Moscou souffle le chaud et le froid avec ses voisins baltes. Le 25 mai, le président du Parlement russe, Sergueï Narychkine, assurait dans un entretien à la télévision lettone vouloir des « relations normales avec les Etats baltes ». Précision importante, tant l’annexion de la Crimée par la Russie et sa politique agressive envers l’Ukraine ont inquiété son voisinage, M. Narychkine indiquait qu’il considérait les trois pays baltes – Estonie, Lettonie, Lituanie – comme « des pays indépendants et souverains ».
Un mois plus tard, c’est un signal bien différent qui est envoyé par Moscou. Mardi 30 juin, le parquet général russe a indiqué avoir ouvert une enquête visant à vérifier la légalité de la décision des autorités soviétiques de reconnaître, en 1991, l’indépendance des trois pays baltes qui faisaient auparavant partie de l’URSS.
Deux députés du parti au pouvoir Russie unie avaient annoncé mi-juin avoir adressé une demande en ce sens au procureur général de Russie, Iouri Tchaïka. Selon Evgueni Fiodorov et Anton Romanov, le Conseil d’Etat de l’URSS a reconnu, le 6 septembre 1991, l’indépendance proclamée par la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie un an auparavant, sans toutefois apporter à la Constitution de l’Union soviétique les amendements nécessaires. Les deux élus font en outre valoir que ce Conseil d’Etat de l’URSS, formé notamment par le président de l’Union soviétique et les présidents de toutes les Républiques de l’Union, était lui-même un organe inconstitutionnel.
Le rattachement de la Crimée à l’Ukraine jugé illégal
L’affaire sonne d’autant moins comme une blague que ce même parquet général avait jugé illégal, la semaine passée, le rattachement administratif de la Crimée à l’Ukraine en 1954. Le parquet, qui estimait pour arriver à cette conclusion qu’« en vertu de la Constitution de l’URSS, le Conseil suprême de l’Union soviétique n’avait pas le pouvoir de modifier le territoire des Républiques soviétiques », précisait toutefois qu’il n’était pas en mesure de saisir la justice pour réclamer la validation juridique de cette constatation, car il se serait agi de « contester une loi de l’URSS », un pays qui n’existe plus.
L’annonce du parquet russe a d’ores et déjà provoqué des réactions courroucées de la Lituanie, qui l’a qualifiée de « provocation ». « Notre indépendance a été obtenue par le sang et avec les sacrifices du peuple lituanien. Personne n’a le droit de la menacer », a souligné la présidente lituanienne, Dalia Grybauskaite, dans un communiqué. Sur un ton plus léger, le père de l’indépendance du pays, Vytautas Landsbergis, a estimé que Vilnius disposait d’éléments questionnant la légalité de l’Etat russe. « Qu’est-ce que c’est que cet Etat qui a détrôné son tsar et l’a tué, ainsi que ses enfants ? » a ironisé M. Landsbergis.
Incidents frontaliers
Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a pour sa part indiqué ne pas être au courant de cette nouvelle procédure. « Je n’ai pas entendu parler d’une telle demande, a-t-il déclaré à des journalistes à Vienne. Je ne sais qu’une chose, c’est que nous avons des relations diplomatiques avec les pays baltes. »
Depuis plusieurs mois, et malgré de fréquents incidents frontaliers, Moscou semble soucieux de rassurer ses voisins baltes sur ses intentions. Il n’est pas à exclure que la démarche initiée par les députés Fiodorov et Romanov l’ait été sans validation du Kremlin. Même si elle est devenue, sous la présidence de Vladimir Poutine, une simple chambre d’enregistrement, la Douma est souvent utilisée pour présenter toutes sortes de propositions, reflétant souvent la ligne la plus dure du régime russe.
Mais l’initiative met surtout en évidence la vague révisionniste qui s’est abattue sur la Russie. En novembre 2014, Vladimir Poutine s’interrogeait à haute voix sur « ce qu’on peut bien reprocher » au pacte Molotov-Ribbentrop, cet accord signé en 1939 entre l’URSS et l’Allemagne nazie et dont un protocole secret ouvrait la voie à l’invasion par Staline d’une partie de l’Europe orientale, pays baltes y compris.
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