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Benoît Thieulin : «Le référendum, c’est le degré zéro de la démocratie»

Le numérique promet une nouvelle jeunesse à notre bonne vieille démocratie : gouvernement ouvert, diffusion des données, participation locale... Internet va-t-il sauver «le pouvoir du peuple» ?
par Guillaume Pajot
publié le 24 octobre 2014 à 18h06

Quelques heures plus tôt, Alain Finkielkraut avait enterré Internet d'une phrase lapidaire dont il a le secret. La bombe à fragmentation tenait en trois mots : «paradis pour négationnistes», voilà tout ce qu'était la Toile, peu ou prou. Les propos du philosophe ont évidemment hérissé Benoît Thieulin, le président du Conseil national du numérique, qui travaille sur le sujet avec le gouvernement. «Réduire Internet à une frange de fanatiques et de malades, c'est une faute, a déclaré celui qui est aussi le fondateur de La Netscouade. C'est ignorer qu'Internet peut aussi donner le pouvoir aux citoyens. Qui pouvait s'exprimer publiquement avant 1995 ? Quasiment personne. Il y a aussi des espaces civilisés sur Internet.» Rassemblés autour de lui, des représentants d'Etalab, de la Commission nationale du débat public et de Démocratie Ouverte, tous partisans d'une grande rénovation de la participation, dans laquelle le numérique tiendrait un rôle majeur.

Gouvernement ouvert. Lorsque Barack Obama est entré à la Maison-Blanche, en janvier 2009, son premier chantier a été de lancer l'Open Government Initiative. Derrière cette idée de «gouvernement ouvert» se cachent des objectifs de transparence, de participation et de collaboration avec les citoyens. Il a donné naissance à un mouvement plus large, l'Open Government Partnership, qui rassemble les États intéressés. La France a un peu tergiversé, mais a fini par suivre le président américain : le pays a rejoint l'Open Government Partnership cette année, première étape symbolique vers une rénovation de la gouvernance.

Sus aux statistiques ! Le montant des enveloppes parlementaires, le budget national, les détails de la loi de finances… La diffusion des chiffres liés au fonctionnement de l'État est un gage de transparence, mais aussi un moyen de donner du pouvoir aux citoyens et de nourrir leur expertise. Petit à petit, la France s'engage à divulguer ses données. «Nous n'anticipons pas l'usage de ces chiffres, explique Amélie Banzet d'Etalab, mission qui travaille à la modernisation de l'action publique. C'est de la matière brute.» Aux Français de s'en emparer et de les faire parler.

J'irai dormir chez le maire. Les collectivités locales sont parmi les plus motivées pour se mobiliser et collaborer de façon plus étroite - et plus égalitaire - avec leurs administrés. Armel Le Coz, président de l'association Démocratie Ouverte, s'est même fendu d'un tour de France des candidats pendant la dernière campagne municipale pour prendre la température. «Chez les élus, on sent une véritable envie d'inventer de nouvelles formes de participation. Ils veulent s'ouvrir mais souvent ne savent pas comment faire», raconte celui qui est allé dormir chez les uns et les autres, façon Antoine de Maximy de la politique. Pour encourager les collectivités, Démocratie Ouverte a monté le programme Territoire Hautement Citoyen (THC), un plan en plusieurs étapes pour développer la démocratie locale

De nouvelles têtes bien faites. «Si vous voulez réformer, il vous faut des gens qui ne sont pas dans le débat, insiste Benoît Thieulin. C'est le cas sur le numérique. A cause de cela, le débat sur Hadopi n'était pas au niveau»! Le besoin d'un peu de souffle, d'idées nouvelles. D'aller chercher ceux qui ne s'expriment pas habituellement et qui ont une expertise à faire valoir. «Il faut aller au-devant d'eux, constate Laurence Monnoyer Smith, vice-présidente de la Commission nationale du débat public, mais cela coûte cher. La démocratie coûte bien plus cher que la dictature ! Il faut développer l'éducation civique. C'est le véritable moteur de la participation.»

La mort du référendum ? Optimiste, Benoît Thieulin assure que, dans cinquante ans, «la manière dont on élaborera les lois sera très différente». Pour cela, beaucoup d'initiatives gadgets devront passer à la poubelle. Et même, pourquoi pas, le sacro-saint référendum. «Répondre à une question uniquement par oui ou par non rend la qualité du débat extrêmement faible, estime le président du Conseil national du numérique. Le référendum, c'est le degré zéro de la démocratie participative. »

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