Peter Thiel : "Guérir le cancer ou la démence est tout à fait réalisable"

Peter Thiel : "Guérir le cancer ou la démence est tout à fait réalisable" A l'occasion de la sortie de son premier livre, le célèbre homme d'affaires à l'origine du dispositif de paiement PayPal, partage ses idées tranchées sur l'entreprenariat et l'innovation. Entretien.

Cofondateur de PayPal, investisseur milliardaire, Peter Thiel est connu depuis longtemps pour son esprit de contradiction. Il offre des subventions aux étudiants pour qu'ils quittent l'université, et entreprend actuellement la construction d'une île autonome. Il ne recrute pas les diplômés en administration des affaires et déteste les dirigeants en costume.

Cela explique pourquoi la première question qu'il formule face à un candidat ou lors d'une présentation de start-up est "Sur quel sujet peu de gens sont d'accord avec vous ?" C'est peut-être ce mode de raisonnement qui a fait de lui l'un des entrepreneurs et des investisseurs les plus performants de tous les temps.

Après avoir vendu PayPal à eBay pour 1,5 milliard de dollars, Peter Thiel a lancé Clarium Capital, un fonds spéculatif, ainsi que Founders Fund, un fond de capital-risque. Il a également cofondé Palantir, une société d'exploration de données dont la valeur atteint 9 milliards de dollars. Il compte aussi parmi les premiers investisseurs de Facebook, LinkedIn et Tesla Motors.

Il serait impossible de résumer le mode de pensée de Peter Thiel en quelques phrases. Mais dans son nouveau livre "Zero to One:Notes on Startups or How to Build the Future", vous devriez vous faire une bonne idée des réflexions de ce génie.

Dans ce livre, il soutient que "le monopole entraîne le progrès" et que la "compétition vaut pour les perdants" ; de même, que les sociétés à intégration horizontale "ne sont pas viables, parce qu'elles ne font rien d'autres que copier un modèle existant et se développer sur un marché déjà compétitif. Les entreprises réellement novatrices, sont celles qui proposent de nouvelles idées pour entraîner notre civilisation vers "la prochaine étape".

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Peter Thiel. © Ken Yeung

"La plupart des livres qui traitent de business dispensent des conseils afin d'être plus compétitif. Dans le mien je suggère de ne pas se soucier de la compétition ; la clé du succès consiste à proposer un concept unique qui vous donnera le monopole", a-t-il déclaré à Business Insider.

Nous avons eu la chance de nous entretenir avec Peter Thiel pendant deux jours et de découvrir son opinion sur des sujets divers et variés. Voici un extrait de notre interview.

Pouvez-vous nous citer des entreprises "à intégration verticale" ?

Peter Thiel. Beaucoup ont émergé à l'ère de l'informatique et du logiciel. Facebook et Google en font partie. L'iPhone d'Apple a été le premier smartphone à fonctionner de façon optimale et, évidemment, il s'est développé à l'échelle horizontale, mais la chaîne de production et de distribution, le composant vertical, était vraiment critique. Space X, la société d'Elon Musk, répond également à ce critère.

Si vous deviez citer une caractéristique partagée par ces sociétés novatrices ou leurs fondateurs, quelle serait-elle ?

Ils possèdent une conception solide et anticonformiste très différente de ce à quoi ressemble le monde actuellement. Elon Musk, par exemple, a eu l'idée d'envoyer les gens sur Mars. La vision initiale de PayPal était "Nous pouvons créer un procédé unique".

Quels dirigeants technologiques ont atteint ce type d'intégration verticale selon vous ?

J'apprécie les entreprises dont la création est basée sur l'Internet. Je dirais donc Jeff Bezos avec Amazon, Mark Zuckerberg avec Facebook ou encore Elon Musk avec Tesla et Space X.

Est-ce que l'Apple Pay et l'Apple Watch compteront parmi ces produits révolutionnaires ?

"Tim Cook fait du bon boulot"

Je n'en suis pas convaincu. Lorsque vous comptez déjà 150 milliards de dollars de chiffre d'affaires, il est très difficile de mettre au point un projet vertical qui vienne bousculer le cours des événements. Et par un effet étrange, plus l'ampleur de la société est considérable, plus sa capacité à innover pour faire bouger l'état du marché est diminuée. Je pense que cette montre et cette technologie de paiement ne sont pas des projets assez ambitieux. Selon moi, dans les prochaines décennies, Apple ne tentera pas uniquement de mettre au point des produits "verticaux". Il va surtout décliner des gammes d'iPhone les une après les autres. Je pense que c'est grâce à cela qu'Apple génèrera la majorité de ses revenus.

Que pensez-vous d'Apple Pay ?

Lorsqu'on a affaire à une nouvelle technologie de paiement, il faut toujours se demander à quel point elle est plus aboutie que les solutions actuelles.  Au lancement de PayPal pour les vendeurs d'eBay, cette technique était bien plus avantageuse que d'attendre une dizaine de jours le traitement d'un chèque envoyé par la poste. Quand on réfléchit aux commerces physique, la plupart sont déjà équipés de caisse ou de terminaux de paiements. Apple Pay apportera peut-être une légère amélioration. Mais quand vos clients possèdent de bons produits et que vous leur proposez un produit même parfait, faire adopter votre produit est très compliqué car la différence de qualité de service n'est pas si importante que ça.

Est-ce qu'Apple se transforme en société d'intégration horizontale ?

Selon moi, Tim Cook fait du bon boulot. Mais en effet, je suis convaincu qu'Apple est parvenu au stade où il se souci davantage de ses ventes que d'innovation.

