentaient certainement et simplement dépositaires, explique Olivier Widmaier Picasso. C’est ainsi que l’intégrité de la collection a été préservée. A Vauvenargues, Pablo entame alors la période des peintures historiques, référence aux maîtres du passé, avec notamment ses séries du “Déjeuner sur l’herbe” ou des “Femmes d’Alger”. Maya, au même moment, commençait “sa” vie personnelle après sa rencontre avec mon père, Pierre Widmaier, un officier de marine. Elle n’a jamais eu d’attentes matérielles. Elle conserve le souvenir d’une relation désintéressée avec son père. 
Pablo est fier de faire admirer sa collection à quelques rares privilégiés. Malraux note : « Ces tableaux me font penser aux meubles que nous conservons après plusieurs déménagements, les uns parce que nous les aimons ou en mémoire des amis qui nous les ont donnés, les autres parce qu’ils se sont trouvés là. » Lorsqu’il passe devant les Matisse et les Cézanne, Picasso s’exclame : « Que peut-on faire de mieux ? »

Selon son vœu, sa collection, qu’il souhaitait dédier « aux jeunes peintres », sera donnée à l’Etat après sa mort (le 8 avril 1973), à la seule condition que « toutes les œuvres soient rassemblées et conservées dans une même salle au musée du Louvre et exposées au public ». Le 26 mai 1978, elle se dévoile au dernier étage du pavillon de Flore, au Louvre. Mal accueillie. Mal comprise. On juge par exemple la « Tête de chamois » de Courbet médiocre. Bon ou mauvais n’est pas le propos : ce qui obsédait Picasso, c’étaient les cornes fantastiques et l’œil implorant de l’animal. Il n’accumulait pas les œuvres comme d’autres amoncellent les lingots d’or. Témoignages d’amitié ou souvenirs de ses pairs, ils s’inscrivent étroitement dans la relation de l’artiste avec la peinture. Cette collection, c’est l’ADN de Pablo. Elle rejoint le musée Picasso lors de son ouverture à l’hôtel Salé, en 1985. Mais il faudra encore près de vingt ans pour qu’elle soit enfin accrochée en majesté. Chardin, Le Nain, Courbet, Corot, Renoir, Derain, Miró, le Douanier Rousseau… Ils sont tous là aujourd’hui, témoins silencieux de la vie privée du maître. Tel un fascinant jeu de miroir se répondent en écho les œuvres de Picasso qui aimait dire : « On est ce que l’on garde… »

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Musée national Picasso Paris, 5, rue de Thorigny, Paris IIIe. museepicassoparis.fr

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