Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?
Anniversaire Mario.
Nintendo

Le juteux marché des jeux vidéo anniversaires

Par 
Publié le 01 juillet 2015 à 16h37, modifié le 01 juillet 2015 à 17h39

Temps de Lecture 7 min.

Vendredi 3 juillet 2015, Shigeru Miyamoto, le créateur de Mario, montera sur la scène de la Japan Expo pour célébrer devant 15 000 auditeurs les 30 ans de Super Mario Bros., sorti en septembre 1985 au Japon. Le salon consacré à la culture japonaise sera également « l'occasion de fêter l'anniversaire de nombreux jeux », annonce MO5.com. L'association française, qui vise à préserver et diffuser le patrimoine numérique, exposera Pac-Man (35 ans), Rayman (20 ans), « ainsi que des machines cultes comme la Master System (30 ans), la Neo Geo (25 ans) ou la PlayStation (20 ans) ».

Le phénomène n'est pas circonscrit à la Japan Expo. A l'Electronic Entertainment Exposition (E3), le Salon mondial annuel de jeu vidéo qui s'est tenu à Los Angeles du 16 au 18 juin, Sony a présenté une manette PlayStation 4 spécial 20e anniversaire de sa gamme de consoles, tandis que Microsoft annonçait une compilation de jeux rétro en l'honneur des 30 ans d'un studio britannique majeur, Rare (BattletoadsBanjo-Kazooie…).

En 1995, la PlayStation arrivait en Europe. Sony lancera une console et une manette édition spéciale pour célébrer les vingts ans.

« Il y a un intérêt commercial évident, car les consommateurs, mais aussi les journalistes, sont particulièrement réceptifs, observe Thomas Grellier, ancien d'Activision, de Midway Games et de Sega, aujourd'hui professeur de marketing à la Kedge Business School de Bordeaux. Et ce, pour différentes raisons : nostalgie, offre améliorée par rapport à l'original ». Difficile de le contredire. Et les studios ne sont pas les seuls à jouer le jeu. Toute une littérature s'est constituée ces dernières années autour de l'histoire du jeu vidéo, avec des maisons d'édition dédiées, en France comme ailleurs : Pix'n Love, Omake Books, Geeks-Line, Third Editions…

« On essaie de faire plaisir aux gens et au meilleur moment, détaille Mehdi El Kanafi, cofondateur de Third Editions. Il y a des considérations économiques. Il faut à la fois contribuer aux tendances et surfer dessus. Si on arrive un peu avant ou un peu après, c'est plus compliqué au niveau de la réception du public. L'argument de l'anniversaire est important. »

Abus d'anniversaires

Parfois, pourtant, cette pratique commerciale vire à la parodie. Le 29 juin 2015, Sony s'est fendu d'un petit tweet pour les cinq ans du PlayStation Plus, un service d'abonnement à ses consoles.

Quelques jours plus tôt, via un communiqué de presse nonchalant, Sega réussissait à convaincre certains sites de fêter le… 24e anniversaire de Sonic, son hérisson bleu. Un nombre peu symbolique et une stratégie absurde, rappelant celle d'Electronic Arts qui choisissait de célébrer le 7e puis le 9e anniversaire de son jeu de rôle en ligne, Ultima Online.

Pourtant, Sega avait proposé il y a quatre ans un véritable projet anniversaire : la rencontre entre le Sonic de 1991 et le Sonic de 2011, dans un jeu alternant volontairement phases en vue de côté à l'ancienne et phases en 3D à la mode d'aujourd'hui. Thomas Grellier était directeur marketing de Sega France à l'époque, et se souvient du branle-bas de combat en interne pour réussir ce fameux anniversaire.

« C'était une opération prévue de longue date, au moins trois ans à l'avance, et concomitante au lancement d'un jeu dont le titre était évocateur : Sonic Generations. La pression était très forte : Sega voulait réussir le lancement du jeu et en même temps communiquer sur la gamme Sonic dans son ensemble (jeux vidéo, produits dérivés, contrats de licensing). » Chaque partenariat proposé par le service marketing devait être validé par Sega au Japon, se rappelle M. Grellier.

En 2011, pour les 20 ans de son hérisson phare, Sega avait imaginé la rencontre entre le Sonic d'aujourd'hui (à gauche) et le Sonic de 1991 (à droite).

De nombreux éditeurs se sont aussi lancés ces dernières années dans des rééditions « anniversaire ». Un petit tour sur Mobygames, une des encyclopédies collaboratives les plus fiables en matière de jeux vidéo, permet de recenser pas moins de 50 jeux mentionnant explicitement un « anniversaire » dans leur titre.

Le Monde
Offre spéciale étudiants et enseignants
Accédez à tous nos contenus en illimité à partir de 9,99 €/mois au lieu de 11,99 €.
S’abonner

Les deux premiers, Descent Anniversary Edition (pour sa première année) et Oregon Trail II – 25th Anniversary Edition (pour ses 25 ans), apparaissent dès 1996, suivis de près de Megaman 8 – Anniversary Edition, pour ses 10 ans, en 1997. Si quelques mois seulement séparent leur sortie, leurs logiques sont toutefois très différentes : le premier surfe sur son succès commercial, le second met à la disposition de tous un jeu d'aventure distribué en 1971 sur des ordinateurs alors réservés aux universitaires, tandis que le troisième convoque la fibre nostalgique pour raviver l'engouement autour d'une série sur le déclin.

Megaman 8 est sorti en 1996 au Japon et surtout en 1997 aux Etats-Unis, soit dix ans après le premier épisode. L'édition anniversaire collector comprend des dessins prépatoires inédits.

