Paris, le 24 octobre,

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Je me devais sans languir vous conter, ma mie, l'étrange visite que je rendis récemment au comte d'Artois qui, pour le présent, se trouve alité, pris de fortes fièvres.

Le comte m'avait fait tenir un billet: il se montrait pressant, inquiet, laissant croire que ses jours étaient comptés. Toujours suspicieux, il m'enjoignait de venir seule, à la nuit tombée.

Je le trouvai seul en son manoir de Neuilly: il avait congédié tous ses gens, feignant ourdir quelque rendez-vous galant ce qui, je vous le confesse, n'est guère en ses moeurs.

Quel ne fut pas mon étonnement de découvrir l'antre du comte! Un petit palais de plaisirs adorné de toiles d'un genre plutôt leste, aux murs chargés de lourds miroirs vénitiens: un écrin baroque encombré de cariatides et de statues de musculeux éphèbes! L'air vint à me manquer dans cet univers de festons, de pampilles, de dentelles et de brocards.

Vous me savez parfois un peu vipérine et, en dépit de l'affection que je porte au comte, je ne pus m'empêcher de penser qu'Artois avait d'insoupçonnables goûts de cocotte.

J'eus peine de le voir, alangui sur une méridienne de couleur melon, vêtu d'une ample veste cramoisie à brandebourgs noirs. Son teint jaune de coing trahissait son état: par le Ciel, je ne le confesse qu'à vous-même, il était parfaitement ridicule, coiffé qu'il était d'un énorme bonnet de turc d'un vert éclatant. Le sachant à cheval sur l'étiquette, je me retins de sourire.

Sur un petit guéridon, trônaient force potions, onguents et fioles: une authentique apothicairerie.

- Madame, vous me voyez aux confins de la mort!

- Comte, Artois, mon ami, votre mine ne révèle point votre agonie!

- Votre bonté vous abuse, Madame. Je suis à la lisière de l'extrême onction.

- Patience, comte! Votre guérison est imminente. Votre oeil est vif, et vos gestes sûrs. Avant peu, vous aurez recouvré une éclatante santé.

- Le Ciel vous entende!

- Mais, pardonnez mon insatiable curiosité: vous ne m'avez point conviée pour m'entretenir de votre santé.

- Si fait, Madame. Si fait. Dois-je avouer que j'ai la plus grande peine à vous révéler un lourd secret qui pèse sur ma poitrine comme pied de cheval. Je peine à respirer, la fièvre enflamme mon esprit, je ne dors point, morigène mes gens à l'excès: rien ne me délivre, pas même le champagne. Il me faut, Madame, vous confesser un lourd péché. Mes sangs sont trop échauffés, mes nerfs sont à vif, ma chair est meurtrie: je ne puis continuer à endurer ainsi tous mes tourments. Madame délivrez moi du mal qui me gagne et me ronge.

- Comte, mon cher Artois...

- Madame, Philippe...

- Ha! Philippe... Je ne puis me retenir de m'inquiéter: auriez-vous, Philippe, forcé sur la coke? L'ecsta? La met'?

- Point, Madame. Mon seul vice tient dans les bulles du champagne. Et puisque nous y sommes, faisons tomber une roteuse qui nous déliera la menteuse. Cul sec!

Passées quelques flutes, le comte se trouva nettement plus fringant, voire primesautier.

- Marquise, je me déboutonne! Sans tarder, je me jette à vos pieds, implorant votre pardon. J'ai commis l'irréparable, l'inavouable! J'ai consenti à rencontrer la Marinella, la patronne de la Ligue de l'Ordre noir! C'est ma faute, ma très grande faute!

- La Marinella? En voici une affaire! Il se paraît que l'on se bouscule en son manoir de Montretout, qui pour une audience, qui pour une allégeance, qui pour une guérison; une véritable cour des miracles.

- Elle en est partie, fâchée qu'elle se trouve avec son truculent père, après que son molosse sanguinaire a bouffé son chat.

- Mais, Comte, Philippe, vous n'êtes point seul: à ce que l'on mande, la Cour a pour elle les yeux de Chimène, et nombre de courtisans la voient déjà reine de France!

- Innocente que vous êtes, Marquise! Ils ne cherchent qu'à se placer, sauvegarder leur avenir et conserver leurs charges!

- Ils ne perdent pas de temps!

- Je vous le concède. Mais je me dois de vous livrer la teneur de notre entretien. Je sais pouvoir compter sur votre silence, aussi vais-je tout révéler. L'affaire se noua en lisière de la forêt de Fontainebleau, en un charmant village truffé de rapins et d'auberges galantes.

- Barbizon.

- Si fait, Marquise. Google Maps ne vous fait point défaut. La Marinella avait fait vider l'auberge de ses clients à des fins que nous nous trouvions seuls, loin de la curiosité malsaine de ces gazetiers que l'on nomme, je ne sais pourquoi, paparazzi. En lieu et place cantonnaient ses sbires, ses séides, ses Prétoriens, armés jusques aux dents. Des malabars, des affreux aux trognes savamment couturées. La Marinella, vêtue d'une ample robe blanche, en cheveux, m'attendait dans une petite suite au décor fort simple.

