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Attentats : nous sommes tous Hervé C.

Hervé Cornara, patron d'ATC - Saint-Quentin-Fallavier

FIGAROVOX/TRIBUNE - Pierre Lellouche réagit à la décapitation du chef d'entreprise Hervé Cornara, le 26 juin 2015, dans l'Isère. Il dénonce l'échec de la politique étrangère de la France et de l'Occident, et souligne l'urgence qu'il y a à mener une action efficace contre la dérive djihadiste.


Ancien ministre, Pierre Lellouche est député UMP de la 1ère circonscription de Paris, conseiller de Paris et délégué des Républicains aux affaires internationales.


Merah, Kouachi, Coulibaly, Salhi. Sans parler des auteurs des attentats ratés de Villejuif, et d'ailleurs…

Notre pays est entré sans le savoir dans une sorte d' «Intifada à la française», une guerre civile larvée qui ne dit pas son nom, longue et cruelle, que nos Gouvernements ne savent ni admettre, ni combattre, faute d'avoir le courage de dire le vrai aux Français. «Guerre de civilisation» nous dit Manuel Valls ou guerre de religions? Mélange explosif d'un conflit importé de l'extérieur ou crise d'identité de la Nation française? Cette guerre d'un nouveau type est tout cela à la fois: mondiale et locale, inter et intra-étatique. Mais son noyau dur est le même partout: le retour en force du religieux, de l'Islam des conquêtes, sur les ruines des grandes idéologies occidentales du XXème siècle aujourd'hui épuisées: libéralisme et communisme, face à une Europe «post-moderne», c'est-à-dire molle, déchristianisée, sans poids ni ambition politique.

Lorsque parmi les premières victimes de cette guerre, l'on trouve des dessinateurs ou des journalistes, le pouvoir sait alors utiliser à fond le registre de l'émotion. Discours présidentiels à répétition, célébration du fameux «esprit du 11 janvier», improbable défilé de chefs d'Etats hétéroclites: tout est fait pour nier, en la sublimant dans un torrent de mots, la réalité de la menace.

On en appelle à la «République» ; on célèbre à l'envi le culte de la laïcité. On promet une commission pour l'Education nationale, puisqu'il est désormais devenu impossible dans nos écoles et lycées, ni d'enseigner la Shoah, ni de procéder à une minute de silence pour les victimes - que dis-je, les blasphémateurs du Prophète. On se réfugie derrière des néologismes creux, le fameux «vivre ensemble», en fait le vivre «à côté», le plus souvent dans l'indifférence ou la peur, parfois dans la haine.

On vote des lois: trois en trois ans. Dont bien sûr, la dernière sur le Renseignement de masse, présentée en Conseil des ministres cinq semaines après les attentats de janvier, votée deux jours avant la décapitation d'Hervé C. dans l'Isère.

Avec quel résultat? Dans quelques semaines, qui se souviendra du nom de ce malheureux chef d'entreprise? Et qui, au demeurant, se souvient de celui de la petite fille de 4 ans tuée d'une balle dans la tête, à bout portant, par Mohammed Merah, ou de ses frère et sœur ou de son père exécutés de la même manière? Qui se souvient du nom de la jeune femme assassinée par Coulibaly ou les malheureux de l'Hyper Casher de la Porte de Vincennes?

Les mois passent et à l'émotion succède désormais la peur: 83% des Français nous dit un sondage ce weekend, ne se sentent pas «assez protégés» entre le terrorisme qui frappe n'importe où, n'importe qui.

La graduation est inscrite sur nos murs: d'abord le choc de l'émotion, puis la peur, demain la colère.

Comment en effet supporter de vivre sous la menace permanente d'un attentat qui peut survenir à tout instant: au travail, dans les transports, en vacances même? Qui peut accepter que les auteurs, comme les quelque 1800 Français partis au «Djihad» en Syrie, soient d'aimables «compatriotes», nés en France, éduqués chez nous et pourtant bourrés de haine pour ce que nous sommes et ce que nous représentons?

Jamais depuis la guerre d'Algérie et avant cela, les combats entre miliciens et résistants pendant la Deuxième guerre mondiale, avions-nous connu des Français qui se battent contre d'autres Français, des deux côtés d'une guerre.

Combien de temps une société démocratique comme la nôtre, peut-elle résister à pareil stress, sans conséquences incalculables sur le tissu national, notre vie politique, nos institutions mêmes?

