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Procès d’Outreau : l'association Innocence en danger, seule contre presque tous

L’association, créée en 1999, a contribué à relancer le troisième procès Outreau, alors que le monde de la protection de l’enfance souhaitait enfin tourner la page.

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Publié le 22 mai 2015 à 13h28, modifié le 04 juin 2015 à 16h36

Temps de Lecture 3 min.

Homayra Sellier, la présidente de l'association

Depuis le début du procès de Daniel Legrand, l’un des acquittés de l’affaire d’Outreau, à Rennes, mardi 19 juin, le nom d’une petite association de protection de l’enfance est souvent cité. Et pour cause : Innocence en danger a largement contribué à sa tenue. C’est elle et le syndicat national des magistrats FO qui ont alerté le parquet de Douai, en juin 2013, de la prochaine prescription des faits reprochés à Daniel Legrand en tant que mineur – ils ont été disjoints de ceux qui lui étaient reprochés comme majeur et pour lesquels il a été acquitté. Elle a ainsi contribué à relancer la mécanique infernale de l’affaire, qui s’est soldée par quatre condamnations (le couple Badaoui-Delay et leurs voisins) et treize acquittements.

« Si des enfants disent : “J’ai été violé par X”, cette personne doit être jugée »

Ce sont des avocats habitués à travailler avec Innocence en danger qui assistent les enfants Delay, lesquels maintiennent leurs accusations contre Daniel Legrand, sans parvenir jusqu’à présent à les étayer. Pourquoi rejuger un homme acquitté, simplement parce qu’il est devenu majeur pendant la période des faits poursuivis, de 1997 à 2000 ? La présidente et fondatrice de l’association réfute toute volonté d’acharnement. « Les avocats de la défense nous érigent en coupables, affirme Homayra Sellier. Mais si des enfants disent : “J’ai été violé par X”, cette personne doit être jugée. » Elle affirme n’avoir « rien à gagner : ni argent, ni notoriété ». « Je suis bénévole comme 90 % des gens qui travaillent avec nous, y compris les avocats, poursuit-elle. Je subis des menaces. Je peux me tromper, mais ma démarche est honnête. »

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L’association a également financé un film, Outreau l’autre vérité, sorti en 2013, qui adopte le point de vue, ignoré selon son auteur Serge Garde, des enfants victimes – et jugé « conspirationniste » par l’avocat d’une des acquittées, Eric Dupond-Moretti. L’association est une petite structure – une seule salariée – qui se donne pour objectif de « défendre les enfants et leurs paroles » et apporte un soutien juridique aux mineurs victimes de violences sexuelles. Créée en 1999 par Mme Sellier, à l’époque épouse d’un agent de change, aujourd’hui veuve, elle est présente dans une dizaine de pays et a accompagné une centaine d’enfants, selon sa fondatrice.

Des membres « jusqu’au-boutistes »

« Ce sont des gens très motivés, qui font un travail remarquable pour aider les enfants », affirme Gilles Lazimi, médecin et coordinateur de campagne à la Fondation pour l’enfance. L’association paraît cependant isolée dans le monde de la protection de l’enfance. Beaucoup, sans condamner son travail militant, prennent leurs distances, jugeant que ses membres « ont du mal à prendre du recul », sont « jusqu’au-boutistes », ou « un peu exaltés ».

En outre, contrairement à d’autres affaires d’enfants martyrisés (Marina Sabatier, Fiona Bourgeon…), les trois principales associations de protection de l’enfance maltraitée (La voix de l’enfant, l’Enfant bleu, et Enfance et partage) ne sont pas parties civiles à Rennes et ont préféré « tourner la page ».

« Je regarde avec consternation ce qui est en train de se passer, déclare Cristiane Ruel, porte-parole d’Enfance et partage. Pourquoi remuer tout ça alors qu’il y a si peu d’éléments concordants ? Je ne suis pas sûre que ce procès puisse aider les victimes à aller mieux. » La juriste de l’Enfant bleu renchérit : « On leur donne un espoir, mais peut-être un faux espoir, dit Fleur Almar. Ces enfants ont été maltraités tout au long de la procédure pénale. Nous ne voulions pas continuer dans cette voie. »

« Outreau a pollué toutes les autres affaires »

Certains craignent également que le procès ne réactive la suspicion à l’égard de la parole des mineurs, l’un des principaux legs de l’affaire d’Outreau. « Tous les enfants ont été reconnus comme victimes, pourtant on a fait comme si c’étaient de sales petits menteurs, constate Anne Tursz, pédiatre et épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). L’affaire s’est retournée contre les enfants et a laissé des traces. Alors qu’il est très rare qu’ils racontent n’importe quoi, s’ils sont correctement interrogés. »

Pour Martine Brousse, présidente de La voix de l’enfant, « Outreau a pollué toutes les autres affaires et nous redoutons que ce troisième volet génère à nouveau des doutes. Si la parole des victimes avait été recueillie dans de bonnes conditions, par des personnes formées, cela n’aurait sans doute pas donné les mêmes effets. »

L’association a depuis participé à la création d’une cinquantaine d’unités d’accueil médico-judiciaires pédiatriques, spécialement conçues pour que les jeunes victimes soient entendues par des équipes pluridisciplinaires. « Nous travaillons à la création d’outils qui aident à la manifestation de la vérité », explique Mme Brousse. Ces associations redoutent qu’avec « Outreau 3 », leur priorité, le repérage des enfants en danger, ne repasse au second plan. Elles rappellent que, selon l’Inserm, deux enfants meurent par jour de maltraitance, en général de leurs parents.

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