Quand Adrien G. évoque son parcours, il bute un peu sur les mots : « Bac +4… Enfin, +4 ». Difficile d’adapter le vocabulaire avec un cursus aussi paradoxal. A 22 ans, cet étudiant non-bachelier est titulaire d’un BTS, s’apprête à valider un master 1 du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), et prépare son entrée en master 2 à l’EM Strasbourg Business School. Avant d’embrayer, il l’espère, sur un mastère spécialisé, dans une école de commerce encore plus prestigieuse que celle qu’il s’apprête à rejoindre.
Tout cela, le jeune homme l’a obtenu malgré une moyenne de 7,5 au baccalauréat en 2010, sans donc atteindre le 8 sur 20 nécessaire pour prétendre au « niveau bac ». Un trou béant sur son CV que le jeune homme n’a jamais caché : « Dans mes lettres de motivation, j’explique pourquoi je n’ai pas le bac. Je fournis aussi mon relevé de notes de l’époque. Je suis transparent dès le début. »
Incompréhension des interlocuteurs
Souvent, c’est l’incompréhension qui domine chez ses interlocuteurs, même cinq ans après son échec : « J’ai toujours des comptes à rendre. Quand j’ai déposé mon mémoire de master 1 (M1) au CNAM récemment, la responsable de formation est venue me dire qu’il n’était pas possible d’avoir un BTS sans le bac », sourit le jeune homme.
Lui aussi a cru que le bond en avant dans le supérieur était impossible. Après son échec au bac S, il n’envisage pas de redoubler sa terminale. « Je n’étais pas intéressé par l’école, et je voulais prendre un an de pause quoi qu’il arrive », explique-t-il. Il passe une année à enchaîner les petits boulots, en France puis à Londres. Et épluche les forums sur internet qui rabâchent que non, un BTS sans bac, ça n’existe pas.
Pourtant, rien n’interdit légalement les candidats ayant échoué à l’examen de postuler en BTS, ou dans d’autres formations du supérieur, comme celles du Conservatoire national des arts et métiers. Mais en réalité, c’est très rare. Dans les établissements publics, les places sont trop limitées et recherchées pour que ces profils atypiques y aient leur chance. Les non-bacheliers doivent donc souvent se tourner vers des établissements privés, coûteux et parfois peu réputés, dont certains proposent de préparer le bac en parallèle de la première année. Adrien, qui vit alors en région parisienne, doit opter pour un réseau d’établissements à une heure trente de trajet de chez lui. L’ambiance y est peu propice au travail, avec un brouhaha qui lui « rappelle le collège », mais le jeune homme n’a guère le choix.
« Quelque chose d’autre à défendre »
Même dans une école privée peu regardante, il faut se battre pour être admis : « Sans le bac, tu dois montrer que tu as quelque chose d’autre à défendre », explique le jeune homme : un supplément de motivation, un objectif professionnel déjà tracé ou quelques lignes en plus sur son CV.
Le Strasbourgeois, lui, mise d’emblée sur un parcours en alternance. Ce qui l’oblige à multiplier les coups de fil pour trouver un employeur au début de son cursus en BTS. « C’était très difficile d’obtenir un entretien, mais dès que j’avais la chance d’en avoir un, je pouvais défendre mon dossier et ça a toujours marché », poursuit-il. Au final, sa stratégie a payé : « Je travaille depuis quatre ans, alors que je n’ai que 22 ans. Ça me permet d’être jugé sur autre chose que mon parcours scolaire seul », explique l’étudiant.
A l’issue du BTS, ce parcours original lui permet d’entrer en licence de droit économie gestion au CNAM de Strasbourg. De telles admissions se font « en concertation avec le responsable pédagogique, et pour certaines filières seulement » y précise-t-on. Adrien enchaîne sur un master 1 de responsable de gestion, toujours au sein du Cnam, et débutera en septembre un master 2 Supply Chain management au sein d’une école de commerce cotée, l’EM Strasbourg Business School.
« Valeur ajoutée »
Ce parcours montre toute la difficulté de faire ses preuves dans un système éducatif où le baccalauréat est un Graal quasi sacré. Pourtant, le Strasbourgeois ne voudrait repasser le bac pour rien au monde. Par manque de temps d’abord, mais aussi parce qu’il a fait de ce non-diplôme un moyen de se démarquer : « Après, ce sera moins drôle, plaisante le Strasbourgeois. Mon parcours montre que je suis résilient, c’est apprécié ». D’autant plus que selon lui, « les écoles de commerce misent beaucoup sur la diversité ».
Adrien G. souhaite montrer la voie à d’autres élèves de terminale qui ont échoué au baccalauréat : 12 % des candidats étaient concernés en 2014. L’étudiant laisse aujourd’hui quelques messages sur les forums en ligne qu’il consultait auparavant, et répond à de nombreux angoissés sur Facebook. « Je souhaite leur dire que c’est possible de faire des études sans le bac. Je leur conseille de bouger, de prendre une année pour faire autre chose. C’est ma valeur ajoutée, et je veux la partager », explique-t-il.
Une « valeur ajoutée » qui n’apaise pas ses doutes : « J’ai toujours une appréhension parce que je n’ai pas le bac. Je sais que ça peut coincer à n’importe quel moment », confie-t-il. Chaque année, au moment du bac, « quand j’entends que les autres le passent, ça me fout un petit coup ». Une montée de stress plutôt que de nostalgie : « Parfois je me dis qu’il y a eu un bug, que je suis passé entre les mailles du filet, et que je ne devrais pas être là où je suis aujourd’hui », poursuit le jeune homme. Il nous demande d’ailleurs de vérifier dans les textes officiels qu’un BTS obtenu sans le bac est bien légal. « Ca me rassurerait », insiste-t-il.
Adrien G. voudrait pouvoir tourner la page : « Peut-être qu’un jour on me laissera tranquille avec ce bac. » Au prix de nouvelles compétences et expériences sur son CV, et d’un parcours scolaire de plus en plus fourni. Quitte un jour à rendre moins visible la fameuse ligne manquante.
Nous publierons dans les prochains jours d’autres témoignages et des informations pratiques sur la poursuite d’études supérieures sans le bac.
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