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Platinum games
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PlatinumGames, les gladiateurs du jeu vidéo japonais

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Publié le 24 octobre 2014 à 12h56, modifié le 24 octobre 2014 à 14h58

Temps de Lecture 6 min.

« Hors de question ». Grimaçant, Hideki Kamiya répond au journaliste qui lui demande de prendre une pose amusante pour sa photo. Si les yeux pouvaient tuer en cet après-midi d'été 2008, il y aurait eu un mort sur le parvis de l'Umeda Sky Building d'Osaka.

Ce n'est pas parce que les créateurs-stars ont travaillé sur des jeux comiques comme Viewtiful Joe qu'ils vont faire les guignols devant un objectif. Dans le monde très lisse et contrôlé du jeu vidéo japonais, les membres de PlatinumGames sont ce qu'il y a de plus incontrôlable.

Aujourd'hui Bayonetta revient sur WiiU, un choix qui pourrait être inattendu s'il n'avait pas été guidé par le destin. D'un côté, un développeur talentueux et orgueilleux dont les jeux finissent par devenir cultes à défaut de rencontrer le succès. De l'autre, un constructeur avec une console en position très délicate. Comment Nintendo s'est-il retrouvé avec une héroïne à la sexualité trouble qui tue ses adversaires avec des mouvements de pole-dance quand elle ne se retrouve pas nue car son costume, fait de ses cheveux, se transforme en démon ?

La rage des anciens de Capcom

Revenons en octobre 2006. Malgré Ôkami, réécriture de la mythologie du Japon par le pinceau d'un loup blanc. Malgré God Hand, génial père spirituel du jeu de combat 3D moderne. Malgré deux jeux adulés dans leur catégorie mais aussi deux flops commerciaux, Capcom ferme sans ménagements Clover Studio. C'est l'exode des talents.

On les retrouve désormais dans ce grand immeuble, cet édifice phare d'Osaka. Le boss, c'est Tatsuya Minami, le vétéran en retrait dans son bureau entouré de verre. A Capcom, il a tout vécu, de Ghouls ‘n Ghost au triomphe de Devil May Cry. Aujourd'hui, il a sacrifié sa créativité pour diriger PlatinumGames, permettant ainsi aux autres de s'exprimer.

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Inaba cache à sa propre entreprise le projet de Phoenix Wright

Derrière lui, toute une génération échappée de Capcom. Atsushi Inaba s'est fait connaître dans l'opposition, en essayant de produire l'impensable. Steel Battalion et son multi-joystick à 200 dollars, c'était lui. Conscient que Capcom ne laisserait jamais une équipe perdre son temps sur un concept aussi idiot qu'« un jeu d'aventure dans un tribunal », Inaba cache alors à sa propre entreprise le développement de ce qui va devenir Phoenix Wright. Quant à Hideki Kamiya, il réalise Resident Evil 2, Devil May Cry, Viewtiful Joe et Ôkami avant de devenir une figure d'Internet. Certains sites sont allés jusqu'à le consacrer meilleur troll du jeu vidéo. Avec son anglais très limité puisé dans les séries TV, il prend à cœur, réagit, quitte à insulter. Souvent sur la ligne rouge, il assume et n'efface pas. Ces jeunes quarantenaires ont la rage après des années à sortir des suites à la chaîne pour Capcom.

En quelques jeux seulement, la bande des anciens de Capcom a spontanément incarné l'espoir et le renouveau de l'industrie japonaise. Leur spécialité, c'est de canaliser tout ce qui plaisait dans l'ère 16-bits, ce savoir-faire qu'on croyait perdu comme une recette de grand-mère et qui rejaillit grâce à leurs efforts. Comme à l'époque de Capcom qui a popularisé le terme « Survival Horror », leurs jeux deviennent alors « Climax Action » ou encore « Lightning Bolt Action ». Ils séduisent le public américain, amateur de concepts affûtés.

L'art des prémisses, le concept fort, PlatinumGames maîtrise et sait les rendre encore plus fous. Prenez Vanquish, réalisé par leur ami Shinji Mikami, l'homme de Resident Evil, lui aussi de la bande des anciens de Capcom. Ce jeu de tir à la troisième personne se résume à « un type en armure avec des réacteurs-propulseurs aux tibias face à de méchants communistes de l'espace ». Bayonetta est plus fou encore : « sur l'air de Fly me to the Moon de Sinatra chanté par Helena Noguerra, une fille sévère à lunettes avec un accent british combat des anges avec des flingues attachés à ses talons aiguilles pour les frapper et tirer en même temps. » C'est le genre d'idées, toujours aux frontières de la série Z et du jeu d'exploitation pur, qu'on n'imaginait pas aussi indispensables avant qu'elles existent.

