CINEMA Juliette Binoche, témoin sans frontières

« L’épreuve ». Elle est magistrale en photographe de guerre, qui a approché le danger de trop près. « J’ai vu des femmes s’immoler et rater leur mort » dit l’actrice, qui arpente le monde, comme un reporter.
Recueilli par David S. Tran - 06 mai 2015 à 05:00 | mis à jour le 06 mai 2015 à 06:50 - Temps de lecture :
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Photo DR
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Photographe de guerre : est-ce un métier que vous auriez pu faire ?
Mon métier est trop important pour moi. J’en ai décidé à 17 ans et je n’aurais pu en faire un autre. Mais photographe de guerre est un métier fascinant. Ils sont en contact avec l’info la plus brute, pas encore transformée par une censure, un éditeur ou une morale. Ils sont les premiers témoins de l’horreur sans cesse répétée dont l’humain est capable. En tant qu’actrice, j’aime aussi aller dans des endroits dangereux, mais des endroits de transformations possibles, c’est-à-dire des endroits intérieurs, que le jeu et l’art me permettent d’explorer. Les dangers qu’affrontent les photographes de guerre sont plus réels. Pourquoi cette attitude quasi suicidaire ? Cette question a été l’une des raisons pour laquelle j’ai eu envie de faire ce film.
Avez-vous une réponse ?
J’ai rencontré énormément de photographes de guerre, que j’ai interviewés, comme une journaliste. Bien sûr, il ne faut pas commettre l’erreur de généraliser, mais j’ai décelé un traumatisme commun assez répandu : un pôle père/mère qui n’a pas existé ou qui a brutalement changé parce que, par exemple, le père ou la mère est devenu homo. C’est juste une piste, il n’y a aucun jugement à en tirer.
Avez-vous posé la question au réalisateur ? Car c’est son histoire, qu’il a transposée pour une femme.
C’est son histoire, mais vécue il y a plus de vingt ans. Il était encore à l’argentique, les guerres ont évolué, la transmission des photos a complètement changé. Mon point de mire était Lindsay Addario, une photographe américaine qui a travaillé pour le New York Times et le National Geographic. Elle m’a ouvert les portes d’un métier très sexiste, un monde d’hommes, où il y a de la drague et des situations confuses lorsque tout le monde reste coincé dans des lieux qui obligent à la promiscuité. Quand je l’ai rencontrée, son bébé d’un an l’avait plongée dans de déroutantes interrogations. Mais au fond, son désir professionnel était inatteignable. Au sein de sa famille, le mari avait pris la place de la mère, il l’assume, il le dit très naturellement.
Le film est très d’actualité. Lorsque vous regardez les infos, vous arrive-t-il de détourner le regard ?
Être confronté à l’horreur vous grave des images dans la tête et je n’ai pas envie de vivre avec ça. J’ai vu des femmes qui s’immolaient en Afghanistan pour ne plus être traitées comme des animaux, et qui avaient raté leur mise à mort… C’était tout simplement indescriptible. C’est pour ça que les photos les plus fortes ont modifié le cours des guerres sans se complaire dans l’abomination. Tant qu’on ne réprimera pas notre désir de puissance et de possession, tant que l’homme n’intégrera pas le féminin, tant que le blanc n’acceptera pas le noir, on n’y arrivera pas. Les pôles doivent s’épouser, avec leurs différences, sinon les guerres tourneront indéfiniment en cercle, encore et encore.
En tant que comédienne, votre démarche « sans frontière » est un peu celle d’un reporter…
J’ai toujours eu envie d’aller vers les autres. C’est ma participation naturelle au monde. En revanche, les États-Unis, je n’en ai jamais rêvé. Je suis en contact avec Hirokazu Kore-eda, j’ai envie de travailler avec Jia Zhangke. À quatre ans, je chantais à tue-tête le tube d’Enrico Macias « Enfants de tous les pays ». Pour moi, c’était l’ultime hymne à la vie ensemble. Le cinéma me permet ça.
Vous êtes actuellement en tournée mondiale avec « Antigone », que vous jouez en anglais. Avez-vous imposé votre « griffe » au texte de Sophocle, de la même manière que vous avez beaucoup fait évoluer le scénario de « L’épreuve » ?
Imposer n’est pas le mot. Erik Pope a pu se sentir dépossédé car j’étais comme une productrice qui le poussait vers un autre niveau de véracité et d’exigence. Les tensions, durant la phase de préparation, ont fait place à un tournage complice. Pour « Antigone », j’ai écrit un mail Ivo Van Hove (metteur en scène) après avoir lu le texte de Sophocle, magnifiquement traduit. Je trouvais qu’il y avait quelque chose à étayer et amplifier dans la présence d’Antigone. Après tout, on devait partir pour une tournée de 7-8 mois et je n’avais pas envie d’attendre dans ma loge au bout du deuxième tiers !

Le choc

Juliette dans la tourmente. Face à un attentat-suicide préparé par des femmes afghanes, puis un massacre au Kenya.

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