Le débat fait rage actuellement sur les niveaux de dépenses de certaines start-up et les risques considérables pris par les investisseurs. Y a-t-il une bulle technologique ?

On se demande sans arrêt si une nouvelle bulle à lieu, et il est certain que certaines valorisation sont très élevées. Cependant, je suis convaincu qu'une bulle spéculative est un phénomène psychologique qui a gagné toute la population, à l'instar de la bulle

"Faire une école de commerce est devenu une mode"

Internet des années 90, ou la bulle immobilière qui nous a frappés cette dernière décennie. Le problème est qu'il n'y a pas suffisamment d'introductions en bourse, et qu'elles ont lieu très tard dans le cycle de développement des entreprises. La population est donc resté bien plus à l'écart du phénomène du Web 2.0 qu'il ne l'était d'Internet dans les années 90 ; selon moi il n'y a donc pas réellement de bulle.

Mais augmenter les valeurs des introductions en bourse pour que les entreprises dépensent encore plus n'augmenterait-il pas le risque pour les investisseurs ?

Cela dépend toujours de la taille de l'entreprise. Mais les dépenses des entreprises sont généralement faibles par rapport à leur valorisation, ou en tout cas très faibles par rapport à leur trésorerie. Aujourd'hui, les entreprises sont donc tranquilles pendant au moins deux ans, ce qui est bien plus que dans les années 90.

Vous avez déclaré que Microsoft et Oracle se situaient aux antipodes de la technologie. Pour quelle raison ?

Si vous investissez dans Microsoft ou Oracle ou d'autres entreprises de ce genre, vous pouvez parier qu'aucune innovation ne verra le jour. Placer de l'argent dans Microsoft, c'est faire le pari que le système d'exploitation n'évoluera pas et qu'il ne sera pas remplacé par Linux, Google Docs ou une plateforme mobile telle qu'iOS ou Android. Ces entreprises se qualifient de "technologiques" parce qu'elles l'étaient par le passé. C'est le cas de General Motors au 20ème siècle : investir dans cette compagnie dans les années 80, c'était faire un pari contre l'innovation. A l'inverse, à cette époque-là, placer de l'argent dans Microsoft revenait à parier sur le développement et la nouveauté. Aujourd'hui, en 2014, c'est tout le contraire.

Larry Ellison a récemment renoncé à ses fonctions de directeur général. Est-ce une bonne chose ?

J'ai toujours pensé que l'abandon des dirigeants était un problème. Evidemment que Larry Ellison continuera largement à s'impliquer dans les affaires d'Oracle. Mais je me suis toujours demandé si un patron comme Bill Gates avait quitté Microsoft parce qu'il s'était rendu compte qu'il n'avait plus rien d'intéressant à y faire. Si dans une révélation il avait compris qu'il avait accompli tout ce qu'il pouvait faire d'intéressant chez Microsoft, et qu'il serait dorénavant plus amusant de faire de la philanthropie.

Alors est-ce une bonne stratégie d'investir dans Alibaba ?

Il n'existe pas de moment propice au lancement d'une entreprise, mais il est souvent plus sage de s'y atteler sans tarder

Je pense qu'en Chine, les technologies de l'information ont une importance économique moindre, mais qu'elles possèdent une importance politique supérieure. Les groupes Internet chinois sont protégés par l le gouvernement. Investir dans Alibaba est une bonne idée aussi longtemps que Jack Ma restera à son poste grâce au parti communiste chinois. Alibaba ne fait que reprendre différents modèles marketings américains. Il combine plusieurs aspects intéressants et innovants, mais je pense que le succès rencontré par Alibaba est dû à la protection politique qu'il obtient de son pays. On ne sait pas quel succès il rencontrerait s'il n'en bénéficiait pas.

Que conseilleriez-vous aux étudiants qui hésitent à quitter l'université ?

Je leur dirais de bien réfléchir aux choix qu'ils font. Si vous avez un projet d'entreprise, il n'existe pas de moment propice à son lancement, mais il est souvent plus sage de s'y atteler sans tarder. J'ai étudié le droit à Stanford, et si c'était à refaire, je le referais. Mais je me poserais des questions pour savoir pourquoi je fais ça, si c'est simplement pour le statut ou le prestige, ou parce que le sujet de mes études m'intéresse vraiment.

Vous affirmez ne pas apprécier les titulaires de maîtrise en administration des affaires. Devraient-ils arrêter leurs études ?

Je ne tiens pas à établir des règles catégoriques, mais selon moi il existe un défi pour la plupart des écoles de commerces, dont la fréquentation tend à devenir une mode. Les gens qui en sortent sont souvent très extravertis, et peu convaincants. Ce master est étrangement sous représentatif des fondateurs d'entreprises technologiques et je pense qu'il est nécessaire de se demander pourquoi il en est ainsi.

Si vous deviez citer un domaine qui présente le plus haut degré d'intégration verticale, quel serait-il ?

Je suis toujours très enthousiaste à l'idée de travailler sur la prochaine génération de biotechnologie ainsi que sur des projets de sciences vivantes parce que je suis convaincu que si nous pouvons soigner le cancer ou la démence, nous pourrons réellement améliorer le futur. Je pense que c'est réalisable.

Article de Eugene Kim, Traduction de Floriane Wittner, JDN

Voir l'article original : Peter Thiel Q&A: The Billionaire Investor Talks Apple Pay, Microsoft's Lack Of Innovation, And Why We're Not In A Tech Bubble