La première cause de cette guerre tient au chaos général du monde arabo-musulman. La seconde à la faillite totale de notre modèle « d'intégration républicaine ».

L'extrême dureté des épreuves qui nous attendent ne tient pas seulement à la sauvagerie des barbares qui nous attaquent, ni même à leur maîtrise parfaite des moyens de communication modernes. Non, cette guerre-là est gravissime parce qu'elle est née de deux causes que nous n'avons cessé de nourrir nous-mêmes au fil du temps, par aveuglement et par lâcheté, dont le traitement prendra des années voire des décennies.

La première tient au chaos général du monde arabo-musulman. La seconde à la faillite totale de notre modèle «d'intégration républicaine».

Les raisons du chaos proche-oriental sont à la fois complexes et multiples:

- Echec tout d'abord - depuis 60 ans! - des expériences nationalistes ou socialistes dans le monde arabo-musulman postcolonial, vissant au pouvoir pour des décennies, des régimes autoritaires kleptocrates et incapables, avec pour seule opposition la Religion: que celle-ci soit incarnée par la Confrérie (les Frères musulmans), ou les importations plus récentes depuis 1973 du salafisme et du wahhâbisme repris par Al-Qaïda à Daech, en passant par Al-Nostra ou Aqmi.

- Echec aussi des révolutions populaires arabes depuis 2011 qui basculeront vite dans la guerre civile (Libye, Syrie, Irak), aggravé par un autre échec: celui des occidentaux dans les années 2000 qui ont tenté d'apporter la démocratie par la force des armes (Afghanistan, Irak, Libye). Dans ce champ de ruines, désormais hors de contrôle des grandes puissances d'hier, l'inflammation de fanatismes religieux rivaux à l'intérieur même du monde musulman ajoute une autre dimension interétatique plus violente encore: sunnites contre chiites, Arabie saoudite et Turquie contre l'Iran, comme hier, Ottomans contre Abbâssides.

Le résultat, c'est l'implosion pure et simple des Etats et des frontières issus il y a un siècle de la transaction franco-britannique de l'après Première guerre mondiale. De Sykes-Picot, que reste-il aujourd'hui à l'heure de la deuxième décolonisation de l'Empire ottoman? La Syrie n'est plus, l'Irak a implosé en trois morceaux, le Liban et la Jordanie ne tiennent plus qu'à un fil, le Golfe est en flammes tandis que l'Iran se nucléarise.

Quant à la «Coalition» mise en place par les Etats-Unis, il y a tout juste un an, après la prise de Mossoul et la proclamation de l'Etat islamique et de son Calife Al-Baghdadi, qu'en reste-t-il à présent, sinon quelques bombardements impuissants à renverser le rapport de forces sur le terrain? Comment d'ailleurs parler de «coalition», lorsque certains «alliés» achètent le pétrole de Daech, lui vendent des armes et acheminent complaisamment des combattants venus d'Europe et du monde entier?

La leçon de ce chaos est particulièrement cruelle pour les occidentaux: «damned if you do, damned if you don't» disent les Anglo-Saxons: intervenir militairement (Irak, Libye) provoque les résultats que l'on sait. Ne pas intervenir, ou intervenir à moitié, façon Obama suivi par Hollande, laisse le champ libre aux rivalités chaotiques des puissances régionales (Turquie, Arabie saoudite, Qatar, Iran), qui se font la guerre par procuration: à chacun ses objectifs et ses milices djihadistes…

La France quant à elle, peine à exister dans ce chaos, et le cap erratique de l'Amérique ne l'aide pas. Hier, il s'agissait de bombarder Assad ; aujourd'hui nos avions bombardent ses opposants de l'autre côté d'une frontière qui a disparu.

La France quant à elle, peine à exister dans ce chaos, et le cap erratique de l'Amérique ne l'aide pas. Hier, il s'agissait de bombarder Assad ; aujourd'hui nos avions bombardent ses opposants de l'autre côté d'une frontière qui a disparu. Quant au fameux «ni-ni» cher à Laurent Fabius, «ni Daech, ni Assad», chacun voit bien qu'il condamne à l'impasse. «Ni Daech, ni Assad», mais alors quoi?

