La femme de ménage a volé, mais a-t-elle tué ?

Bnina Bouzoumita comparaît pour "vol avec violence ayant entraîné la mort" après qu'une de ses employeuses a été retrouvée morte dans sa baignoire.

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Le palais de justice de Paris. Photo d'illustration.
Le palais de justice de Paris. Photo d'illustration. © AFP

Temps de lecture : 5 min

Une cour d'assises perd parfois de sa superbe. Mercredi, à 21 heures passées, les jurés mâchent du chewing-gum, la salle ose des paris sur l'issue du procès, les avocats se passent la main sur le visage et on n'annonce plus la cour lorsque sonne la reprise de l'audience. La journée a été longue, c'est vrai, et l'accusée ne facilite pas la tâche du tribunal qui essaie de l'entendre depuis deux bonnes heures. Bnina Bouzoumita s'est évanouie dans l'après-midi, a demandé plusieurs fois du repos, parle d'une voix faible et dans un mauvais français. Elle a 40 ans, mais en paraît 10 de plus. Elle est accusée de vol avec violences ayant entraîné la mort sur la personne de Michèle Laforge, 64 ans, chez qui elle faisait des heures de ménage.

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Le 13 décembre 2011, Hervé Laforge, vétérinaire, a rendez-vous pour déjeuner avec son épouse et un invité inconnu - une "surprise", lui a dit Michèle. Sa clinique est située à deux pas de leur appartement du 15e arrondissement, son épouse gère la boutique Chats comme chiens, attenante au cabinet. Le mari attend, appelle, s'inquiète, mange cependant avec un ami venu lui tenir compagnie, rentre chez lui vers 15 heures pour s'enquérir de sa femme. Il la découvre dans la baignoire de leur salle de bain. Son visage, couvert d'une mousse blanchâtre, est immergé dans de l'eau rougie. Elle est à demi dévêtue, les pieds émergent seuls du bain, chevilles croisées. Il y a des traces de sang en plusieurs endroits de l'appartement et un cheveu ensanglanté dans l'évier. On trouve des photos de la mère morte de la défunte sur une commode, des documents sur les dispositions à prendre en cas de décès sur un bureau.

"Béances"

L'autopsie conclut à une mort par noyade. Pour le reste, le légiste n'est guère affirmatif. Le coup à l'arrière du crâne est superficiel : de quoi sonner quelqu'un, guère plus. Le corps ne présente pas de "zones de ripage" qui indiqueraient qu'il ait été traîné. Seulement un hématome sur l'avant-bras causé juste avant ou juste après la mort. Michèle Laforge serrait dans son poing le cordon d'un sèche-cheveux branché, mais son corps ne présente pas de marques d'électrocution. Les proches jugent le suicide hautement improbable.

Des lacunes, donc. Des "béances", selon le jeune avocat, Me Thibaut Cotta, qui a charge de la défense de Bnina Bouzoumita. Les enquêteurs croient en une dispute qui a mal tourné, après que Michèle Laforge a surpris son employée en train de voler. "Ils reconnaissent avoir fonctionné par déduction, insiste Me Cotta. Dès lors qu'il y avait la femme de ménage, l'enquête était close." Il faut dire qu'elle a tout de la coupable idéale : elle ment, mal et abondamment. Entendue par la police, elle nie d'abord avoir quitté son domicile le jour du drame. Puis admet, puisque le bornage de son téléphone le prouve, être allée dans le quartier - déposer des petites annonces et acheter un fer à repasser chez Darty, selon elle. Enfin, elle reconnaît être entrée chez sa patronne. Elle dit qu'elle l'a trouvée dans l'eau, inanimée. Qu'elle a paniqué, qu'elle a fui. Qu'elle a vu en passant des bijoux sur une commode, et les a pris. Pourquoi ? "Je sais pas, ça a fait comme un flash".

Vols et chèques en bois

Le vol pèse, lui aussi. Pas une première : à la barre défilent les femmes à qui Bnina Bouzoumita, dite "Lamia", a pris de l'argent. Plusieurs années de demi-expédients, de vols, de mensonges et de promesses agglutinés. Des emprunts de quelques centaines d'euros à des voisines pas plus riches qu'elle. Des chèques en bois proposés contre des espèces. Des bijoux pris chez les patronnes et revendus chez des marchands d'or ou chez Cash Express, où la famille a ses habitudes. On la décrit comme une comédienne, une manipulatrice, prompte à pleurer et à se plaindre de son mari. Pourquoi avait-elle besoin d'argent ? Pour la famille en Tunisie, pour les enfants, dit-elle. Elle ajoute, très discrètement, "pour faire comme les autres".

