Jugé pour avoir défendu son plombier devant les gendarmes

Georges Domergue, élu UMP et ancien président de la cour d'assises du Loiret, comparaît devant le Conseil supérieur de la magistrature.

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Georges Domergue, ancien directeur de cabinet de l'ancienne secrétaire d'État aux Droits des victimes Nicole Guedj, fait l'objet de poursuites disciplinaires.
Georges Domergue, ancien directeur de cabinet de l'ancienne secrétaire d'État aux Droits des victimes Nicole Guedj, fait l'objet de poursuites disciplinaires. © AFP

Temps de lecture : 4 min

Il a voulu rendre service, mais a-t-il abusé de ses pouvoirs ? Un juge qui accompagne son plombier chez les gendarmes, l'histoire n'est pas banale. Le 2 décembre 2011 à Briare, Ernest Vilate, plombier d'origine béninoise, se fait vandaliser sa camionnette et voler tous ses outils. Valeur : plusieurs milliers d'euros. Le jeune artisan se rend chez les gendarmes pour déposer une plainte. Il indique que sa camionnette a été remorquée dans un piètre état par un dépanneur et que les gendarmes n'ont qu'à se rendre au garage pour constater l'ampleur des dégâts. Les jours s'écoulent sans qu'il se passe rien. "Je n'avais même pas un tournevis ou une clé à molette pour travailler", confie-t-il. L'artisan s'agace que les gendarmes ne prêtent pas, à son goût, assez d'attention à son affaire. Une dernière fois, il leur rend visite et menace : "Je connais le procureur de Montargis. Cela ne va pas s'arrêter là."

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Celui qu'il croit être le procureur de Montargis n'est autre que Georges Domergue. Le quinquagénaire est bien magistrat, mais il est juge, pas procureur, et notamment président de la cour d'assises du Loiret et ancien directeur de cabinet de la secrétaire d'État aux Droits des victimes, Nicole Guedj. Les deux hommes se connaissent un peu : le premier a fait quelques travaux de tuyauterie chez le second. Domergue écoute son ami plombier et décide de l'accompagner chez les gendarmes. Histoire, peut-être, de donner un peu de corps à son récit. Et, plus officieusement sans doute, de montrer qu'il a un appui de poids. Les gendarmes goûtent peu l'initiative, qu'ils considèrent être un moyen de pression. L'atmosphère est tendue. Sur place, un des adjudants demande : "Vous vous prenez pour qui pour vous déplacer avec un magistrat ?" relate le plombier.

L'humiliation d'un homme

Ce qui ne devait être qu'un simple service tourne vite au cauchemar. Les échanges sont exécrables, Ernest pense être victime de discrimination en raison de sa couleur de peau. "Georges Domergue a assisté à ce qu'il estime être une scène d'humiliation d'un homme et ne pouvait laisser passer ça", explique Emmanuel Poinas, du syndicat FO-Magistrats. Les gendarmes, eux, affirment avoir été insultés par le juge et écrivent, dans un rapport, avoir été qualifiés de fainéants et de bons à rien. Ernest Vilate comme Georges Domergue le jurent : le ton est "rude" et "ferme", mais reste poli. "On lui a prêté des mots qu'il n'a jamais tenus", s'emporte l'artisan. Qui soupire : "C'est à cause de moi s'il en est arrivé là."

Car l'affaire fait du bruit et remonte à la hiérarchie. Domergue dépose plainte contre X à titre conservatoire pour faux et dénonciations calomnieuses. Pour le patron des gendarmes du Loiret, les choses sont claires : le juge a abusé de l'autorité que lui confère son statut. Il confie fin 2012 au Parisien : "Je reconnais que l'accueil n'a pas été satisfaisant, je le regrette et je m'en suis excusé. Mais il y a à l'évidence un problème d'ego qui a joué : le magistrat a fait état de sa fonction et a été un peu directif."

Des poursuites disciplinaires

Le juge écope d'un avertissement et se voit retirer le service des assises. Georges Domergue, dont la réputation est ternie, est peu disposé à en rester là. Il évoque l'affaire dans la presse et dépose dans le casier de ses collègues juges sa propre analyse de la situation. Puis il se met en disponibilité en septembre 2013, pour faire campagne aux municipales. Le magistrat s'incline au deuxième tour et devient élu UMP d'opposition de la commune. Inscrit au barreau de Paris, il réintègre la magistrature début novembre 2014, à un poste de conseiller à la cour d'appel de Versailles.

Le dossier n'a pas été enterré pour autant. Georges Domergue comparaît jeudi matin à Paris devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). "On lui reproche notamment un manque de délicatesse et une attitude revendicatrice envers sa hiérarchie", souligne FO-Magistrats. En clair : la hiérarchie judiciaire n'a pas digéré que le juge ait étalé le dossier sur la place publique. "Plaise ou non, poursuit FO-Magistrats, la liberté d'expression existe aussi dans les palais de justice. Georges Domergue a déjà été puni trois fois pour les mêmes faits : un avertissement, un retrait de fonctions et une poursuite disciplinaire. Les droits de la défense dans la magistrature ne sont pas assez protecteurs. On aurait voulu le briser psychologiquement qu'on aurait les moyens juridiques de le faire."

Contactée, la chancellerie ne souhaite faire aucun commentaire. "Il appartient au CSM d'apprécier et de juger les poursuites disciplinaires", explique-t-elle.

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Commentaires (82)

  • Laïcos

    Un juge courageux qui défend un quidam, cela fait bondir les bien-pensants pour qui les gendarmes seraient des gens respectables ! Hélas, pas toujours !
    Toute personne qui détient une parcelle d'autorité a tendance à en abuser et le pauvre plombier ne pesait pas lourd face à ces gendarmes. Je rends hommage au juge Domergue qui veut faire respecter la Loi !

  • jeffcostello

    Les "quelques travaux de tuyauterie" chez ce magistrat "vertueux" ont il été déclarés ?

  • introspection

    Ce n'est pas la première fois que Mr Domergue intervient...
    Je me demande si ce juge serait intervenu si le plombier était blanc" ?
    Je n'ai rien contre les personnes de couleur... C'est juste une question ?

    Je comprends très bien la réaction des gendarmes...

    C'est le monde à l'envers... L'anarchie ?