Le onzième commandement de Vallaud-Belkacem : tu ne redoubleras plus !

Les redoublements étaient de plus en plus rares. Ils seront quasi impossibles. Une mesure qui condamne les élèves fragiles, dénonce Jean-Paul Brighelli.

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Najat Vallaud-Belkacem a démenti la suppression du redoublement, mais selon la loi de 2013, le consentement des parents est obligatoire. © PDN/Sipa

Temps de lecture : 5 min

Le 24 septembre dernier, Europe 1 annonçait que l'Éducation nationale avait décidé d'interdire désormais les redoublements. Information immédiatement démentie par la rue de Grenelle, qui précise toutefois que le redoublement ne pourra plus se faire qu'en cas de rupture prolongée du lien pédagogique, et jamais sans l'accord des parents. J'imagine d'ici la probabilité d'un dialogue impromptu : "Et le vôtre, madame Michu ?" "Oh, j'ai exigé qu'il redouble sa sixième..." "Ah ? Il a un problème ?" "Pas vraiment, mais il ne maîtrise pas bien l'accord du participe avec le COD antéposé..."

Les redoublements coûtent cher

On se rappelle l'immortel principe : "Le facteur économique est déterminant en dernière instance." J'ai déjà proposé ici-même que l'on supprime le bac, sur cette base - 12 % de redoublants, en terminale, forment une minorité hors de prix pour un examen qui ne représente littéralement plus rien. Un redoublant, quel que soit son niveau, coûte à la nation près de 10 000 euros par an en moyenne. C'est bien cher, pour un bénéfice, disent les vrais pédagogues, des plus aléatoires.

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Mais l'argument économique (le seul valable, au fond) n'est pas celui qu'a retenu la presse - en particulier Libération, qui s'est fendu de plusieurs articles pour expliquer combien les enseignants sont de vrais méchants qui décident en quelques instants, dans un conseil de classe dont l'élève concerné est exclu, de l'avenir d'un enfant ou d'un adolescent, condamné aux travaux forcés, aux redites et aux révisions un an durant. Sans compter que la France, souligne l'ex-quotidien de gauche, est l'un des pays de l'OCDE qui a le plus volontiers recours aux redoublements : 1 sur 5, contre 1 sur 8 en moyenne. Et comme nous avons à coeur de ne pas nous distinguer de nos voisins, il faut mettre un terme - ou au moins des garde-fous dissuasifs - à une discrimination aussi criante.

Le Monde a, comme d'habitude, fait chorus, dénonçant lui aussi une pratique (abusive, forcément abusive) qui aurait dû disparaître avec la loi Jospin (1989), qui a marqué de façon officielle le début de l'apocalypse molle dans laquelle s'est engloutie l'école de la République.

Vieilles lunes

Le Nouvel Obs n'en a pas rajouté une couche, mais l'hebdomadaire, qui a bien voulu penser à moi tout récemment et que je salue pour les énormités énoncées et la publicité qu'il m'a faite (tout comme les Cahiers pédagogiques, qui font de mon dernier livre, Tableau noir, une critique tout en nuances), s'était déjà fendu, il y a dix ans déjà, d'une analyse de fond sur la question, preuve que Najat Vallaud-Belkacem n'innove pas : elle ressort les vieilles lunes de la pédagogogie moderne.

Il n'y a guère que France Culture et l'émission Rue des écoles de Louise Tourret (l'une des très rares journalistes à dire des choses justes sur l'enseignement, voir par exemple ce qu'elle pense du plan numérique de François Hollande dont je parlais ici-même il y a quelques jours) à avoir concocté un débat qui mettait les choses au point, confrontant un militant de l'anti-pédadémagogie et un économiste fou. À en croire ce dernier, le non-recours au redoublement s'accompagne d'une montée parallèle de la réussite des élèves. Ah bon ? Mais la France, qui a diminué de façon spectaculaire, depuis dix ans, le recours à cette pratique, voit quand même ses résultats s'effondrer. N'y aurait-il pas une contradiction ?

Peut-être devrions-nous revoir nos programmes et nos exigences. Mais le gisement d'économies serait moins évident....

