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L’impossible réforme des tribunaux de commerce

Un rapport de l’Inspection générale des finances rendu public par Arnaud Montebourg avant son départ du gouvernement confirme que des professions « réglementées » liées aux tribunaux de commerce bénéficient de rentes de situation scandaleuses. François Colcombet, magistrat honoraire, ancien député (PS), appelle à leur réforme.

Publié le 22 octobre 2014 à 11h46, modifié le 19 août 2019 à 14h31 Temps de Lecture 5 min.

En 2008, le gouvernement Fillon avait redessiné la géographie judiciaire, provoquant notamment la fermeture de 55 tribunaux de commerce. Il en reste 134.

Pour lever certains blocages de notre économie, le gouvernement dispose depuis des mois d’un rapport de l’Inspection générale des finances qui, rendu public par Arnaud Montebourg avant son départ du gouvernement, confirme que des professions « réglementées » liées aux tribunaux de commerce bénéficient de rentes de situation scandaleuses : le revenu net moyen mensuel des greffiers des tribunaux de commerce s’élève à 29 177 euros et, pour les 25 % les mieux rémunérés, s’envole à 38 777 euros ; celui des administrateurs et mandataires judiciaires dépasse les 25 000 euros et, pour les 25 % les mieux rémunérés, les 33 700 euros !

Notons, à titre de comparaison, que les notaires et les pharmaciens gagnent en moyenne 13 284 et 7 671 euros. Rappelons que les greffiers des tribunaux de commerce – qui, à l’instar de tous les tribunaux, sont des services publics – ainsi que les administrateurs et mandataires judiciaires sont à la tête de charges qu’ils ont achetées et peuvent revendre.

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Et précisons que ces greffiers, administrateurs et mandataires sont des créanciers « prioritaires » des entreprises dont ils ont à connaître les difficultés en vertu de décisions du tribunal de commerce. Des difficultés que leurs fortes ponctions aggravent : quelque 90 % de ces entreprises finissent liquidées, tandis que leurs sous-traitants, créanciers ordinaires, passent après eux et, le plus souvent, devant la glace, ce qui les met à leur tour en difficulté…

La gauche elle-même est un peu responsable de ce grabuge. Elle a certes par deux fois courageusement essayé de réformer les tribunaux de commerce qui, ne serait-ce que par ces rémunérations extravagantes de leurs auxiliaires, font figure de naufrageurs de notre économie.

Robert Badinter roulé dans la farine

Mais ces réformes ont échoué. Robert Badinter s’y était d’abord attelé. Certes, il obtint la suppression des syndics au profit de la création des mandataires de justice, d’un côté, des liquidateurs, de l’autre. Ce fut au prix de concessions accordées aux professionnels intéressés qu’il connaissait bien, en particulier le renforcement du rôle du tribunal de commerce au détriment de celui de la cour d’appel et une amélioration du barème de leurs rémunérations.

Mais après ces cadeaux, dont le vote par l’Assemblée nationale avait permis aux uns de gagner du temps et au gouvernement d’en perdre, l’adoption de l’« échevinage », autrement dit d’une composition mixte du tribunal de commerce (un magistrat professionnel entouré de deux juges élus) a été bloquée en fin de législature par la démission du président du tribunal de commerce de Paris : la gauche, peu familière des arcanes commerciales, en fut tétanisée.

lorsque la gauche revint au pouvoir en 1997, une autre réforme, celle-ci d’origine parlementaire, se profila. Elle s’imposait d’autant plus que certains tribunaux de commerce, et non des moindres, qui avaient été entre-temps le théâtre de scandales, s’étaient transformés en de véritables coupe-gorge.

La première expérience avait servi de leçon : à la différence de Robert Badinter qui, victime de son urbanité d’avocat d’affaires, s’était fait rouler dans la farine, les députés y allèrent « à la hache » en confiant le rapport de la commission d’enquête parlementaire à Arnaud Montebourg. Le résultat fut impressionnant et même un peu paniquant pour la gauche de gouvernement.

Obstruction

Seul le ministre du budget de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, avait alors vu les enjeux et fait un geste en acceptant de créer des postes de juges qui seraient nécessaires en cas d’adoption de la réforme. Le premier ministre et la garde des Sceaux, désireux de savoir où ils mettaient les pieds, commandèrent… un nouveau rapport à des hauts fonctionnaires.

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Bien que le résultat fût identique, il fallut encore bien des palabres et même des pétitions pour que des projets de loi viennent en discussion au parlement. Mais cette fois encore les juges consulaires firent de l’obstruction, usant de la démission ou de la grève qui obligeait les tribunaux civils, compétents en pareil cas, à prendre leur relais.

Malgré ces retards, la réforme fut votée à l’Assemblée puis au Sénat. On en était à la fin de la navette parlementaire, il ne restait plus qu’un ultime vote de pure forme à obtenir, quand le premier ministre décida de renoncer et de faire voter en urgence – la législature finissait – la loi prévoyant « l’inversion du calendrier », c’est-à-dire l’élection présidentielle avant celle des députés.

Sans doute Lionel Jospin voulait-il donner une leçon à l’un des promoteurs de la réforme qui, en créant l’association pour la VIe République, lui avait beaucoup déplu. Quoi qu’il en soit, cette deuxième tentative était manquée. Puis Lionel Jospin fut battu à la présidentielle, et la droite commença de détricoter ce qu’avait fait la gauche ; mais ses ardeurs furent modérées par la condamnation retentissante d’un certain maître Aubert, mandataire judiciaire et longtemps président nationale de cette profession, qui avait été aussi le mandataire… financier du député Perben, devenu ensuite ministre de la justice !

Propositions mesurées

Dix ans plus tard, la gauche est revenue avec François Hollande et Jean-Marc Ayrault qui, proches témoins de la tentative avortée sous Jospin (ils pilotaient alors respectivement le parti socialiste et le groupe PS à l’Assemblée), savaient combien cette réforme, toujours nécessaire, était périlleuse. On s’en remit, cette fois encore, à une initiative parlementaire.

La commission présidée par Cécile Untermaier, députée (PS) de la Saône-et-Loire, a fait des propositions mesurées que la chancellerie a examinées avec la prudence qui s’imposait. Le projet de loi n’envisage pas l’échevinage en première instance mais à la cour d’appel. Cette disposition convenable aurait dû séduire les juges consulaires. Mais il n’en est rien : ils craignent que les députés introduisent par amendement l’échevinage en première instance. On en est là.

Tout est de nouveau en place pour que le temps de la législature soit gaspillé en pure perte. Ou plutôt, on en était là, jusqu’à ce qu’Arnaud Montebourg, toujours ministre, rende public le montant des émoluments des greffiers et autres auxiliaires. S’ensuivit une protestation de la garde des Sceaux estimant qu’il lui avait grillé la politesse…

Le public n’est-il pourtant pas en droit de se demander si, oui ou non, on réformera quelque peu les professions réglementées et si on osera enfin toucher au cœur du système que sont les tribunaux de commerce ?

François Colcombet, magistrat honoraire, ancien député (PS) et président de la commission d’enquête parlementaire sur les tribunaux de commerce (1998-1999)

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