"Avez-vous remarqué comme, dans les conversations, presque plus personne n'emploie le mot autrefois", nous faisait récemment remarquer une amie, la romancière Bernadette Pécassou. J'ai depuis écouté, observé et en effet, elle a raison. On ne parle plus beaucoup d'autrefois.
Comme si l'on avait peur d'utiliser ce mot, de paraître ringard en le prononçant. Comme si l'on craignait de parler du monde d'avant. Avant quoi, d'ailleurs ? Avant la guerre, avant la crise, avant Internet, avant le 11 septembre, avant le krach ? Autrefois, c'est avant ça, avant-hier: le "temps de nos grands-mères" selon le cliché habituel. Pourquoi nos grands-mères au fait, et pas nos grands-pères? Peut-être parce que nos grands-mères nous donnaient de bonnes choses à manger, qu'elles étaient tendres (la plupart d'entre elles du moins); les temps anciens étaient doux.
Autrefois parle donc d'un passé révolu qui n'est plus guère convoqué que par les mercaticiens lorsqu'ils ressortent (ou inventent) des produits "au bon goût d'autrefois". Dans une discussion on hésite à employer ce mot aux relents passéistes. Et ne parlons pas de "jadis", "naguère" ou "antan"...
Alors, pour parler d'autrefois, on se sert de mots anglais: "vintage" (d'époque) ou "old school" (à l'ancienne) ou "les sixties". Autrefois est en vente dans les vide-greniers et les brocantes. Autrefois est soigneusement classé dans la case patrimoine. Ou nostalgie commerciale. On préfère évoquer les décennies: les années 60, les années 80... Et c'est une occasion de vendre des compils pour que les trentenaires ou les quadras retrouvent les sons de leur âge tendre, celui des premiers CD, des jeux Atari et du minitel, chouettes technologies rudimentaires et maîtrisables.
Pour beaucoup, autrefois, c'était les blouses grises des instituteurs laïcs. La colline inspirée de Barrès. Ou la France d'avant célébrée aujourd'hui par les chroniqueurs réactionnaires à fort tirage. Comment voulez-vous parler d'autrefois dans ces conditions? Ces chroniqueurs-là ont rangé l'autrefois dans la catégorie moisie des images d'Épinal maréchalistes.
Autrefois, cela se célèbre pourtant. Il y a des administrations pour ça. Bicentenaire de la révolution, centenaire de la Grande Guerre, mémoire, patrimoine, histoire officielle... Et ça marche. Observez le succès de la "grande collecte" des lettres et documents datant de 1914-1918. Des milliers de français ont tenu à apporter leurs souvenirs pour cette célébration d'un temps à la fois valeureux et terrible. Nous avons tous nos racines dans cet autrefois, nous l'aimons mais ne le nommons pas ainsi.
"Autrefeiz", "autrefoiz", "autre feiee"... cette forme apparue en français au XIIe siècle parlait d'abord d'une "autre fois dans le futur"; logique: on dit bien "ce sera pour une autre fois" quand on repousse un événement. Puis elle s'est mise, au début du XIIe siècle, à signifier "dans le passé". Mystères de la langue...
Si l'on se penche sur les étymologies de ces vieux mots on découvre qu'antan signifie "de l'année dernière" (latin ante annum); jadis "il y a des jours" ("ja a dis", mélange d'ancien français et du latin dies); et "naguère" vient, au XIVe siècle, de "il n'y a guère (de temps)". Tout cela se réfère à des événements assez proches et précis.
Autrefois en revanche est assez flou. C'est sans doute ce qu'on lui reproche aujourd'hui alors que les dates anniversaires et autres commémorations abondent, avec leur précision gravée dans le marbre des plaques officielles. On ne dit plus autrefois. Dommage. C'était mieux, avant... quand on disait autrefois!