Tank il y aura des hommes

La révolution n'est pas un dîner de gala, disait Mao; la guerre non plus. Après le Débarquement et la Libération de Paris, le conflit se poursuit pendant de longs mois dans des conditions parfois atroces, en particulier dans les Ardennes, au passage du Rhin ou dans la forêt Noire. Dans leur folie suicidaire, les nazis refusent de capituler, s'arc-boutent à la moindre parcelle de terrain, envoient des enfants au casse-pipe. Ceux qui refusent d'endosser un uniforme sont exécutés ou pendus.

En pénétrant plus avant sur le sol allemand, les hommes de Don « Wardaddy » Collier, chef de char servant dans la 2e Division blindée, découvrent un nouveau versant de l'horreur. Pourtant, ils en ont eu leur compte depuis trois ans, en Afrique du Nord ou en Italie.

Avril 1945. Jusqu'à cette date, « Wardaddy », dont le dos atrocement brûlé porte les stigmates de combats acharnés, a réussi à sauver « Fury », le char Sherman qu'il commande avec un sang-froid mais aussi un sens de la discipline qu'il n'est pas toujours facile de faire respecter. Ses hommes sont loin d'être des enfants de choeur et la haine qu'ils éprouvent pour les nazis les pousserait à commettre les pires exactions, y compris vis-à-vis des populations civiles.

Frontières ténues entre le bien et le mal

Au cours de cette dernière phase de la guerre, des actes héroïques ont été accomplis, mais bien des saloperies ont été commises aussi. Face à l'abjection nazie, les frontières entre le bien et le mal s'estompent. La violence se déchaîne d'autant plus que si les Allemands ont perdu la guerre, ils sont capables encore de gagner quelques batailles.

Autour de « Wardaddy », ils sont trois rescapés du désert africain. Le mitrailleur, Boyd « Bible » Swann, manoeuvre le système d'artillerie du Sherman. Quand il ne tue pas des nazis, ce qui lui procure apparemment une certaine jouissance, il lit les Saintes Ecritures. A ses côtés, son chargeur, Grady « Coon-Ass » Travis, une brute épaisse et inquiétante. Trini « Gordo » Garcia pilote son char avec une maestria exemplaire, même s'il est souvent ivre. Face aux redoutables Tigre allemands, le principal atout du Sherman est sa mobilité; le rôle du pilote est décisif. On le mesurera dans une scène spectaculaire de bataille en terrain plat, où deux Sherman se font détruire avant que « Fury » ne trouve un défaut dans l'armure de son monstrueux adversaire.

Si « Fury » a échappé jusqu'à présent à la destruction, les soldats qui vivent soudés dans son habitacle depuis des mois savent qu'il n'est pas indestructible. Eux-mêmes se savent mortels. C'est d'ailleurs leur second mitrailleur, tué au cours d'un affrontement, que le jeune Norman Ellison, vient remplacer. Il ne sait rien du maniement des armes; il a été recruté comme... dactylo. Son inexpérience représente un danger pour l'équipage : au combat, la moindre hésitation est fatale. Sous la poigne de fer de « Wardaddy », le « bleu-bite » tournera vite au chien de guerre.

Le réalisateur David Ayers joue la carte du réalisme avec une efficacité redoutable. Même si le scénario respecte un peu trop les codes hollywoodiens, le côté spectaculaire des séquences de combat, la brutalité et l'ambiguïté qui se dégagent de ces soldats poussés au paroxysme de la violence, la complexité des situations morales qu'ils doivent affronter, emportent l'adhésion.

A côtoyer pendant plus de deux heures ces cinq hommes en colère, on comprend ce qu'ils ressentent dans la matrice de leur tank : ils sont habités par lui autant qu'ils l'habitent.