Pour se rendre à la Japan Expo, qui se déroule ce week-end à Villepinte, en banlieue parisienne, des dizaines de milliers de visiteurs empruntent le RER B, et lui donnent, l’espace de quatre jours, les couleurs et l’ambiance bon enfant du salon.
Vous doutez de la direction à prendre pour vous rendre à Japan Expo, perdu dans les méandres du RER B ? Suivez les épées ! Sur les quais de la gare du Nord, des cheveux vert et rose fluo brisent la morosité du paysage. « Japan Expo, prochain train ! », crie une opératrice dans son gilet rouge, pour aiguiller les nombreux visiteurs venus de toute la France, mais aussi de l’étranger, assister à la plus grande convention consacrée à la culture japonaise hexagonale, qui se déroule jusqu’au dimanche 5 juillet.
« EMOI », puis « IDOL ». Comme si la RATP et la SNCF adressaient un clin d’œil à la manifestation, les codes affichés à la tête des trains qui s’arrêtent de la Gare du Nord pour transporter les voyageurs jusqu’à l’aéroport Charles-de-Gaulle traduisent aussi l’ambiance et la fébrilité qui règnent sur le quai 43, tôt ce jeudi matin, pour l’ouverture du salon. Alignés ça et là, pour être les premiers à monter à bord, des jeunes filles avec des robes à crinoline aux couleurs vives, un groupe d’amis discutant autour d’une immense hache en carton, un plombier Mario qui réajuste sa casquette.
Une station en amont, sur le quai de Châtelet, deux adolescentes piaffent tout en sautant et en se tapant en rythme dans les mains. « Je plaisantais, tu sais, quand je disais que je ne pouvais pas te supporter. Maintenant que tu portes des oreilles de chat, ça va beaucoup mieux. » Le RER B à destination de l’aéroport Charles-de-Gaulles emprunte le même chemin que tous les jours, mais le temps du plus gros salon annuel du Parc des Expositions de Villepinte, il se mue en « RER J », le train de la Japan Expo, de la bonne humeur et de la passion.
Une affluence hors norme
« On va être en retard pour l’ouverture à 9 heures, j’aime pas ça. J’aime être dans les premiers, c’est pas pour rien que j’achète ma place en avance », prévient Max, en s’adressant à son ami Lucas. Tous deux arborent le même T-shirt : coton noir avec un masque à gaz jaune, symbole du manga Poison City et reçu en cadeau lors d’une précédente convention parisienne. « J’aurais dû prendre en compte les retards de train », peste Max.
Avec la canicule, la circulation est perturbée. Dans ce train pour l’aéroport, peu de valises de voyageurs internationaux. Empaquetés dans des wagons bien trop étroits pour l’affluence, la plupart des passagers ont entre 15 et 25 ans.
« C'est le salon qui ramène le plus de personnes en flux voyageurs. En une journée, on doit être aux alentours de 50 000 usagers, alors qu'en temps normal, on se situe plutôt entre 3 et 5 000 personnes », estime Benjamin, agent commercial à la RATP.
Pour autant, les températures et le nombre inhabituel de personnes n’échauffent pas les esprits : « Ils sont plutôt sympas et marrants. Ça change du quotidien », lance un usager intrigué. « Ceux qui vont à l’aéroport, on les reconnaît tout de suite, ce sont ceux qui nous regardent d’un air ébahi sans comprendre ce qui se passe », s’amuse Ahn-Toa, 23 ans.
« Parfois, on se retrouve avec des gens en cosplay [en costume déguisé] qui ont des ailes de papillon prenant la moitié des wagons », soupire tendrement Adeline, 24 ans. « Le bus, c’est encore pire, il y a encore moins d’espace, on est comme des sardines », préfère relativiser Steve, 26 ans, à moitié écrasé contre la vitre.
Une lance pour se répérer
Dans la rame, certains meurent de chaud dans leurs costumes imposants, regrettant de ne pas avoir choisi d’interpréter un personnage à éventail. D’autres, plus prévoyants, gardent l’essentiel de leur costume dans un sac de sport, à l’image de Phèdre, 46 ans et sa fille de quinze ans, Aurore. « On se changera dans les vestiaires, c’est qu’il y a au moins une heure de préparation. »
On devine leur destination à la seule lance en mousse que transporte Phèdre : « Nous venons de Marseille ; nous nous sommes mises au cosplay seulement depuis novembre. On s’est lancées parce qu’Aurore aime la culture asiatique, les animés et les chorégraphies, moi j’adore les fringues et les déguisements ; ça me vient des fêtes médiévales que je faisais autrefois. »
Photos conservées sur smartphone à l’appui, la Marseillaise poursuit : « Aurore sera déguisée en Sakura, du dessin animé, moi en Rydia du jeu Final Fantasy IV. Bon, j’ai adapté le costume parce qu’elles sont sacrément dénudées, les héroïnes japonaises… Après, nous, on ne fait ça que pour le plaisir, pas pour les concours… Il y a une sacrée concurrence dans le monde des cosplayers. »
Mère et filles trépignent d’impatience : « C’est notre première Japan Expo, on va y retrouver mon frère et mes neveux, eux aussi déguisés. Ça va être magnifique. » Novice dans l’art du costume, Phèdre est pourtant intarissable sur la sujet, la trentaine de minutes que dure le trajet. Elle ne s’interrompt que pour interpeller d’autres festivaliers, adresser des compliments sur leurs costumes.
« Dans leur monde de Bisounours »
Arrivée au pied du parc des expositions. La gueule de la station de RER crache un flot continu de festivaliers sous le regard attendri des agents de sûreté ferroviaire : « La majorité, ce sont des gamins de 16-18 ans, ils sont dans leur monde, qui est très Bisounours. C'est un des salons où il y a le plus de monde et le moins de problème ! C'est divertissant pour nous, ça met de la couleur », explique Jonathan, l’air un peu bourru, brassard autour du bras.
C'est finalement plutôt le soir que tout se complique : « Tout le monde sort en même temps. Il peut y avoir jusqu'à 45 minutes d'attente, certains viennent de province, voire de l’étranger, il faut les aider sur les tickets, les renseigner, les orienter… », explique Benjamin, l’agent de la RATP.
Chantent les sardines
Et au retour, les voyageurs repartent plus chargés, avec perruques et capes roulées en boule sous les bras, et des sacs de produits dérivés pleins à craquer. Sur le parvis de la gare, on patiente en échangeant sur ses trouvailles, en entamant les mangas fraîchement achetés, tant la file d’attente pour repartir est immense.
Certains tentent même de monter dans la direction opposée de Paris, pour récupérer le bon train à l’aéroport, moins encombré. On parcourt à pied les alentours, que d’autres auront probablement déjà explorés, pour voir si un raccourci ne se dessine pas. En fond sonore, un petit groupe chante, très à propos, « Ah, qu’est ce qu’on est serrés au fond de cette boîte… », le refrain des Sardines de Patrick Sébastien.
D’autres se résignent finalement à attendre qu’un maximum de voyageurs costumés ne montent à bord avant de prendre place dans le calme, ce qui les conduit parfois à patienter jusqu’à 20 heures, heure à partir de laquelle le sortilège se dissipe, et le fantasque RER J redevient le RER B de tous les jours.
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