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Outreau : Fabrice Burgaud face aux défaillances de son instruction

Le juge Burgaud (ici à Paris, en 2009), a témoigné par visioconférence depuis la capitale. Camus Thibault/ABACA

Entendu vendredi comme témoin, le magistrat qui avait instruit l'affaire de pédophilie a vu ses travaux méthodiquement mis en pièces par les avocats de la défense et le président de la cour, qui en ont pointé les incohérences.

Envoyé spécial à Rennes

Lorsqu'il se retourne sur son instruction de l'affaire d'Outreau, Fabrice Burgaud ne voit pas grand chose à jeter, bien qu'il admette que quelques «éléments» eussent, à la limite, pu être améliorés. Le voici pourtant pâle et figé comme Loth transformé en statue de sel, alors que les avocats de Daniel Legrand achèvent de saccager ses travaux. La main droite posée sur la gauche comme un sage écolier le jour de la photo de classe, il a du mal à répondre à leurs questions, si bien qu'il en arrive à prendre une bien peu glorieuse fuite, sur l'écran géant qui retransmet la visioconférence - il dépose depuis Paris: «C'est pas moi qui les ai renvoyés, ces gens-là».

Non, en effet, l'ancien juge d'instruction de Boulogne-sur-Mer, aujourd'hui chef du bureau du droit international à la cour de cassation, n'a pas rédigé l'ordonnance de renvoi qui a conduit 17 personnes devant les assises - treize ont été acquittées. Son successeur s'en était chargé en 2003, alors que M. Burgaud avait obtenu une prestigieuse promotion au parquet antiterroriste. Mais il persiste à soutenir qu'il a toujours voulu porter «un oeil critique» sur ce que disaient les enfants et les adultes accusateurs, au premier rang desquels Myriam Badaoui (définitivement condamnée) et ses enfants (définitivement reconnus victimes de leurs parents et d'un couple de voisins).

Les avocats de la défense, Mes Hubert et Julien Delarue et Hugues Vigier, ne l'ont donc pas épargné. Mais ce qui sidère, lors de cette quatrième journée d'audience, c'est la leçon de procédure et de bon sens infligée au témoin par l'excellent président Philippe Dary, un ancien juge d'instruction. En réalité, le magistrat anéantit le travail de son collègue. Il relève, pour commencer, que les dates des crimes et délits présumés ne sont pas notifiées dans les mises en examen décidées par le juge Burgaud: «Vous savez que la formule «sur le territoire national et depuis temps non prescrit» n'a aucun sens, aucune valeur, la cour de cassation s'est prononcée là-dessus».

Ce n'est pas un détail: Daniel Legrand est jugé à Rennes en tant que mineur, pour des faits qu'il aurait commis entre ses 16e et 18e anniversaires - il a été acquitté comme majeur. En clair, le président des assises fait remarquer, dans un langage de président d'assises, qu'on ne sait pas pour quels faits il comparaît. «Comment se défendre contre des accusations non marquées dans le temps?», insiste-t-il.

Le témoin, de sa voix plate, dépourvue de timbre: «C'est classique dans ce genre de dossiers, avec des enfants et des adultes désocialisés. Ah, bien sûr, c'est plus facile dans un dossier financier, où les mis en cause ont des agendas». Cette comparaison, outre le fait qu'elle peut paraître méprisante pour «ces gens-là», est des plus maladroites car elle met en lumière un «élément» embarrassant pour le juge. Il existe en effet, dans cette parenthèse calendaire de 1996-2000, deux accusations précisément datées par Myriam Badaoui. L'une concerne le chauffeur de taxi (acquitté), lors d'une fête des mères. M. Martel, qui avait un agenda, a pu prouver, conforté par une foule de témoins, que ce jour là il participait à un tournoi de golf. L'autre concerne l'huissier, mis en cause pour des viols commis pendant des vacances de Toussaint: Alain Marécaux (acquitté) et sa famille étaient en Guadeloupe.

Le président Dary continue son cours magistral: «Il faut séparer les faits imputables à un mis en examen mineur. Je comprends la difficulté, on la rencontre par exemple dans des affaires de stupéfiants, mais c'est justement la valeur ajoutée de l'instruction». Dans Outreau, pas de doute: on est face à une instruction à valeur minorée.

Le président revient à présent sur les «aveux» passés fin 2001 par Daniel Legrand dans l'espoir, affirme-t-il, d'être remis en liberté, aveux vite rétractés au demeurant: «Ce qui est frappant, à la lecture du procès-verbal, c'est de constater que M. Legrand répète: «C'est comme elle dit Myriam» (à laquelle il a été confronté peu avant). Quant aux enfants dont il prétend qu'ils ont été violés en sa présence, jamais il ne précise son rôle, il dit: «Ils ont été sodomisés». Et aucun de ces enfants ne le désignera par la suite.»

Fabrice Burgaud: «C'était un interrogatoire improvisé. M. Legrand voulait parler, il me paraissait de mon devoir de l'entendre. Certes, il aurait été utile de savoir qui faisait quoi». Utile pour la défense de «ces gens-là», notamment.

