Dans le sud du Mexique, l'angoissante litanie des disparitions

Dans le sud du Mexique, l'angoissante litanie des disparitions

Il y a deux ans, dans l'Etat mexicain de Guerrero (sud), Manuel ...
Graffitis, le 20 octobre 2014, demandant le retour des 43 disparus sur un bâtiment officiel dans la ville de Chilpancingo, dans l'Etat de Guerrero, Mexique
Graffitis, le 20 octobre 2014, demandant le retour des 43 disparus sur un bâtiment officiel dans la ville de Chilpancingo, dans l'Etat de Guerrero, Mexique - Eduardo Guerrero AFP
© 2014 AFP

© 2014 AFP

Il y a deux ans, dans l'Etat mexicain de Guerrero (sud), Manuel a été séquestré et battu par un gang pendant huit semaines, avant d'être miraculeusement relâché. Mais son cas reste une exception, dans cette région où 43 étudiants sont toujours portés disparus.

Séquestré avec 15 autres personnes, il a dormi pendant cette période en plein air, malgré les intempéries, les yeux bandés et les mains attachées, souffrant des mauvais traitements de ses ravisseurs.

«La première semaine, ils nous frappaient tous les jours, jusqu'à perdre connaissance», raconte à l'AFP cet homme robuste d'âge moyen, dont le prénom a été modifié pour raisons de sécurité.

Selon Manuel, s'il a été libéré par les narcotrafiquants, c'est parce que ces derniers ont vérifié qu'il n'était pas un informateur d'un gang rival, et en raison de sa santé fragile.

Dans l'Etat de Guerrero, le plus meurtrier du Mexique (63 homicides pour 100.000 habitants en 2013), peu ont eu la même chance que lui : la région compte des dizaines et des dizaines de disparus, et depuis le début de l'année plus de 80 cadavres ont déjà été trouvés dans des fosses clandestines.

«Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement prend peur aujourd'hui avec l'affaire des étudiants» (disparus le 26 septembre à Iguala après une fusillade impliquant la police locale alliée au gang criminel Guerreros Unidos), remarque Manuel.

Car pour l'ancien otage, qui redoute encore de sortir dans la rue, c'est bien avant qu'il aurait fallu réagir : «Ici, nous avons vécu le pire.»

Maria Guadalupe Orosco peut en témoigner. Larmes aux yeux, elle se souvient comment son fils Francis, âgé de 32 ans, a disparu avec cinq amis après une fête de village en 2010.

Elle assure que selon des témoins, c'est l'armée elle-même qui les a enlevés. Depuis, elle n'a de cesse de dénoncer son cas auprès des autorités pour se faire entendre.

«Comme cela fait longtemps qu'ils ont disparu, alors ce n'est plus douloureux ?», demande, en colère, cette mère de cinq enfants, s'indignant que le gouvernement, après la découverte d'une fosse contenant 28 cadavres à Iguala, se soit borné à dire qu'il ne s'agissait pas des étudiants disparus, en se fondant sur les analyses ADN.

Ces corps «ont eux aussi un nom et une famille», insiste-t-elle.

- 'L'Enfer' -

Depuis qu'a été lancée en 2006 une vaste offensive militaire contre le narcotrafic, on compte officiellement 22.322 personnes «non localisées» au Mexique.

Le chiffre réel pourrait être encore plus élevé, car de nombreuses familles de victimes préfèrent ne rien dire, redoutant la connivence entre autorités locales et cartels.

A juste titre : ces derniers jours, le gouvernement a dû désarmer les polices municipales d'Iguala et de 14 villes alentours, en raison de leurs liens supposés avec le crime organisé.

C'est notamment le cas de la petite commune de Cocula, proche d'Iguala, où les rues sont désertes dès 20h00 et où les habitants, terrorisés, racontent avoir dû réunir des rançons de jusqu'à 15.000 dollars pour faire libérer des proches.

«Aux mains de qui sommes-nous ?», s'interroge, inquiet, un habitant, qui n'a jamais dénoncé officiellement l'enlèvement de sa nièce.

Pendant que se poursuivent les recherches des étudiants, les autorités fédérales ont pris le contrôle de la zone, un soutien bien accueilli par les habitants, qui regrettent toutefois cette prise de conscience tardive.

«Ici, on aurait dû agir il y a des années, si on l'avait fait on ne serait pas aujourd'hui en train de regretter» la disparition et possible mort de ces 43 étudiants, témoigne César Peñaloza, maire de Cocula, qui a failli mourir l'an dernier dans un attentat.

Quelques kilomètres plus loin, à Teloloapan, le maire Ignacio Valladares est du même avis : «C'est bien que (les forces fédérales) soient là, mais quel dommage que ce soit pour ces circonstances lamentables à Iguala», dit l'édile, protégé jour et nuit par 11 gardes du corps.

Dans cette petite ville de 50.000 habitants, surnommée par beaucoup «L'Enfer», plus d'une douzaine de meurtres ont été recensés ces 15 derniers jours.

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