La nouvelle du renvoi de l’ex-ministre et maire de Draveil (Essonne) UMP Georges Tron devant la cour d’assises pour des faits de viol aggravé et agression sexuelle dont l’accusent depuis 2011 deux de ses anciennes employées a surpris tout le monde, mardi 16 décembre. Il y a un an, en décembre 2013, les juges d’instruction suivaient les réquisitions du parquet d’Evry et concluaient leur enquête par un non-lieu. Le témoignage des jeunes femmes ne permettait pas en l’état de « caractériser suffisamment les infractions », expliquaient-ils. Mais la chambre de l’instruction a eu une tout autre lecture du dossier.
Pour les juges de la cour d’appel, Virginie Faux et Eva Loubrieu ont bien été victimes de viol au cours des séances de réflexologie plantaire imposées par le maire de Draveil (Essonne) entre 2007 et 2010. Et si les témoignages de ces victimes ont été remis en cause, jugés approximatifs et parfois contradictoires, c’est notamment parce que l’élu a exercé des pressions pour leur imposer le silence.
Les manoeuvres de deux amants
La lecture de l’arrêt de la cour d’appel - une trentaine de pages dont le Monde a pu prendre connaissance - permet par ailleurs d’apprendre que M.Tron a manœuvré et préparé des dossiers « contenant des éléments défavorables aux deux plaignantes, y compris sur leur vie privée » pour « décrédibiliser » leurs témoignages. Un homme l’a notamment aidé dans cette entreprise : le « commissaire de police de Draveil ».
Grand adepte des médecines douces, l’ex ministre de Nicolas Sarkozy pratique la réflexologie plantaire depuis une trentaine d’années. C’est grâce à cette discipline, une « hygiène de vie »- qu’il attire les femmes. A des dizaines d’entre elles, il a imposé des caresses des pieds dans son bureau, à sa permanence parlementaire, lors d’un entretien d’embauche, d’un déjeuner de travail. Sans prévenir, Georges Tron saisit leur pied, le coince entre ses cuisses et commence à masser. La plupart, impressionnées, par crainte de ne pas décrocher le poste convoitié, se taisent lorsque la main du maire dérape, glisse le long de la jambe et remonte jusqu’aux cuisses. Celles qui ont dit non ont été mutées, ont perdu leur logement de fonction, ou n’ont pas été rappelées.
Au cours de récits qui n’ont jamais varié, Virginie Faux et Eva Loubrieu ont longuement décrit les séances de massage imposées dans le bureau du maire, dont il prenait soin de fermer la porte capitonnée à double tour, ou dans la salle de réception du château de Villiers – qui abrite aujourd’hui l’Hôtel de ville – après un déjeuner avec une association de chasseurs. Virginie Faux se souvient également d’une scène à trois au domicile de Brigitte Gruel, l’adjointe aux affaires culturelles. « Maîtresse » et « complice » du maire, cette dernière, dont les mains déboutonnaient les chemisiers et caressaient les poitrines, est également renvoyée devant la cour d’assises pour complicité de viol et agression sexuelle. Les deux amants ont manœuvré de concert pour inciter les jeunes femmes à retirer leur plainte.
Lucile Mignon, l’assistante parlementaire de Georges Tron, est ainsi venue trouver Virginie Faux à la sortie de l’école pour l’avertir que le maire avait un gros dossier sur elle. Mme Mignon a d’abord farouchement nié cette rencontre. Mais au terme de sa cinquième audition elle a reonnu que son patron « lui avait quasiment intimé l’ordre de [lui] faire savoir qu’il avait constitué un dossier sur elle » pour la dissuader de révéler les faits. Et certains des témoignages recueillis en faveur du maire ont pu être « téléguidés », a t-elle ajouté.
Le plus flagrant d’entre-eux est peut-être celui de cette collaboratrice qui jure n’avoir vu aucune connotation sexuelle dans ces séances de réflexologie. Mieux, elle a raconté avoir eu une relation sexuelle avec Georges Tron et Brigitte Gruel, dans le bureau du maire. Certes, elle ne s’y attendait pas, mais cela ne l’a pas dérangée, a t-elle expliqué aux policiers. Quelques semaines plus tard, elle est revenue sur sa déclaration et a reconnu « ne pas avoir dit toute la vérité la première fois parce qu’elle avait subi des pressions de la mairie, notamment à travers son fils de 15 ans, être surveillée depuis sa première déposition et craindre pour son avenir professionnel ».
De nombreux témoins qui ont parlé disent avoir été fait l’objet « de manoeuvres de mise à l’écart» . « 90 % des agents sont des amis, pour le reste ça se paiera, tout se paiera », faisait d’ailleurs savoir le maire lors de réceptions officielles.
« Des recrutements plastiques »
Les cibles de Georges Tron ont toutes le même profil : des « femmes dans des situations personnelles compliquées, divorcées et sans emploi », sur lesquelles il peut exercer son ascendant. Cette description rejoint celle donnée par le DRH de la mairie qui déplorait ne plus pouvoir recruter les employés municipaux en fonction des compétences. M.Tron lui imposait « des recrutements plastiques, c’est-à-dire de belles femmes un peu dans l’ennui d’argent », choisies « à l’occasion de ses permanences ».
Lorsque l’affaire a éclaté, l’élu a aussitôt crié au complot politique, au règlement de comptes. Mais les juges de la cour d’appel écartent cette thèse. Les plaignantes ont bien reçu le soutien des opposants locaux du maire et notamment celui des frères Jacques et Philippe Olivier, très proches du Front national. Toutefois, la cour considère que dans la mesure où aucune des deux jeunes femmes ne s’est « précipitée pour porter les faits [qui n’étaient pas récents] sur la place publique » et qu’elles « n’ont ni l’une ni l’autre un profil politique ou partisan », Virginie Faux et Eva Loubrieu ne peuvent être « suspectées de calculs politiques ».
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu