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La pollution à Paris aussi nocive que le tabagisme passif

La capitale a mesuré pour la première fois, avec un ballon, les particules ultra-fines dans l’air, les plus nombreuses et nocives car elles pénètrent profondément dans les poumons.

Par  et  (New Delhi, correspondante)

Publié le 23 novembre 2014 à 13h55, modifié le 19 août 2019 à 14h13

Temps de Lecture 5 min.

L’image a de quoi faire frémir : le 13 décembre 2013, les rues de Paris étaient aussi polluées qu’une pièce de 20 mètres carrés occupée par huit fumeurs. La capitale subissait alors un épisode de pollution extrêmement dense, dû au trafic routier, au chauffage au bois et aux activités industrielles. A 18 heures, le ciel était chargé de 6 millions de particules très fines par litre d’air, 30 fois plus que la normale. L’atmosphère pour un Parisien était assimilable à du tabagisme passif.

Ces données inédites, rendues publiques lundi 24 novembre, ont pu être établies grâce au ballon de Paris, installé au-dessus du parc André-Citroën, dans le 15arrondissement, et équipé depuis dix-huit mois d’un appareil laser, mis au point par le CNRS, capable de mesurer en continu les nanoparticules présentes dans l’air. Ces particules ultra-fines, dont le diamètre est inférieur à 0,1 micromètre (µm), sont extrêmement nocives pour la santé humaine, car elles pénètrent profondément dans les poumons, entrent dans la circulation sanguine et peuvent atteindre les vaisseaux du cœur.

Sept millions de décès

Fines ou ultra-fines, les particules sont classées depuis 2012 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme cancérogènes (poumon, vessie). Elles peuvent favoriser des maladies cardiovasculaires et l’asthme. Elles ont aussi des incidences sur les naissances et exposent les femmes enceintes à un risque accru de mettre au monde des enfants de faible poids. L’OMS estime que plus de 2 millions de personnes dans le monde meurent chaque année du fait de l’inhalation de particules fines présentes dans l’air intérieur et extérieur – parmi les 7 millions de décès dus à la pollution globale de l’air.

Avec les instruments de mesure du ballon de Paris, c’est un peu comme si les scientifiques avaient posé une loupe sur le ciel de Paris. Jusqu’à présent, la qualité de l’air était analysée par l’observatoire francilien Airparif. Ses stations au sol, fixées au plus près des axes de circulation de la capitale, mesurent les concentrations de particules d’un diamètre plus important, les PM 10 et PM 2,5 (de diamètres respectivement inférieurs à 10 et 2,5 µm). Le ballon de Paris va au-delà : il pèse les particules et caractérise « l’empreinte » de la pollution, pour déterminer notamment si elle est carbonée, c’est-à-dire provenant de combustions fossiles, ou d’origine naturelle. Au final, il fournit une sorte de carotte de l’air de 0 à 300 mètres d’altitude.

L’intérêt de mesurer les nanoparticules est capital, car elles sont massivement présentes dans l’air. « Il y a deux cents fois plus de particules comprises entre 0,2 et 1 µm qu’entre 1 et 10 µm. Et il ne s’agit là que de la partie immergée de l’iceberg, car les particules en dessous de 0,2 µm sont encore plus nombreuses », souligne Jean-Baptiste Renard, directeur du laboratoire de physique et de chimie de l’environnement et de l’espace du CNRS. Chaque jour, les Parisiens inhalent 100 000 particules à chaque respiration.

Malgré leur dangerosité, aucun seuil réglementaire d’émissions n’a été encore fixé pour les nanoparticules. Seules les plus grosses, les PM10, sont encadrées : depuis 2008, la directive européenne sur la qualité de l’air impose de ne pas dépasser 50 microgrammes par mètre cube d’air (µg/m3) pendant plus de trente-cinq jours et 40 µg/m3 en moyenne pendant une année. La France, qui ne respecte pas ces normes, fait l’objet d’un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne.

