Présidentielle en Tunisie : les islamistes en arbitre du second tour

 

Présidentielle en Tunisie : les islamistes en arbitre du second tour

    Les Tunisiens vont élire dimanche leur président de la République. Un scrutin historique qui opposera Moncef Marzouki (69 ans), candidat sortant, et Béji Caïd Essebsi (88 ans) ex-ministre de Bourguiba. Les deux hommes, au profil et au parcours très différents, ont tenu leurs derniers meetings vendredi. La campagne officielle s'est achevée dans une tension extrême entre les deux camps.

    D'un côté, Moncef Marzouki qui se présente comme le garant des acquis de la révolution, accuse Béji Caïd Essebsi (appelé à Tunis Bajbouj ou BCE) d'incarner le retour de l'ancien régime Ben Ali et met en garde les Tunisiens sur le risque d'un retour à la dictature. De l'autre, Beji Essebsi est monté au créneau pour vilipender la politique de la troïka (et à sa tête Marzouki) en affirmant qu'il est soutenu par les islamistes et même les salafistes et les djihadistes.

    Faute de confrontation directe à la télévision, Caïd Essebsi s'y étant refusé malgré l'insistance de son rival, les deux candidats au palais de Carthage se sont affrontés violemment par médias interposés. Le président sortant Moncef Marzouki a mis le feu aux poudres assurant dans un discours devant ses partisans «craindre des fraudes». Ce qui lui a valu une mise en garde immédiate de l'Instance supérieure pour l'indépendance des élections (ISIE).

    VIDEO. Les Tunisiens de France à la veille d'élire leur président

    Au premier tour, six points séparaient les deux candidats au soir du 23 novembre. Le «vieux» Béji Essebsi est arrivé en tête avec 39,46 % des suffrages contre 33,43 % à son rival. Donné favori, après avoir éjecté les islamistes d'Ennahda de la première place (mais sans atteindre la majorité absolue) aux législatives du 26 octobre, le chef de file de Nidaa Tunes (Appel de Tunisie) Beji Essebsi veut conforter sa position de leader lors de cette présidentielle. Sa victoire lui faciliterait la tâche pour nommer un gouvernement de coalition sans les islamistes d'Ennahda, deuxième force du pays, qui n'ont pas présenté de candidat à la présidentielle. Officiellement, le mouvement islamiste de Ghannouchi joue la neutralité comme au premier tour. Mais nombre de ses militants pourraient voter en masse en faveur de Marzouki.

    «Ce sera gauche couscous contre gauche caviar»

    Quant à Béji Essebsi, entre les deux tours, plusieurs petits partis lui ont apporté leur soutien. Un ancien ministre de Ben Ali candidat au premier tour, Kamel Morjane, s'est rallié au vieux briscard tout comme le milliardaire du foot, Slim Riahi (surnommé le Berlusconi de Tunis), arrivé en cinquième position.

    Quant au Front populaire (gauche) de Hamma Hammami, troisième au premier, il a appelé à ne pas voter Marzouki mais sans dire explicitement s'il soutenait ou pas BCE. Une position souvent incomprise par certains de ses militants qui osent cette boutade: «Ce sera gauche couscous contre gauche caviar». Cette boutade illustre le sentiment de la classe ouvrière, notamment dans le sud du pays appauvri et largement acquise au programme de Marzouki. Ce dernier a été applaudi lors de ses déplacements alors que Beji Essebsi est moqué en raison de son entourage d'hommes d'affaires bien connus en Tunisie.

    Outre l'abstention redoutée par les deux camps, les autorités craignent la violence et remettent le paquet pour assurer le bon déroulement du scrutin. D'autant plus qu'une intrusion inattendue entre les deux tours de cette campagne, émaillée d'incidents et jugée assez rude sans débat sur les projets des candidats, vient rappeler les menaces djihadistes qui pèsent toutefois sur le pays. Mercredi dernier, dans une vidéo publiée sur Internet, des djihadistes ralliés au groupe Etat islamique (EI) ont, pour la première fois, revendiqué l'assassinat de deux opposants anti-islamistes tunisiens, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, en 2013. Ils menacent désormais le pays de nouvelles violences.

    Bref, là où le président sortant, Marzouki, se présente en défenseur des valeurs de la révolution et se place en rempart contre le retour de son régime incarné, selon lui, par son rival, le candidat favori Beji Essebsi, lui, la joue tranquille, comme lors des législatives. Sans trop se déplacer. Mais avec son thème préféré: «Notre peuple a à choisir entre deux choses : le retour de la troïka (le parti islamiste Ennahda et ses deux alliés, Ettakatol et le Congrès pour la République de Marzouki) qui a ruiné le pays durant trois ans ou d'autres gens soucieux d'un avenir meilleur pour la Tunisie.»

    Aujourd'hui encore, chaque camp croit en sa victoire. Dimanche, près de 5,3 millions d'électeurs vont élire librement, et pour la première fois, leur président au suffrage universel. Un scrutin historique qui sera également suivi avec grand intérêt par leurs voisins du Maghreb.