Mettre en avant le patrimoine historique

Mais c'est vraiment à partir des années 2000 et du succès des 20 ans de la console Famicom au Japon que de nombreux acteurs mettent systématiquement en avant leur patrimoine historique. Depuis, plusieurs éditeurs se sont fait les champions du marketing « anniversaire », comme Sega (Sonic, Puyo Puyo), Square Enix (Dragon Quest, Final Fantasy) et Capcom (Street Fighter, Megaman). Chaque série phare célèbre en moyenne un anniversaire tous les cinq ans.

« Cela marque et prouve la pérennité d'une marque, d'une série dans le temps, preuve de sa qualité », estime Thomas Grellier, qui avait participé aux 20 ans de Sonic. Les entreprises japonaises sont les plus cotées en la matière. Pas tant par le nombre de jeux anniversaires (vingt jeux estampillés depuis 1996 contre vingt-deux pour les Etats-Unis) que par l'âge de leurs vénérables licences : 20 ans en moyenne, contre 10 et demi pour les séries américaines. La France figure au troisième rang de ce classement, avec huit jeux et 12,1 ans de moyenne, grâce aux célébrations de classiques comme Rayman ou Another World.

Pour les 30 ans de Super Mario Bros., Nintendo prépare un jeu de construction de niveaux à l'ancienne, et une figurine interactive à l'esthétique rétro.

Côté séries, le jeu vidéo a aussi ses rois de l'autocélébration, comme Final Fantasy, Street Fighter et Super Mario Bros. En 2015, ce sera déjà la troisième fois que Nintendo célèbre l'anniversaire du jeu de plateforme, après avoir réédité le titre original en 2004 sur Game Boy Advance dans la gamme « NES Classics », puis commercialisé en 2010 sur Wii une version en boîte de la compilation Super Mario All-Stars, datant de 1993.

Sur Twitter, plusieurs comptes automatiques comme @HBVideoGames ou @Gameiversary tweetent quotidiennement les bougies du jour, qu'il s'agisse d'obscurs titres japonais, de récentes éditions de jeux commerciaux ou d'aventures aimées de tous.

Ici, pas d'impératifs commerciaux, mais la volonté de participer de manière active et constructive à l'un des ciments de la communauté des joueurs, la nostalgie. « L'idée vient d'un article sur jeuxvideo.com sur l'anniversaire de Myst, explique l'administrateur de @HBVideoGames, un programmeur français, Laurent, 30 ans. J'ai plaisanté sur Twitter à ce sujet et l'auteur de l'article a réagi et a souligné qu'il manquait un site qui recensait les dates »

C'était début 2014. Depuis, le site qui alimente le compte s'appuie sur une base de données de plus de 37 000 entrées – et autant de chances de se tromper, dans une industrie pas franchement réputée pour la qualité de ses archives. « C'est extrêmement compliqué, confirme Laurent. Déjà parce qu'on est dans un média avec des marchés continentaux différents, et surtout parce que les sources sont extrêmement contradictoires ».

Le parcours du combattant de l'historien

A ce jeu-là, les historiens amateurs se montrent souvent plus regardants que les éditeurs. Youloute, un internaute particulièrement investi dans l'épluchage des archives du jeu vidéo, épingle régulièrement des erreurs de dates sur la plupart des sites, qu'ils soient collaboratifs ou professionnels. A l'image du jeu de plateforme déjanté Earthworm Jim, daté indifféremment en avril, août ou octobre 1994 selon les sources.

Il n'est pas rare que l'écart entre l'erreur et la réalité soit de quatre mois. « Pour un jeu dont le développement a duré près de 6-8 mois, ça fait pas mal », explique-t-il au Monde. Et de citer les nombreux pièges, comme la confusion possible entre la date d'annonce d'une console et sa date de sortie, ou « des publicités qui indiquent des dates farfelues » comme Sega annonçant la sortie de Dune sur Mega-CD pour Noël 1993, alors que le jeu sortira durant l'été 1994.

Certains lancements ont par ailleurs été réalisés en plusieurs temps, comme la console NES, d'abord commercialisée à l'automne 1985 à New York, puis à Los Angeles, puis en 1986 dans le reste des Etats-Unis, compliquant le suivi de la commercialisation des premiers jeux sur le continent. Il a ainsi fallu attendre 2012 pour que le site spécialisé Gamasutra brise un tabou : « Triste mais vrai, nous ne sommes pas capables de certifier la date de sortie [américaine] de Super Mario Bros. »

En 2015, cela fait 25 ans que la Super Nintendo est sortie au Japon, une date prétexte pour l'éditeur Pix'n Love, qui en profite pour rééditer son ouvrage commémoratif en édition collector.

La situation est encore plus complexe sur le vieux continent, et ses fameuses « dates de sortie européennes » : « un joli concept chimérique, épingle Youloute, chaque pays était géré indépendamment des autres pendant des années en Europe, y compris au niveau des dates de sortie ».

Résultat, même les éditeurs s'y perdent. Des rééditions spéciales pour les 10 ou 20 ans sortent parfois avec un an d'avance ou de retard, comme ce fut le cas de Final Fantasy II : 20th Anniversary Edition (sorti en 2007, alors que le jeu date de 1988). Idem pour Tomb Raider : Anniversary, commercialisé lui aussi en 2007, alors que les premières aventures de l'exploratrice remontent à 1996.

Mais le cas d'école le plus absurde reste celui de Tetris, dont la société parente, The Tetris Company, a inventé du jour au lendemain une date anniversaire afin de célébrer ses 25 ans en 2009, alors que la plupart des témoins de l'époque attestent que le jeu ne circulait pas avant 1986. Depuis, ses 30 ans ont été célébrés comme si de rien n'était en 2014. Mais après tout, qu'importe ? Quand on aime, on souffle, on ne compte pas.

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.