« Matelas de poussières »

Outre la pollution chronique, le ballon de Paris a ausculté deux pics, en décembre 2013 et en mars 2014 – ce dernier épisode ayant marqué les esprits par sa durée et par l’image de la tour Eiffel disparaissant sous l’effet du brouillard de particules. La concentration de PM10 avait atteint 100 µg/m³. A la veille des élections municipales, le gouvernement avait fini par imposer, le 17 mars, la circulation alternée. Les deux épisodes sont cependant forts différents : en décembre 2013, les sources de la pollution ont essentiellement été locales (trafic routier et chauffage au bois), tandis qu’en mars 2014, des imports de polluants se sont ajoutés à la pollution générée par le trafic.

Dans le premier cas, la concentration de nanoparticules a été beaucoup plus importante. « Les Parisiens ont vécu sous un véritable matelas de poussières », assure Jérôme Giacomoni, le cofondateur d’Aérophile, gestionnaire du ballon de Paris. « L’épisode de décembre 2013, qui se caractérisa par une météo très belle sans aucun brassage d’air, a été dominé par des particules ultrafines, avec une moyenne de 3 millions tout au long de la journée, tandis que les particules plus grosses, supérieures à 1 µm, étaient comparables à celle d’une journée standard », précise Jean-Baptiste Renard.

La municipalité parisienne va devoir tirer les leçons de ces résultats. « Les données recueillies par le ballon de Paris viennent confirmer la gravité de la situation. Elles constituent un élément supplémentaire qui rend légitime une action forte », relève Christophe Najdovski, l’adjoint (EELV) du maire de Paris en charge des transports. L’élu devrait présenter début 2015 un plan antipollution ambitieux, qui vise une sortie du diesel d’ici à 2020, avec notamment la mise en place d’une zone à faibles émissions, bannissant les véhicules les plus polluants.

La lutte contre la pollution passe par l’éradication des moteurs diesel – l’une des principales sources de particules fines – dont la nocivité a été reconnue par l’OMS dès 1988. Pendant des années, malgré les alertes, la France a subventionné l’achat de ce type de moteur. Résultat, le pays compte le parc automobile le plus « diésélisé » au monde (61 %).

Obligation de résultat

La pollution de l’air n’est cependant pas une spécificité française. Les collectivités locales et les Etats de l’ensemble de l’Union européenne sont appelés être plus volontaristes. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans un arrêt rendu le 19 novembre concernant le Royaume-Uni, vient de rappeler que les valeurs limites des polluants fixées par la directive européenne sur la qualité de l’air constituent une obligation de résultat.

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Dans cet arrêt, la Cour rappelle que les valeurs limites du dioxyde d’azote (NO2) – autre polluant généré par les moteurs diesel – ne devaient plus être dépassées après le 1er janvier 2010. Un report de cinq ans de cette échéance, soit au 1er janvier 2015, est cependant possible lorsque ces valeurs limites ne peuvent être respectées en dépit de mesures de lutte contre la pollution. Mais il faut que les Etats membres en aient fait la demande à la Commission et aient adopté un plan relatif à la qualité de l’air prévoyant des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible. En cas d’inertie, affirme la CJUE, « il appartient à la juridiction nationale compétente, éventuellement saisie, de prendre, à l’égard de l’autorité nationale, toute mesure nécessaire, telle une injonction, afin que cette autorité établisse le plan exigé ». Voilà les Etats membres prévenus.

« Ce jugement devrait faire bouger les choses, se félicite Jean-Félix Bernard, président d’Airparif. Car si, jusque-là, en France notamment, les plaintes fondées sur la loi sur l’air restaient lettre morte, les tribunaux les classant sans suite, ces derniers sont désormais sous la pression d’un désaveu européen. »

Le phénomène n’est pas seulement urbain, mais concerne aussi des territoires ruraux, comme la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, asphyxiée par le trafic routier. Dimanche, le préfet a déclenché le dispositif d’alerte, limitant la vitesse des véhicules.

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