Le plus ancien meurtre connu a 430.000 ans

Le plus ancien meurtre connu a 430.000 ans
Différentes vues du "crâne 17" : première victime connue d'un meurtre dans l'histoire du genre humain (JAVIER TRUEBA (MADRID SCIENTIFIC FILMS) VIA PLOS ONE)

Plus de 200.000 ans avant l'apparition des humains modernes, un drame s'est joué dans les monts d'Atapuerca, en Espagne. Les archéologues ont mené l'enquête...

· Publié le · Mis à jour le
Temps de lecture

C'était en un temps que nos ancêtres eux-mêmes n'ont pas connu. L'Homo Sapiens, que nous représentons aujourd'hui, n'était pas encore apparu en Afrique, il s'en fallait encore de quelques 200.000 ans. Il y avait en revanche d'autres espèces voisines, dont les ancêtres du fameux Homme de Néandertal, qui occupaient une partie de l'actuelle Europe.

C'est chez ces lointains cousins que le meurtre s'est produit. Deux coups violents à l'avant du crâne, assénés grâce à un objet contondant, vraisemblablement une hache de pierre ou la pointe d'une lance. La victime s'est-elle défendue ? Etait-ce durant un combat, ou une agression ? Nous n'avons hélas pas de compte-rendus du Docteur Watson de l'époque, mais les archéologues espagnols ont effectué une enquête digne de Sherlock Holmes, avec l'aide des ressources de la science moderne.

La suite après la publicité

Au fond d'une fosse funéraire

La scène du crime, ce sont les monts d'Atapuerca, dans l'actuelle province de Burgos (Espagne). Un véritable filon pour les archéologues, qui y ont découvert plusieurs sites importants, qui ont notamment permis de montrer que l'occupation de l'Europe par des ancêtres de l'espèce humaine datait de plus d'un million d'années. L'un de ces sites, baptisé Sima de los Huesos (la fosse des os) contient plus de 5.000 os humains, dont 14 crânes, qui représentent les restes d'au moins 28 personnes du Pleistocène moyen (datés d'environ 430.000 ans). Ces hominidés étaient probablement des Homo Heidelbergensis, ancêtres directs des Néandertaliens.

Les corps en questions ont été précipités dans la fosse, sans doute une sorte de rituel funéraire, et leur identification constitue le puzzle que les archéologues ont à reconstruire. Pour l'instant, ils ont pu déterminer qu'il y avait un enfant, 13 adolescents (entre 10 et 17/18 ans), 7 adultes (entre 17/18 et 24/25 ans) et 7 adultes de plus de 25 ans. Seuls trois d'entre eux auraient atteint un âge supérieur à 35 ans.

Leur morphologie était plus imposante que celle des humains modernes, avec une ossature plus dense. Les reconstitutions effectuées sur les éléments de squelette appartenant à l'un des mâles laissent imaginer une personne de 1,75m et plus de 100 kilos, avec une cavité crânienne légèrement inférieure à la nôtre.

Les archéologues ont accumulé des détails impressionnants sur ces hominidés. Ils ont notamment pu déterminer que l'un d'entre eux était probablement sourd, et qu'un autre avait souffert d'une infection à la mâchoire due à une dent cassée, qui, en provoquant une septicémie, aurait pu causer sa mort.

L'intention de tuer

Mais c'est le crâne identifié sous le numéro 17, appartenant probablement à un mâle d'une vingtaine d'années, qui nous offre l'élément le plus intéressant de la série avec deux fractures au front. Comme l'explique de manière détaillée une étude qui vient d'être publiée dans la revue PLOS One, il s'agit là d'une "la plus ancienne preuve de violence interpersonnelle létale enregistrée chez les fossiles d'hominidés", donc la plus vieille trace de coups mortels portés par un ancêtre de l'Homme.

La suite après la publicité

Pour en arriver à ces conclusions, les chercheurs ont utilisé des méthodes que n'auraient pas renié les protagonistes de la série Les Experts : microscopes électroniques, scanners, imagerie 3D, modélisations informatiques... Selon les archéologues et spécialistes en médecine légale qui ont étudié ce crâne, "le type de blessures, leur emplacement, la forte similitude de la forme et de la taille des fractures ainsi que les différentes orientations et trajectoires déduites montrent qu'elles ont été produites avec le même objet, dans un conflit interpersonnel en face à face. Du fait que chacun de ces deux éléments traumatiques était probablement mortel, la présence de coups multiples dénote une intention de tuer".

Nous pensons que la violence a causé la mort de cet individu. Il serait très improbable de fracturer le crâne deux fois pratiquement au même endroit par accident," explique au Guardian Nohemi Sala, paléontologue et co-auteur de l'étude.

"Les anthropologues se demandent toujours ce qui fait de nous des humains, et si les humains sont naturellement violents. Cette étude contribue à ce débat en suggérant qu'une agression intentionnelle entre deux personnes a des racines profondes dans l'histoire des hominidés", commente Danielle Kurin, anthropologue médico-légale à l'université de Californie/Santa Barbara citée par le LA Times. "L'une des implications de cette étude est que le meurtre est un comportement humain très ancien", renchérit Rolf Quam, paléoanthropologue à l'université de Binghamton.

Le blog de Jean-Paul Fritz sur le site de  "l'Obs" : Chroniques de l'Espace-Temps

Les plus lus
A lire ensuite
En kiosque