Mariée à 17 ans à un homme plus âgé, dont elle a eu cinq enfants, elle a vécu six ans dans sa belle-famille avant d'arriver en France en 1998. Ali Bouzoumita la regarde à peine lorsqu'il arrive à la barre, mal à l'aise dans sa veste passée, le ventre débordant du pantalon. Il dit avoir tout découvert le jour où on est venu arrêter son épouse. Ces histoires avec les voisines ? Des querelles de femmes dont il ne se mêlait pas. Lui arrivait-il de frapper Lamia ? Il fait dans ses dents une réponse vague, parle de la "honte" qu'elle a jetée sur la famille.

"Docteur Jekyll"

Elle avait commencé à faire des ménages en 2008 et était arrivée à l'été 2011 chez les Laforge, recommandée par une amie de madame. "On nous l'avait présentée comme une vraie perle, d'une honnêteté absolument scrupuleuse", dit le veuf, qui avance à la barre d'un pas de danseur, en costume à rayures et cravate à motifs. Il décrit Michèle comme une femme "enjouée", "très attachée à son image", d'une grande générosité avec ses proches, mais capable d'être cassante. Sur le banc des parties civiles est assise sa nouvelle compagne. "Il l'épouse samedi, vous vous rendez compte ?" siffle la belle-fille.

Virginie, née d'un premier lit de Michèle Laforge, n'adresse plus la parole à son beau-père. Elle a lu mardi à la cour une lettre de quatre pages, où elle le décrit comme un "Docteur Jekyll" qui a changé du tout au tout après la mort de sa mère et cherche à la priver de sa part d'héritage. Elle n'accuse personne, dit-elle, mais dénonce une enquête bâclée, une "honte" pour la justice française, et exige une reconstitution. "Je veux la vérité. Écoutez-les, ils sont encore en train de se demander si ma mère a pu recevoir un coup de club de golf dans l'entrée, il suffirait d'y aller ! Ce ne serait pas difficile, ajoute-t-elle dans un rire aigre. Monsieur Laforge vit toujours dans cet appartement."

"Ça vous arrive souvent d'appeler les morts ?"

Il n'y aura pas de reconstitution et Me Cotta va et vient, le visage furieux, désarmé par la maladresse de sa cliente. Bnina Bouzoumita dit à la présidente "oui madame, non madame", se laisse parfois aller au tutoiement. Elle dit que le chat, ce matin-là, a couru à son arrivée se cacher derrière ses jambes. "C'est intéressant, vous avez vu le chat à vos pieds, mais pas les gouttes de sang qu'on a trouvées dans l'entrée ?" "Non, je ne sais pas". "Vous avez vu le visage de Michèle Laforge ?" "Non." "Comment l'avez-vous reconnue alors ?" "À un bout de son pantalon". "Vous saviez qu'elle était morte ?" "Oui... non... je l'ai appelée, elle répondait pas." "Pourquoi n'avoir pas prévenu les secours ?" "J'avais peur. J'avais volé".

De retour dans son quartier en fin de matinée, Lamia vend les bijoux chez un marchand d'or, puis dépose la somme sur son compte postal. Dans l'après-midi, elle appelle à la boutique et demande à parler à Michèle. "Ça vous arrive souvent d'appeler les morts ?" demande la présidente. Malaise à nouveau, et suspension d'audience. Le verdict est attendu vendredi.

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Commentaires (11)

  • metallica

    Sans être femme de ménage, il y a des gens qui mentent tous les jours pour se rendre intéressant et d'autres qui volent.

  • mercipb

    Comment croire quelqu'un qui passe son temps à mentir ? En effet...
    En étant un peu faible du discernement... Et puis, le mystère... Il est là pour remplir une vie pauvre et sans intérêt. Il faut croire, douter des certitudes, douter même de la certitude que nous allons mourir. Alors, il n'y a plus de coupable pour les âmes faibles.

  • l eclopee

    On allait au bagne à permétuité la vraie pour moins que cela.