C’est la fin de la saison 1 du feuilleton grenoblois : Jean-Claude Gallotta va devoir quitter fin 2015 la direction du Centre chorégraphique national (CCN), un poste qu’il occupe depuis 1984. La ministre de la culture, Fleur Pellerin, lui a fait part de sa décision, mardi 24 mars, lors d’un rendez-vous, rue de Valois. La saison 2 va pouvoir commencer : un appel à candidatures va être lancé pour recruter le (ou la) successeur(e) de Gallotta, qui entrera en fonction le 1er janvier 2016, à la tête de ce lieu historique.
Symbole de la décentralisation culturelle, le CCN de Grenoble partage les mêmes locaux que la scène nationale, dite MC2, dirigée par Jean-Paul Angot – à l’origine une Maison de la culture inaugurée par André Malraux en 1968, puis rénovée en 2004. En 1979, Jean-Claude Gallotta avait fondé le groupe Emile Dubois, à Grenoble, avant d’intégrer la Maison de la culture en 1980. Sans doute cette stature de pionnier de la danse contemporaine lui a-t-elle valu un traitement à part.
En effet, depuis les nouvelles règles de 2010, la durée du mandat d’un directeur de CCN est fixée théoriquement à dix ans – un mandat de quatre ans, renouvelable « dans la limite de deux périodes de trois ans ». Selon les cas, ou les circonstances, le mandat peut être prolongé de quelques années. Gallotta aura bénéficié d’une durée de trente ans. Mais l’infatigable chorégraphe, qui enregistre avec sa troupe « entre 80 et 100 dates par an », en voulait encore. Du 9 au 15 juin sera présentée à la MC2 sa dernière création, L’Etranger, d’après le roman d’Albert Camus.
Un projet de fusion à l’étude
Les premiers soubresauts sont survenus il y a quelques mois : au ministère de la culture, un projet de fusion du CCN au sein de la MC2 de Grenoble était à l’étude. L’enjeu était de créer un pôle chorégraphique pour la danse, et de développer les projets artistiques, soutenus par le budget de production de la MC2 et ses deux studios de danse. Cela tombait bien : Gallotta se sentait « à l’étroit » dans le CCN et rêvait de créer un « outil de deuxième génération », une sorte de « hub » pour la danse contemporaine. Angot et Gallotta se sont attelés à la tâche.
Mais leurs deux projets de fusion, successivement présentés au ministère de la culture, ont été refusés. Le second, en particulier, associait le chorégraphe Rachid Ouramdane, en vue d’incarner la relève de la nouvelle génération. L’affaire était observée en haut lieu, au ministère : en effet, le directeur général de la création artistique (DGCA) n’est autre que Michel Orier, lequel a dirigé la MC2 de Grenoble de 2002 à 2012. Et la déléguée danse de la DGCA, Irène Basilis, nommée par M. Orier, a été chargée de la programmation danse à la MC2.
Gallotta pensait avoir « deux soutiens » à des postes-clés. Mais le ministère a considéré que les deux projets « ne garantissaient pas une meilleure place pour la danse », indique-t-on rue de Valois. Des raisons d’ordre budgétaire et politique - un contexte de baisse des subventions, à la veille d’élections départementales incertaines - sont également entrées en ligne de compte. L’association qui fédère les dix-neuf CCN du territoire s’était, par ailleurs, mobilisée contre la fusion, jugée comme un mauvais signal alors que l’année 2015 marque l’anniversaire des trente ans des CCN.
« Un outil mieux partagé, durable et consolidé »
Localement, les acteurs de la danse contemporaine, qui suivent le feuilleton depuis des mois, dans un contexte économique tendu, aspiraient tous à une chose : travailler ensemble dans un climat apaisé. Le maintien du CCN semble les satisfaire. « Nous accueillerons à bras ouverts la prochaine équipe du CCN », souligne Christiane Blaise, qui dirige le Centre de développement chorégraphique (CDC) de Grenoble, Le Pacifique, lieu de fabrique et d’accompagnement, pour les compagnies. « Ce que je souhaite, c'est que la nouvelle proposition affirme la volonté d’inventer un outil mieux partagé, durable et consolidé », dit-elle, en pesant ses mots.
De son côté, le patron de la MC2 veut tourner la page. « Le ministère m’a dit : il faut intégrer le CCN. J’y ai travaillé, ma proposition a été écartée. J’ai un peu perdu du temps », constate Jean-Paul Angot, par ailleurs président de l’association des scènes nationales. Mais il a d’autres chats à fouetter, ajoute-t-il : « Avec ce qui se passe en ce moment, les baisses de subventions des collections locales, la mise en danger des lieux, l’intégration du CCN de Grenoble n’est pas la question la plus importante. Ce qui compte aujourd’hui, c’est de défendre les artistes ».
Gallotta l’infatigable ne s’est pas démonté : le projet de fusion écarté, il a fait savoir au ministère qu’il souhaitait rester à la tête du CCN jusqu’en 2018, pour mener à bien tous ses projets et laisser le temps à son équipe de dix permanents (à l’administration) de se retourner. Le maire de Grenoble, Eric Piolle, élu d’Europe Ecologie-Les Verts, était prêt à le soutenir dans sa démarche, dit-il. « Il m’a même proposé de m’accompagner lors de mon rendez-vous avec la ministre. Mais le cabinet a décliné », raconte Jean-Claude Gallotta.
Le chorégraphe a perdu cette deuxième manche, mais il obtient un lot de compensation : le ministère de la culture va l’accompagner financièrement à hauteur de 200 000 euros annuels, pendant trois ans, soit un niveau plus élevé que le montant en vigueur (150 000 euros annuels, pendant trois ans). Il sera, par ailleurs, artiste associé au sein de la MC2 jusqu’en 2018. Il faut tirer une leçon de cette histoire, estime Gallotta : « En France, on réfléchit beaucoup à l’émergence, mais on pense moins aux artistes qui arrivent dans leur maturité. Etre directeur d’un CCN, ça peut vous épuiser. Ou ça vous donne des ailes, et c’était mon cas », explique-t-il. Dans l’entourage de Fleur Pellerin, on répond que « la vie d’un chorégraphe continue après un CCN », en citant l’exemple de Maguy Marin, qui a dirigé plusieurs centres chorégraphiques et continue d’évoluer avec sa propre compagnie.
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