L’intronisation, lundi 20 octobre à Djakarta, du nouveau président indonésien, Joko Widodo, a coïncidé avec l’ouverture du procès, dans la lointaine province de Papouasie, de deux journalistes français arrêtés le 6 août pour avoir exercé leur métier sans obtention préalable de visa de presse. La nouvelle donne politique pourrait être un facteur favorable aux deux accusés, le nouveau chef de l’Etat incarnant une personnalité attachée à rompre pour de bon avec le passé répressif de l’archipel.
Thomas Dandois, 40 ans, et Valentine Bourrat, 29 ans, réalisaient un documentaire pour la chaîne de télévision franco-allemande Arte dans cette province rebelle, dont le rattachement à l’Indonésie en 1969 n’a jamais pu recueillir l’approbation d’une majorité de la population papoue, culturellement et géographiquement aux antipodes du reste de l’archipel. L’autre moitié de cette grande île est occupée par la Papouasie Nouvelle-Guinée, indépendante depuis 1975 après avoir été une colonie australienne.
S’exprimant au sein du tribunal de Jayapura, capitale de la province de Papouasie, le procureur Sukanda a accusé les deux journalistes d’avoir interviewé des responsables d’une « organisation criminelle armée » sans visa de presse, « ce qui est nécessaire pour mener des activités journalistiques en Indonésie ».
« Ils ont tous les deux admis, a poursuivi le procureur, avoir réalisé un reportage en Papouasie pour comprendre les coutumes, la culture l’histoire et la société ainsi que les raisons pour lesquelles des civils armés combattent le gouvernement. »
PERMIS SPÉCIAL POUR LES JOURNALISTES
Au vu de la situation troublée dans la région, l’Indonésie impose un permis spécial aux journalistes désireux de travailler en Papouasie. En réalité, les demandes d’autorisation ne sont pas toujours accordées ou alors après des délais très longs et le journaliste qui a la chance d’être autorisé à se rendre dans cette province est étroitement surveillé par les autorités locales.
Avant leur arrestation, Thomas Dandois et Valentine Bourrat avaient rencontré dans la ville de Wamena des séparatistes du Mouvement de libération de Papouasie (OPM), le plus important groupe séparatiste. Quelques jours avant l’arrestation des deux Français, deux policiers avaient été tués dans une embuscade avec des séparatistes, une coïncidence malheureuse qui a sans doute provoqué la colère des autorités locales. D’ordinaire, les journalistes arrêtés en Papouasie sans visa de presse sont rapidement expulsés et déclarés « persona non grata ».
Le délit qu’on leur reproche peut être puni d’une peine de cinq ans d’emprisonnement mais l’avocat de la défense, Aristo Pangaribuan, a estimé que les chefs d’accusation retenus n’étaient pas « sérieux ». A Paris, la présidente du Comité de soutien aux deux accusés, Marie-Cécile Destandau, a espéré que ces derniers « ne soient condamnés qu’à une peine minimale correspondant à la durée de leur emprisonnement ». Comme cela a déjà été le cas pour des cas semblables en Indonésie, tel le journaliste américain William Nessen, arrêté en 2003 dans une autre province rebelle, celle d’Aceh. Il fut libéré au terme de la peine qu’il avait déjà effectuée avant son procès.
La province de Papouasie est restée à l’écart du spectaculaire processus de démocratisation de l’Indonésie enclenché après la chute de l’ancien dictateur Suharto en 1998 : arrestations arbitraires, toute-puissance des militaires et des policiers, exécutions de suspects et disparitions restent monnaie courante dans cette partie extrême-orientale de l’archipel.
APPROCHE PRAGMATIQUE FONDÉE SUR LA DÉMOCRATIE
Mais les déclarations faîtes par Joko Widodo, le nouveau chef de l’Etat, après sa victoire aux élections de juillet, peuvent faire penser que ce jeune président, né dans un bidonville et que rien ne rattache aux années de dictature, est décidé à faire bouger les choses. « J’entends donner à la Papouasie une attention toute spéciale », vient de déclarer « Jokowi » – c’est ainsi que tout le monde le surnomme – dans une interview accordée au quotidien australien Sydney Morning Herald. Selon lui, une approche pragmatique, fondée sur la démocratie, les libertés et les avancées sociales, pourrait aider à résoudre la crise. S’il y parvenait, il réussirait à éliminer les dernières séquelles de la dictature.
Reste à savoir comment « Jokowi » sera en mesure de répondre aux attentes des Papous, menacés démographiquement par l’arrivée toujours plus importante de migrants venus d’ailleurs en Indonésie, la richesse de la province en minéraux faisant d’elle une terre convoitée.
Autre déclaration rassurante pour le sort de Thomas Dandois et Valentine Bourrat : durant sa campagne électorale, en juin, le futur président avait estimé que l’Indonésie « n’avait rien à cacher en Papouasie », que cette région était « sûre » et qu’il n’y avait aucune raison pour ne pas laisser libre accès aux journalistes et organisations étrangères…
Le juge chargé du procès des deux journalistes a déclaré à l’issue du premier jour d’audience que le verdict pourrait être rendu dès vendredi.
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