- Artois, siffla-t-elle d'entrée de jeu de sa voix impérieuse, je ne tournerai point autour du pot. Je compte, ainsi que vous le savez, être bientôt sacrée reine de France. Et dans l'esprit d'assouvir mon dessein et sceller mon destin, je me dois de requérir vos lumières. Je vous sais proche de mes ennemis et peu embéguiné de ma cour. Baste! En un mot comme en cent, la chienlit me porte sur les marches du pouvoir. Voyez un peu: le roi, le Flou, et son Grand chambellan, le Catalan, en viennent à s'entre-déchirer. Le roi se prend de le flétrir publiquement après l'avoir couvert de louanges et de médailles. Monsieur de Sarcosie, ce nain féroce, et Monsieur de Juppé, ce pète sec, se vouent une haine mortelle: qui va donc flinguer l'autre? Les voici donc tous à me construire une voie sacrée pour me porter sur le trône de France. Mais il y a un os, un hic, une couille dans le potage.

- Votre père, Madame.

- Tout juste ! J'éprouve toutes les peines du monde à le faire descendre du cocotier. Il me nuit, me hait, me harcèle, nourrit mes ennemis, souille mon honneur de ses aphorismes de collabo.

- Serait-ce, Madame, la raison qui vous commande de changer le nom de votre ligue à des fins de le destituer sans le destituer tout en le destituant?

- Voici qui est peu tarabiscoté, mais il y a de la vérité dans ce propos. Et vous n'êtes pas sans savoir que j'entends conférer à ma clique les atours d'une pureté toute virginale.

- Tout en conservant les bénéfices de votre petite boutique des horreurs... Voici, Madame, qui va vous contraindre à quelques acrobaties, car vous ne pouvez tout à la fois caresser le rêve de diriger une ligue disons, présentable, sans pour autant renoncer à incarner la sédition, la rébellion, le péché qui sont large part de votre fortune. Vous ne pouvez, Madame, trahir tous ces gueux, ces illettrés, ces sans dents qui vous parent des châsses d'une icône. Vous êtes, Madame, la Madone des meetings! L'on ne vous voit guère, Madame, descendre de ce piédestal pour vous commettre dans la vulgate de vos adversaires. Vos fans, vos zélotes, vos disciples ne vous le pardonneraient point.

- Ha! Comte, serait-ce là mission impossible?

- Je le crains, Madame. Je crains tout autant que vos imprécations ne se fracassent sur les écueils de la réalité.

- Vous entendez, Comte, que je ne serais pas à même de régner?

- Pour ce faire, Madame, il vous faudra passer par les fourches caudines des proconsuls de Bruxelles; vous n'aurez d'autre choix que celui de renoncer à abandonner l'écu au profit de la livre tournois que vous chérissez tant.

- Jamais! Ventredieu! Plutôt crever!

- Madame, vous avez vous-même mandé que cet abandon, ce renoncement ne serait décidé qu'après un purgatoire de six mois. Vous fûtes donc sensible à ceux des vôtres qui vous soufflent de faire montre de réalisme. Vos futurs sujets, Madame, ne se montrent point entichés de vos dires sur les questions financières. S'ils s'embrasent lorsque vous venez à dénoncer les hordes barbares qui envahissent nos contrées, pillant, volant les biens durement acquis par nos commensaux, ils sont moins enfiévrés lorsque vous vous prenez d'évoquer vos remèdes pour sortir le royaume de l'ornière.

- Cela n'a guère empêché mon père d'emporter de brillants faits d'armes!

- Gagnés auprès des cochers, des aubergistes, et des petits boutiquiers, enamourés par son vocabulaire outrancier: bougnoules, melons, niaquoués, fellouzes, métèques...

- Il suffit, Comte, toute ma vie durant, ces mots ont corné mes oreilles! En un mot comme en cent, êtes-vous prêt à me conférer vos lumières à des fins de faire d'une vilaine chenille un charmant papillon?

- Je ne suis point Monsieur de Buffon, Madame.

- Je vous savais précieux, mais non ridicule et si timoré. Allez au diable! Rejoindre céans vos amis de la Cour. Vous n'êtes point résolu à franchir le Rubicond.

- Je ne traverse point les miroirs, Madame. Je m'y regarde, même si parfois, cela me navre.

- Voici donc, Marquise, le récit fidèle de mon entrevue avec la Marinella. Cette confession m'a presque rétabli. Presque est le mot juste, mais mes tourments me hantent sans cesse aucune. Je ne puis me départir de l'idée que la Cour déploie à présent tous ses talents pour porter la Marinella sur le trône. Les effluves d'un parfum de Weimar viennent à alerter mes sens. De façon triviale, je manderais que cela sent la patate.



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