40 ans après sa mort, l'énigme du juge Renaud perdure

Temps de lecture : 5 min

Le 3 juillet 1975, un commando armé abattait le juge François Renaud, surnommé "le shérif", dans une rue de Lyon: un meurtre jamais élucidé qui a nourri toutes les spéculations.

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Quarante ans après, la bande dessinée fait revivre le destin de ce flamboyant magistrat dont le fils recherche toujours la vérité.

Ce vendredi, dans la salle des pas perdus de l'ancien palais de Justice, le bijou néo-classique qui sert de siège à la cour d'appel de Lyon, un hommage au juge assassiné a été organisé devant la plaque commémorative apposée en souvenir de sa disparition avec discours des chefs de la juridiction et gerbe de fleurs de la Garde des sceaux, Christiane Taubira.

Dix ans auparavant, pour le 30e anniversaire de sa mort, la cérémonie n'avait rien eu d'officiel et devait tout à la volonté de ceux - rares à l'époque - qui vouent respect, voire un culte à ce juge d'instruction. L'un des deux seuls magistrats, avec le juge Michel à Marseille, abattus depuis l'Occupation.

Mais au grand dam de ses proches et en premier lieu de l'un de ses fils, Francis, le juge Renaud n'a jamais eu le droit aux mêmes honneurs que son homologue marseillais. Pas de décoration post mortem, pas de rue à son nom, pas de procès, pas de condamnation.

La faute murmure-t-on, à une personnalité hors normes.

Que n'a-t-on pas dit en effet sur Renaud? Y compris de la bouche même des plus hautes autorités de l'Etat: les méthodes iconoclastes de ce "juge-flic", son passé de juge "aux colonies", son parler cru, ses costumes à carreaux, son goût des femmes, son goût de la vie.

Certes le juge Renaud ne menait pas l'existence ascétique d'un Savonarole mais lorsqu'il s'agissait de l'idéal de justice, le magistrat avait l'intransigeance du moine florentin, témoignent ses proches.

Auprès des médias, François Renaud y gagnera le surnom de "shérif".

- La vie du juge en BD -

Il inspire dès 1977 le film "Le juge Fayard, dit le shérif" d'Yves Boisset.

Plus d'une génération plus tard, ce personnage "chevaleresque", mais aussi cette époque - où Lyon, "plaque tournante du crime", était appelée "Chicago-sur-Rhône" - a séduit le dessinateur lyonnais Olivier Berlion, auteur de la BD "Le Juge, la République assassinée", premier volet d'une trilogie paru chez Dargaud.

"Beaucoup de gens en ont entendu parler mais peu connaissent réellement les faits", témoigne M. Berlion.

Hasard du calendrier, fin 2014, le dessinateur Etienne Davodeau et le journaliste Benoît Collombat exploraient eux aussi le destin de François Renaud dans "Mort d'un juge", publié dans la Revue Dessinée.

Point commun entre ces deux oeuvres? Elles reprennent la thèse d'un assassinat politique sur fond de relations troubles entre le grand banditisme - en particulier le mythique Gang des Lyonnais - et le Service d'action civique (SAC), considéré comme la police parallèle du pouvoir gaulliste.

"Mon père allait mettre à jour un financement du parti au pouvoir par des braquages", affirme Francis Renaud, co-réalisateur du documentaire "Le juge Renaud, un homme à abattre" diffusé mercredi sur France 3.

Ulcéré par la caricature qui a pu être faite de son père, indigné par une indifférence méprisante du pouvoir politique, le fils du magistrat se souvient d'une confidence qu'il lui a faite la veille ou l'avant-veille de son assassinat: "Je suis à un tournant de ma vie. Je suis sur une grosse affaire. Il est possible que je me fasse flinguer. Tu verras qu'on va parler de moi pendant longtemps. Mon nom va rentrer dans l'histoire".

Rentrant à son domicile le 3 juillet 1975 vers deux heures du matin avec sa compagne, François Renaud croisera une voiture avec à son bord trois hommes cagoulés qui le prendront pour cible. Après avoir tenté d'échapper à ses bourreaux, il sera exécuté en voulant protéger son amie. Abattu de plusieurs balles à bout touchant.

Pour Francis Renaud comme pour Nicole Renck, la greffière du juge Renaud et fidèle gardienne de la mémoire du magistrat, la thèse d'une rivalité amoureuse ou de petits truands voulant faire plaisir à la grande voyoucratie en éliminant le "shérif" ne tiennent tout simplement pas.

"On aurait voulu venger le milieu? Mais de quoi? Ca n'a aucun sens!" s'insurge Francis Renaud.

Rapidement la rumeur désigne trois probables exécutants, trois malfrats, Jean-Pierre Marin, Michel Lamouret et Robert Alfani qui nient vigoureusement. Mais dès 1976-1977, "tout le monde sait que c'est le SAC" qui est derrière l'assassinat, avance l'ex-avocat de la famille Renaud, Me Yves Bismuth.

Les trois voyous auraient agi pour un truand lyonnais dénommé Jean Schnaebelé lié à la milice gaulliste et ancien compagnon de route de Renaud dans la Résistance.

- Réveiller les choses? -

Dernier des six juges d'instruction à s'être succédé à la tête de l'enquête, Georges Fenech, aujourd'hui député Les Républicains du Rhône, estime "que rien dans le dossier ne permet d'étayer cette thèse".

"La seule certitude, c'est que dans l'exercice de ses fonctions, il concentrait les affaires du Gang des Lyonnais et qu'il était à ce titre une cible. J'ai la conviction qu'il a été tué par le milieu lyonnais car il dérangeait", souligne M. Fenech qui milite pour que Renaud soit décoré à titre posthume de l'ordre national du Mérite.

Après 17 années d'instruction stérile, M. Fenech doit se résoudre à prononcer un non-lieu en 1992. L'affaire sera définitivement prescrite en 2004. "Je n'ai toujours pas compris", lâche la greffière, Nicole Renck.

"Est-ce que le fait d'en parler maintenant pourrait réveiller les choses?" s'interroge Me Bismuth.

"Renaud allait découvrir quelque chose de très important en rapport avec de l'argent", croit savoir l'avocat. "L'enlèvement puis la mort du +petit prince de l'hôtellerie+, Yves Marin-Laflèche, en 1974, l'enlèvement du fils Mérieux (héritier de l'empire pharmaceutique), en 1975, le hold up de la poste de Strasbourg (attribué au Gang des Lyonnais)... à l'évidence à l'époque, +on+ cherche de l'argent à Lyon", souffle l'avocat.

40 ans après les faits, bon nombre des protagonistes sont décédés. L'un des tueurs présumés, Marin, a été tué par la police en mars 1976. En 2008, un autre truand l'avait désigné comme l'instigateur principal du crime avant de se suicider. Fanfaronnade ou révélation, l'ex-chef du Gang des Lyonnais, Edmond Vidal, a confessé qu'une partie du butin du "hold up du siècle" - celui de la poste de Strasbourg - avait pour partie servi à alimenter les caisses d'un parti politique.

"Devant la chose jugée, on s'incline", glisse Francis Renaud. Face à cet assassinat sans coupable, l'indignation du fils du "shérif" reste intacte.

03/07/2015 15:47:15 - Lyon (AFP) - Par Gregory DANEL - © 2015 AFP