Éthiopie : des législatives pour rien ?

37 millions d'Éthiopiens se sont rendus aux urnes ce dimanche pour élire un nouveau parlement. Au pouvoir depuis 25 ans, l'EPRDF va-t-il encore être majoritaire ?

Par George Morbraz

Le Parlement éthiopien en session le 21 mai 2015.
Le Parlement éthiopien en session le 21 mai 2015. © Anadolu Agency

Temps de lecture : 6 min

Girma Seifu Maru. Il est actuellement le seul et unique opposant au Conseil des représentants des peuples, le Parlement éthiopien. Le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF) occupe les autres 546 sièges. Le parti au pouvoir tient le pays depuis 1991, date de la chute de la dictature communiste du Derg. Cette année encore, lors des 5e élections législatives de cette république fédérale, l'EPRDF devrait arriver en tête. Pourquoi ? Il faut remonter dans le passé. Dix ans plus tôt. En 2005, l'opposition menée par l'Unité pour la démocratie et la justice (UDJ) arrive préparée à la date du vote, le leadership des partis est fort, les membres suivent un consensus. Ces élections connaissent une véritable concurrence sans précédent. Les résultats tombent : l'opposition remporte 170 sièges. Un record jamais atteint par ces partis.

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Les événements de 2005 encore dans les têtes

C'est la période postélectorale de 2005 qui va empoisonner le pays. Les députés d'opposition dénoncent des irrégularités dans le dépouillement, ils affirment avoir remporté plus de sièges qu'annoncés, suffisamment du moins pour former un gouvernement. La population s'échauffe. Vingt députés refusent de siéger. Face à cette levée de boucliers, le gouvernement du très charismatique Meles Zenawi répond par la force. Lors des manifestations de rues à travers l'ensemble du territoire, 200 personnes sont abattues. 30 000 autres sont arrêtées : leaders et sympathisants de l'opposition, journalistes, membres de la société civile. Dans les mois et les années qui suivent, ceux qui ont échappé à la rafle fuient le pays. En parallèle, le gouvernement utilise tous les leviers pour accroître le contrôle sur la vie publique. En 2009, la très critiquée loi antiterroriste est promulguée. L'EPRDF glane de nouveaux adhérents par des opérations séduction en multipliant les projets d'envergure : plus grand barrage hydroélectrique d'Afrique, un réseau routier flambant neuf, des logements à bas coûts dans les zones urbaines, un tramway dans Addis-Abeba, etc. En 2005, l'EPRDF comptait 75 000 membres. Ils sont aujourd'hui 7 millions.

Le système électoral donne une surprime au premier

Lors des élections de 2010, l'opposition est désintégrée. Les leaders sont derrière les barreaux ou en exil. À Addis-Abeba, l'EPRDF remporte 22 sièges sur 23. Pourtant, seulement 45 % de la population de la capitale lui a accordé son soutien. À l'échelle nationale, le parti au pouvoir décroche 99,6 % des sièges. Le système électoral, majoritaire à un tour, y est pour beaucoup. Un système comparable au Royaume-Uni. Plus le nombre de candidats rivaux augmente, plus les chances d'obtention de sièges augmentent pour le parti au pouvoir. En effet, le parti remportant le plus grand nombre de voix remporte le siège. Qu'importe si la coalition en tête n'obtient que 15 % des voix, tant que les micropartis stagnent chacun à 14 %. Cette année, 57 partis s'opposeront au très fort EPRDF.

L'opposition divisée...

57 partis. Et zéro consensus. Au sein de l’Union pour la démocratie et la justice, l'unique parlementaire d'opposition et économiste de profession Girma Seifu Maru a annoncé ne pas se présenter cette année. Sa famille politique souffre d'une guerre de leadership entre deux hommes, Belay Fekadu et Tiguestu Awolu. En janvier, la commission électorale a autorisé l'UDJ à participer aux élections, sous la présidence de Tiguestu Awolu. Le député soutenait Belay Fekadu. Aujourd'hui, l'opposition peine à afficher un programme concret. Le cheval de bataille de l'opposition... est l'opposition. Lors d'un meeting à Addis-Abeba, Mulatu Gemechu, leader de l'un des partis de coalition du Medrek, déclarait : "Ce gouvernement ne laisse aucune liberté. Des gens ont fui, ceux qui sont restés subissent des pressions. Si nous arrivons au pouvoir, nous organiserons de véritables élections démocratiques. Nous lutterons contre l'inflation. Nous allons augmenter l'offre et ainsi réduire les prix. Aujourd'hui, nous manquons d'eau, d'électricité, les réseaux de communication et de transport sont mauvais. Le parti au pouvoir clame que nous nous développons, mais il y a encore des gens qui ont faim !" Derrière les critiques, aucun détail du programme économique.