Le concept de Vanquish : « un type en armure avec des réacteurs-propulseurs aux tibias face à de méchants communistes de l'espace »

Et les explications sont parfois tout aussi simples. « En fait, on a juste pris le nom baïonnette et on l'a féminisé avec un A », racontait, hilare, Hideki Kamiya lors d'une visite dans leur studio, au moment de l'annonce de leurs premiers jeux. Inaba ajoute ensuite que c'est aussi parce que Kamiya a un faible pour les filles à lunettes. Cela parle toujours beaucoup de filles dans le studio. Ce jour-là, ils nient s'être inspirés d'une employée de Sega qui ressemble pourtant furieusement à Bayonetta. 2008, presque le bon vieux temps.

Leur autre marque de fabrique, un autre territoire abandonné par les développeurs japonais, c'est le sens du spectacle. Du cyborg-ninja qui ralentit le temps pour démembrer son adversaire avant de lui arracher la colonne vertébrale mécanique, à Bayonetta, encore elle, qui termine sa première aventure en tabassant Dieu à coups de talon. Des choses que même le cinéma japonais d'exploitation n'ose plus faire. Divertissements purs et assumés, ils sont quasiment les seuls au Japon à pouvoir affronter sans rougir les blockbusters occidentaux.

Des ventes décevantes

Vanquish.

Gros pépin chez les joyeux drilles : les ventes. Bayonetta, premier du nom, s'est bien vendu. 1,1 million d'exemplaires dans le monde, ce n'est pas rien. Assez pour justifier une suite. Mais Sega espère trop de ses prodiges, au-dessus des deux millions, comme pour un Devil May Cry. Mais le premier malentendu vient sans doute de Mad World. C'est à se demander qui a validé l'idée d'un jeu de bagarre bourrin et sanglant à l'esthétique inspirée de Sin City pour la Wii de Nintendo. Une erreur de casting incroyable, un jeu déconseillé aux moins de 18 ans sur la plus familiale des consoles. Le quiproquo est tel qu'un autre éditeur, Spike, le sort au Japon en lieu et place de Sega, un an plus tard, en le classant Z. Avec le pire des scénarios, tous les ingrédients du suicide commercial sont là.

PlatinumGames va enchaîner les déconvenues. Après le génial Vanquish, qui tutoie le million d'exemplaire, l'idylle s'arrête avec Anarchy Reigns, une sortie vraisemblablement sabordée par Sega si on lit entre les lignes le communiqué de Platinum à l'époque : « Si notre part de travail sur le jeu est terminée, la localisation faite et prête à sortir, en tant qu'éditeur c'est Sega qui décide en fin de compte de la date de sortie. » L'ambiance est tendue. 

Anarchy Reigns.

« Des mecs sympas qui font des super-jeux qui ne se vendent pas » : telle est la réputation de PlatinumGames post-Sega qui a largement aidé la société à ses débuts. La rédemption est apportée en main propre par Hideo Kojima. Dans une vidéo incroyable de franchise pour un éditeur japonais, il reconnaît avoir fait fausse route pour Metal Gear Rising et s'en remet à Platinum. Finalement, ils changent à peu près tout à l'exception du concept : un ninja cyborg qui tranche tout avec son sabre. Enragé, le ninja court sur les immeubles à la verticale, escalade les robots géants et donne des coups de pied métalliques dans les parties d'un sénateur. Rising devient Revengeance et le plus gros succès de l'entreprise.

C'est Nintendo qui s'est offert d'éditer ce Bayonetta dont les prototypes allaient partir vers l'icône « Corbeille ». Chez Nintendo, c'est carte blanche. Au fond, si ça marche, tant mieux, mais tout cela n'est qu'une question d'image. Le mélange des échecs commerciaux, succès critique et des subséquents cultes vont tout aussi bien aux jeux Platinum.

Aujourd'hui, Minami, Inaba, Kamiya et les autres font aussi du jeu de commande. L'inattendu Legend of Korra aujourd'hui pour Activision, demain le prometteur Scalebound que Microsoft s'est offert à coups de dollars. A force de contrats tous azimuts, on pourrait croire que les développeurs et artistes de PlatinumGames sont devenus des mercenaires. Du haut de leur tour d'Osaka, ils sont en fait des gladiateurs. Les temps sont durs pour l'industrie japonaise mais, on le sait, les plus habiles, les plus forts et les plus malins des gladiateurs finissent toujours par gagner leur liberté.

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