Le président poursuit, avec le calme olympien d'un champion de Mikado qui, sans trembler, démonte un fragile édifice: «Il n'est finalement retenu contre l'accusé que des faits présumés sur les quatre enfants Delay, auxquels il n'a jamais été montré de photo de M. Legrand. C'est surprenant, je suis désolé de vous le dire».

Le témoin, en perdition mais dont le visage ne se trouble pas: «Je ne voulais pas multiplier les auditions de très jeunes enfants».

« Si je dis que je vous connais et que vous tenez une boulangerie à Rennes, suis-je crédible? »

Me Delarue à l'ex-juge Burgaud

Le président en arrive au procès-verbal du 27 août 2001, celui dans lequel Myriam Badaoui nomme pour la première fois l'accusé et feu son père, qui portait le même prénom, alors que depuis des mois elle désignait celui-ci par l'emploi qu'elle lui prêtait et qui n'était pas le sien - l'«homme du sex-shop»: «Elle déclare que le propriétaire du sex-shop s'appelle BIEN Daniel Legrand, alors que ce nom n'est apparu au dossier que depuis quatre jours. On saura que les deux Daniel Legrand n'ont rien à voir avec un sex-shop, qu'ils ne sont pas surnommés Dany (Dimitri, fils de Mme Badaoui, avait accusé un «Dany Legrand en Belgique»). On est très surpris que Mme Badaoui valide ainsi une information qui n'est pas vérifiée par la police. Le «bien» pourrait laisser supposer qu'elle répond à une question qui n'apparaît pas sur le procès-verbal».

La statue de sel: «Clairement, je ne lui soufflais pas de noms».

Le président: «Avant le 27 août, Myriam Badaoui ne cite aucun nom dans les nombreux courriers qu'elle vous adresse. Puis, elle met «Daniel Legrand», «Dany» ou «Dada» dans toutes ses lettres. C'est assez troublant».

Et ce n'est pas fini: «Myriam Badaoui prétend que Daniel Legrand fils vient chez elle, à la Tour du Renard, au volant de la voiture de son père. Mais s'il est mineur, il n'a pas de permis de conduire».

La défense s'engouffre dans la brèche. Me Julien Delarue ironise sur les descriptions faites par certains accusés de M. Legrand père, le «chef du réseau»: «grand et fort rasé», cruel, maître d'un berger allemand féroce qui violait aussi les enfants, propriétaire d'un sex-shop, d'une demeure en Belgique, riche, le bras long. Dans la vraie vie, M. Legrand était chaudronnier, ruiné, petit, avec un énorme kyste à l'oreille dont personne ne parle, il a eu un temps un caniche, n'a jamais mis les pieds dans un sex-shop ni possédé ne serait-ce qu'une cabane à outils en Belgique.

Me Delarue au témoin: «Si je dis que je vous connais et que vous tenez une boulangerie à Rennes, suis-je crédible?»

Pas de réponse.

Auparavant, M. Burgaud avait avancé que Mme Badaoui avait donné des «précisions» qui ne s'inventent pas sur les Legrand. Les voici: le père avait «un jean bleu délavé et une veste assortie, un pull et ne portait pas de slip». Le fils sortait en «survêtement avec un pull de marque Fila et portait un caleçon». Me Delarue: «Vous les avez retrouvés en perquisition?»

Le témoin: «Non».

L'ancien juge avait aussi rappelé que Daniel Legrand fils avait lui-même livré des détails capitaux sur la manière dont se passaient les viols, ce qui l'avaient convaincu qu'il pouvait y avoir participé. Il les énumère: «Les enfants criaient, ils ne voulaient pas». Point-barre, pour reprendre une expression qui lui est familière. Où est passée la «valeur ajoutée» de l'instruction?

De plus en plus souvent, M. Burgaud regarde sa montre. Il est 19h passées quand s'achève son interrogatoire. Il va pouvoir repartir exercer son «oeil critique» à l'échelle continentale, depuis le bureau de la cour de cassation dans lequel il n'a plus à recevoir «ces gens-là».

Outreau : Fabrice Burgaud face aux défaillances de son instruction

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107 commentaires
  • Brijou1

    le

    Dans les vraies démocraties, les juges sont élus par les citoyens et responsables de leurs actes.
    Les anglo-saxons ont une liberté qui nous est interdite depuis 60 ans.

  • Le faou du roi

    le

    Autant il est invisible et muet aux regards et réponses, autant il usait de pressions auprès de Badaoui pour influencer et recevoir les réponses qu'il voulait entendre.C'est extrêmement grave, surtout au vu des résultats sur les familles qu'il a brisé et le mort dont il est responsable.Il a coûté cher à la société ( aussi en terme de dédommagements, secondaires bien sur, au regard du drame Humain ). La société aurait du le sanctionner ( et non pas le nommer à la cour de cassation, ne serait que pour classer des dossiers.Les fonctionnaires, sont au dessus et intouchables.

  • pdl13

    le

    Sa présence à la Cour de Cassation, quelles qu'y soient ses fonctions, est une tache pour l'image de cette institution

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