... ne manque pourtant pas de soutiens

Malgré ce manque de leadership et de propositions, les soutiens au Medrek existent. Tesfaye, un enseignant, s'est rendu au meeting qui ne comptait qu'une vague centaine de participants. "Il y a beaucoup de sympathisants au Medrek à travers l'Éthiopie. J'aurais aimé voir plus de monde. Mais ici la police vérifie et note l'identité de chaque personne qui se rend au rassemblement. Les gens ont peur de la police." Mulatu Gemechu explique avoir demandé l'autorisation à la municipalité d'Addis-Abeba de se rassembler sur la place centrale de Meskel Square. "On nous a dit non. La réponse prétextait que ce jour correspondait à un jour de marché, et que donc aucun rassemblement politique ne pouvait avoir lieu. Meskel Square n'a jamais été un marché !" répond le candidat éberlué, la lettre de rejet à la main.

La règle "sans expectative, pas de déception"

L'an dernier, l'arrestation massive de journalistes et des blogueurs connus sous le nom de "zone 9" a choqué. Tout comme la condamnation à mort par contumace de l'opposant Andargachew Tsige en 2009, extradé du Yémen vers l'Éthiopie en juin dernier. L'Éthiopie arrive à la triste quatrième place des pays les plus censurés, après la Corée du Nord, l'Érythrée et l'Arabie saoudite, selon le CPJ (Comité de protection des journalistes). Mais au sein du seul pays stable de la Corne de l'Afrique (menace Al-Shabab en Somalie et au Kenya, dictature érythréenne, guerre civile au Soudan du Sud), beaucoup préfèrent opter pour la stabilité et le progrès que la liberté et la démocratie. Dans ce contexte, bon nombre de spécialistes excluent l'idée de voir exploser la violence comme en 2005. La règle du "sans expectative, pas de déception" fait loi. En revanche, si l'élection en soi ne devrait pas créer de révolte, des problèmes très sensibles pourraient revenir sur le devant de la scène. L'an dernier, des violences se sont propagées en région Oromo à la suite du décret de l’extension de la ville d'Addis-Abeba qui viendrait grignoter le territoire ethnique le plus vaste d'Éthiopie. La question de l'islam est également sensible. Des leaders du mouvement musulman éthiopien Dimtsachin Yisema sont toujours emprisonnés.

Dessalegn toujours fidèle au poste ?

En avril, le rassemblement de deuil national pour les trente Éthiopiens assassinés par l'État islamique en Libye a tourné à la révolte populaire. Dans la capitale, les manifestants s'en sont pris au gouvernement. Face au lancer de pierres, la police fédérale a répondu par des coups de matraque et des gaz lacrymogènes. Après les événements de ces dix dernières années, l'EPRDF devrait conserver le pouvoir législatif et gouverner les cinq prochaines années. Toujours sans surprise, Hailemariam Dessalegn, l'actuel remplaçant de Meles Zenawi décédé en 2012, devrait conserver son poste. D'abord parce qu'il est le dauphin de "Meles". Et même disparu depuis trois ans, l'ancien leader continue d'imposer son ombre. D'autre part, l'EPRDF est une coalition de quatre partis nés de quatre ethnies : les Tigréens, les Oromos, les Amharas et enfin les peuples du Sud. Hailemariam Dessalegn est né à Wolaita dans la province du Sud. Or, les Oromos et les Amharas représentent à eux seuls 65 % de la population éthiopienne. L'ancien leader Meles Zenawi étant Tigréen, Hailemariam Dessalegn, issu d'une minorité, semble un bon compromis pour siéger à la primature.