Si Daech est vraiment l'ennemi absolu, le détonateur de l'Orient, comme du terrorisme en Europe et partout dans le monde arabe comme on l'a vu ce week-end de la Tunisie au Koweït, alors il faut le combattre avec tous les moyens. Y compris en s'alliant avec le Diable: Assad, Poutine, voire les ayatollahs de Téhéran. Or, c'est l'inverse que nous faisons: rupture avec l'Iran, alliance militaire (juteuse pour nos ventes d'armes) avec les monarchies du Golfe pourtant exportatrices du wahhâbisme, glaciation avec Moscou.

Il n'y a certes pas de martingale diplomatique magique pour résoudre de l'extérieur l'implosion du Moyen-Orient et ses conséquences en Afrique du Nord et au Sahel. Une chose est sûre cependant, la région toute entière sera en proie à une déstabilisation générale pour des années, sinon des décennies, et s'il n'est pas sûr que les états et les frontière dessinées par les colonisateurs français et britanniques il y a un siècle, survivent à pareil séisme.

A tout le moins notre pays mérite de s'interroger sur ses choix, sur ses options militaires, y compris en Afrique tant il est clair que ceux-ci rejaillissent directement sur l'autre volet de cette guerre: en France même.

Car sur le «front intérieur» aussi, l'épreuve promet d'être lourde et douloureuse. La France, de longue date pays d'immigration, a la particularité d'avoir la communauté musulmane la plus nombreuse d'Europe : au moins 6, plus probablement 8 millions de citoyens ou de résidents de confession musulmane.

Autre particularité cruciale en l'espèce: cette communauté est pour l'immense majorité, issue de pays jadis colonisés par la France, où le souvenir de la colonisation violente, des humiliations, puis des guerres de libération, reste vivace plusieurs générations après.

Enfin, la France combine un laxisme dans sa politique migratoire qui n'a d'égal que sa fermeture en matière d'accès à l'emploi. 200 000 entrées légales par an, 70 000 demandeurs d'asile, au moins autant de clandestins, des prestations sociales les plus généreuses de la planète pour des étrangers (santé, accès à l'école…), mais peu ou pas d'accès à l'emploi ou au logement hors des villes nouvelles ghettoïsées depuis cinquante ans.

En France, on aime le verbe, et le débat politique se complait trop souvent dans des formules creuses qui virent à la caricature.

A «l'islamophobie» attribuée aux uns, les autres ripostent par la «laïcité» et la dénonciation de l' «Apartheid à la française» proclamée par le Premier ministre. La France cherche désespérément son identité perdue, à coup d'émissions de télévision, de couvertures de journaux, et pendant ce temps, le nombre d'attentats et de djihadistes partis en Syrie ne cesse d'augmenter.

On déploie 10000 soldats sur notre territoire - autre fait sans précédent depuis la guerre d'Algérie - mais on dénie aux partis politiques d'opposition le droit de débattre de l'Islam et de la République!

Et pendant ce temps, la communauté musulmane, mal représentée, éclatée, se tait. Entre victimisation et crainte de réaction violente un jour des «Français», ces 10 ou 15 % de Français restent à l'écart du débat, comme ils le furent lors de la grande manifestation du 11 janvier. Comme hors sol.

Combien de temps ce déni de réalité peut-il tenir?

Entre une politique étrangère illisible (sauf sur le plan des ventes d'armes) et un débat intérieur qui se résume à des affrontements stériles et des textes législatifs aussi nombreux qu'inefficaces, la France ne règle sérieusement aucun des problèmes auxquels elle est directement et violemment confrontée aujourd'hui: quel rôle au Proche-Orient et dans le monde arabe? Quelle politique d'immigration face au naufrage de Schengen? Comment recoudre son tissu, son identité nationale, lorsqu' une partie de sa jeunesse non seulement n'aime pas son pays, mais est prête à prendre les armes pour le détruire?

Le temps des atermoiements, ou du déni de réalité, le temps de la cécité volontaire est derrière nous.

Le moment du sursaut est là, à nous de hisser à la hauteur du défi. Avant qu'à l'intifada latente que nous connaissons ne succède une tragique guerre d'Algérie à l'envers.

Attentats : nous sommes tous Hervé C.

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5 commentaires
  • arlet 18

    le

    Très bonne analyse , si j'excepte la " colonisation violente . " Une chose est certaine , ce ne sont pas les déclarations tonitruantes de Valls ou
    la "cécité volontaire " de Hollande qui stopperont Daech ,,,qui est à nos portes .

  • GérardJB

    le

    Constat ô combien lucide sur notre situation. Ce ne sont évidemment pas les socialos ou la droite molle à la Juppé qui y changeront quoi que ce soit.

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