Le 3 mai 1953, à Paris, le tribunal des forces armées françaises condamne Aloïs Brunner par contumace à la peine capitale pour crime de guerre. A quelques centaines de kilomètres de là, à Bonn, capitale de la RFA,un fonctionnaire du ministère des affaires étrangères se dépêche de mettre en garde l’ancien commandant du camp de Drancy sur « les difficultés qu’il pourrait rencontrer s’il se rend à l’étranger ». Il passe par une procédure secrète, au nom de code Warndienst West (« service d’alerte Ouest »), qui recourt aux fichiers de la Croix-Rouge allemande. Rien que pour les condamnations prononcées en France, ce système a permis de prévenir près de 800 criminels nazis allemands et autrichiens.
A la fin de l’année 2014, un ancien fonctionnaire de l’Etat allemand, resté anonyme, affirme que Brunner est mort, à Damas, autour de 2010. Une révélation qui relance la question des relations floues entretenues entre d’un côté les autorités et les services secrets (BND) ouest-allemands et, de l’autre, les nazis en exil. Dans la foulée de cette annonce, relayéepar le Centre Simon-Wiesenthal, le groupe parlementaire Die Linke (gauche) envoiequarante questions sur Aloïs Brunner au gouvernement allemand.
« Aloïs Brunner a bénéficié de protections en Syrie »
Dans sa réponse du 19 janvier, dont Le Monde dispose d’une copie, Berlin affirme que « des documents connus jusqu’à présent,il ressort que Brunner n’a pas été un collaborateur du BND ». Alors pourquoi, en 1994, la chancellerie a-t-elle proposé dans un courrier au BND de « détruire » le dossier Brunner ? Directement soumis à cette autorité, les services secrets se sont exécutés. On ne peut désormais que spéculer sur la collaboration ou non du BND avec Brunner. Mais une chose est sûre : les autorités ouest-allemandes ont attendu 1984 avant de demander, en vain, l’extradition de l’un des criminels nazis les plus recherchés de la planète, responsable de la mort de plus de 120 000 juifs de France, d’Autriche, de Grèce et de Slovaquie.
Elles savaient pourtant où il se trouvait depuis au moins 1961. Dans sa réponse aux députés, le gouvernement explique son inertie notamment par le fait qu’« Aloïs Brunner a bénéficié de protections en Syrie » et qu’« il est probable qu’il ait été en contact avec les services secrets syriens ». Il est vrai que la Syrie a une tradition de collaboration avec d’anciens nazis. En 1948, deux ans après s’être affranchi de la tutelle française, le pays recrute une cinquantaine d’anciens nazis, dont de nombreux SS, pour l’aider à la reconstruction de son armée et de sa police secrète. A leur tête figure Walter Rauff, un ancien haut fonctionnaire de l’Office central de sécurité du Reich (RSHA), qui a organisé le déploiement de camions à gaz dans l’est de l’Europe pour aider les commandos SS à éliminer les communistes, les Tziganes et surtout les juifs. Ces camions de la mort ont tué au moins 700 000 personnes.
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