Le redoublement des méritants

Passons sur le fait que le projet de loi interdisant pratiquement les redoublements n'est pas d'une exactitude juridique bien convaincante, comme l'a signalé le SNALC, l'un des rares syndicats enseignants à proposer - avec son hypothèse de "collège modulaire", qui mettrait définitivement à bas le collège unique des duettistes Giscard/Haby - une alternative un peu pensée au redoublement. La vraie question est de savoir ce qu'on met à la place (et je ne parle même pas du fait que la disparition des redoublements élimine l'un des derniers moyens de pression pour convaincre les élèves de travailler).

Les rapports nationaux et internationaux sur la question sont nombreux, et fort documentés (voir ici et là). Mais la réalité des conseils de classe, quarante ans de pratique, des décisions souvent difficiles, pesées mot à mot, voilà ce qu'il faut discuter.

Pourquoi faire redoubler un élève ? Globalement, pour son bien - et les témoignages abondent de redoublements vécus comme des secondes chances, une façon de reprendre son élan. J'ai souvenir d'une multitude de conseils de classe où nous laissions passer un élève incapable de se plier au système scolaire, tout en faisant redoubler un autre, peut-être plus apte au vu des notes, mais qui méritait de repartir sur des bases mieux étayées. La quasi-totalité de ces redoublements portent leurs fruits : faire passer de force ces gosses à la maîtrise encore incertaine, mais qui ont toutes les chances de s'améliorer, c'est les condamner à la médiocrité, à d'immenses difficultés pour suivre des enseignements dont les bases ne sont pas acquises, et, in fine, à un avenir non voulu.

Au passage, si le redoublement était mieux expliqué par le ministère, au lieu d'être vilipendé, cela permettrait de revaloriser les filières professionnelles, enfin constituées en objets de choix au lieu d'être trop souvent le déversoir de mômes qu'on n'a pas pris la responsabilité de faire redoubler, pour faire plaisir au système, et qui vont grossir les rangs des candidats à Pôle emploi. La voie professionnelle ne peut continuer à être la poubelle de la voie générale - ce que l'esquive du redoublement en fait continûment.

Dans l'intérêt de l'enfant

Alors, certes, je ne verrais que des avantages à des examens passés en septembre dans telle ou telle matière - l'été porte conseil, si on le passe à travailler. De même, bâtir des classes-relais au sein des établissements, avec de tout petits effectifs, afin de rattraper le niveau de ceux qui sont passés, est une autre perspective prometteuse, mais rarement exploitée. La détermination de classes de niveau, au collège, est une solution envisageable, pourvu que nous choisissions d'en finir avec le collège unique.

De façon générale, le redoublement doit être l'exception, mais il doit exister comme solution ultime, quand on a exploré tous les biais pédagogiques. Mais en aucun cas il ne doit dépendre de la décision des parents. Qu'on les tienne au courant, à la bonne heure ! Mais c'est aux enseignants d'expliquer le sens d'une décision toujours prise dans l'intérêt des enfants par des professionnels qui les connaissent, pédagogiquement parlant, bien mieux que leurs géniteurs. Redoubler n'est pas une honte, c'est souvent une chance. Et peu importe ce qu'en pensera Mme Michu !

Et c'est cette chance-là, offerte aux élèves les plus fragiles, que le ministère de Najat Vallaud-Belkacem prétend anéantir.

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Commentaires (177)

  • takezo26

    Redoubler ferait des bouchons dans les usines à crétins que sont nos écoles actuellement. Il faut de la place pour les enfants qui arrivent, compte tenu de notre démographie digne d'un pays sous développé. Il faut que tout est l'air de bien fonctionner ! Pourtant le redoublement a sauvé plus d'un élève de l’échec ! Mais cela il faudrait qu'elle le comprenne !
    Mais comme l'échec fait parti intégrante de l'idéal socialiste, ne soyons pas étonné de cette brillante idée de Vallaud-Belkacem ! Elle n'a jamais rien inventé de bien, et ce n'est pas maintenant qu'elle va commencer.

  • kalish

    Maximilien, au collège j'étais en véritable échec, j'ai pourtant eu un master recherche en physique. Laissez vos préjugés de côté, énormément d'élèves à fort potentiel se retrouvent en échec, la sélection organisée par l'éducation nationale n'est donc pas une bonne méthode, regardez les élites qu'on a, de vrais imbéciles.

  • ELLIOT

    Vraiment très très jeune...

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