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Gérard Filoche, «minable» ou victime du politiquement correct ?

Gérard Filoche au Congrès de Toulouse du Parti Socialiste, en 2012 (capture d'écran)

FIGAROVOX/HUMEUR - A la suite d'un tweet commentant la mort de Christophe de Margerie, le socialiste Gérard Filoche est devenu l'homme à abattre au sein du PS. Jean-Christophe Buisson s'insurge contre cette chasse aux sorcières dictée par le politiquement correct.


Jean-Christophe Buisson est rédacteur en chef au Figaro Magazine et écrivain. Il dirige les pages culture et art de vivre du Figaro Magazine. Il est notamment l'auteur des Grands duels qui ont fait la France (Perrin, 2014).


«Des propos inqualifiables et intolérables, mettant en cause l'éthique du PS» (Jean-Christophe Cambadélis) ; «On a dépassé la ligne rouge» (François Loncle): «Ceux qui ont des mots qu'on ne peut pas prononcer face à un mort ne méritent pas d'être dans une grande formation politique qui est la mienne» (Manuel Valls).

Depuis deux jours, élus et ténors du Parti socialiste n'ont pas de mots assez durs pour dénoncer l'un des leurs, membre du Bureau national depuis quinze ans, grande gueule de gauche ayant quitté l'impasse trotskyste (LCR) pour la rue de Solférino en 1994. Il est même envisagé de l'avertir, le blâmer ou le suspendre du PS. Voire l'exclure. Diable! Quel crime verbal a donc commis Gérard Filoche? Le souhait de voir légalisée la pédophilie? Une phrase aimable pour les idées du Front national? Un appel à voter Nicolas Sarkozy? Non, ce qui lui vaut la haine de tous ses camarades du PS (et de l'immense majorité de la classe politique, voire médiatique) tient en moins de 140 signes. Il s'agit d'un tweet, publié à l'annonce de la mort de Christophe de Margerie dans la nuit de lundi à mardi dernier: «De Margerie est mort. Famille taittinger en deuil . Les grands feodaux sont touches. Ils sont fragiles. Le successeur nous volera t il moins» (nous avons respecté la ponctuation aléatoire de monsieur Filoche). Dans le concert de louanges adressés à la mémoire de l'ancien patron de Total, ces mots ont évidemment dénoté. Choqué. Scandalisé. Certains l'ont fait savoir à l'intéressé qui a diaboliquement persévéré dans sa voie: «tu veux quoi? Un hommage a l humain? Oui! Au suceur de sang? Non», a-t-il répondu au président du syndicat des industries de la mécatronique, Bruno Grandjean, qui le traitait de «minable».

Le tweet de Gérard Filoche:

Il est difficile de partager les convictions de Gérard Filoche. Il m'est arrivé plusieurs fois de dialoguer avec lui mais nos conversations tournent toujours court: quand, de retour de Corée du Nord communiste, je lui décris la misère que j'y ai vu, il me rétorque qu'il veut bien me croire mais que ce régime n'étant pas vraiment communiste, on ne saurait mettre sur le dos du communisme cette misère-là! Quand je lui parle des dizaines de millions de morts causés par le communisme, il m'assène que les régimes coupables de ces massacres de masse avaient dévoyé le message de paix, d'amour et de fraternité intrinsèque au marxisme et que là encore, le communisme n'est pour rien dans cette affaire. Bref, cet homme est d'une mauvaise foi exceptionnelle et ses convictions aussi folles que l'idéologie qui les sous-tend. Au sujet de Christophe de Margerie, qu'il ne connaissait pas personnellement, il est une nouvelle fois évident qu'il a tout faux en résumant «Big Moustache» à la société qu'il dirigeait et aux travers dont il l'estimait coupable. Il n'y a aucune raison de mettre en doute, au nom d'un improbable complot capitalisto-médiatique, cette vérité sortant de la bouche de dizaines de personnes, de Laurence Parisot à Jean-Louis Borloo en passant par les salariés de Total: Christophe de Margerie était une personnalité extraordinaire, un capitaine d'industrie hors pair, un chef d'entreprise qui faisait honneur à la France. Mais il se trouve que Gérard Filoche ne le pense pas. Pour lui, Total est une horrible société qui ne songe qu'à faire des bénéfices sur le dos de dizaines de milliers d'«employés-esclaves» pour remplir les poches de ses actionnaires au mépris de la morale économique ou géopolitique (Congo, Birmanie, etc.) et du respect de la nature (Erika). C'est son droit de raisonner ensuite et l'honnêteté oblige à dire qu'on ne voit pas, effectivement, en quoi la disparition tragique de Christophe de Margerie pourrait ou devrait changer ses convictions, aussi fausses et absurdes nous apparaissent-elles. La fameuse «dignité» dont parle le Premier ministre Manuel Valls. Et quoi? Le jour où Jean-Marie Le Pen mourra, parions que cette notion de dignité si bien portée à gauche aujourd'hui s'évanouira aussi vite qu'une proposition de réforme douloureuse par un gouvernement à l'approche d'une élection.

A force d'avoir vidé ou gonflé de sens les mots de la langue française, la gauche ne sait plus très bien ce qu'ils veulent dire. Elle ne lit plus, elle interprète. Elle ne fait plus de politique mais cède à la dictature de l'émotion.

En vérité, la gauche est prise à son propre piège. A force d'avoir vidé ou gonflé de sens les mots de la langue française, elle ne sait plus très bien ce qu'ils veulent dire. Elle ne lit plus, elle interprète. Elle ne fait plus de politique mais cède à la dictature de l'émotion (ce qu'elle reprochait quotidiennement à Nicolas Sarkozy lors de son mandat présidentiel…). Dans son tweet, Gérard Filoche ne se réjouissait certes pas de la mort de Christophe de Margerie, mais c'est ce qu'on feint d'avoir lu. Dès lors, ce syndicaliste au verbe aussi haut que son orthographe est hasardeuse devient le fameux «bouc émissaire» défini par René Girard (le fait qu'il soit un des porte-parole de l'aile gauche du PS au moment où le gouvernement aborde un virage social-libéral n'aide pas à la bienveillance à son égard). En vertu d'une vieille passion française (la chasse), il se retrouve dans la peau du gibier. L'homme à abattre. Surtout par ses propres camarades. Surtout s'ils appartenaient il y a quarante ans, comme Cambadélis, aujourd'hui premier secrétaire du PS, à une frange rivale du mouvement trotskiste (Camba était lambertiste, Filoche membre de la famille «franckiste»). Il est permis de ne pas trouver le spectacle de cette traque réjouissant.

Vous savez quoi, Gérard? J'ai déjà préparé mon tweet lorsqu'on apprendra votre disparition (que j'espère le plus tard possible). Promis, il ne fera pas dans l'émotionnel, lui non plus…

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