Woody Allen : "A 10 ans, je voulais être magicien. Puis j'ai changé de carrière"

Woody Allen : "A 10 ans, je voulais être magicien. Puis j'ai changé de carrière"
Woody Allen, Chicago, 20 juillet 2014. (SIPANY/SIPA)

A l'occasion de la sortie de son nouvel opus, "Magic in the Moonlight", le réalisateur new-yorkais revient sur deux passions: l'Europe et le cinéma d'auteur des années 1960. Interview exclusive.

Par François Forestier
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Disons que c’est son cinquantième film, ou son cinquante-deuxième. On s’y perd, avec Woody Allen. "Magic in the Moonlight" est une délicieuse promenade dans l’univers de la Côte d’Azur, vers 1930. Un magicien célèbre (Colin Firth) est sollicité pour essayer de prouver qu’une voyante (Emma Stone) est une "imposteuse" (c'est quoi, le féminin d'"imposteur"?) Coupes de champagne au soleil, costumes blancs, chapeaux à aigrettes, voitures décapotables et manières de tables raffinées… Le ton est celui de la comédie légère, l’humour est dans la veine de "Radio Days" et de "Coups de feu sur Broadway", et la conclusion est absolument charmante. C’est du cinéma viennois, tout en coups d’œil, en allusions, en sourires. A 78 ans, Woody Allen n’arrête pas. Il tourne déjà son prochain film, qui, comme d’habitude, n’a pas encore de titre. Entretien.

Emma Stone et Colin Firth dans une scène de "Magic in the Moonlight" (LILO/SIPA)

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Votre nouveau film, "Magic in the Moonlight", qui se déroule dans les années 30 sur la Côte d’Azur, fait penser à Francis Scott Fitzgerald…

- C’est l’un de mes auteurs favoris. Le plus amusant, c’est que nous avons tourné dans l’une des villas où l’écrivain et sa femme Zelda ont séjourné. Et le propriétaire, qui était enfant à l’époque, nous a raconté que les Fitzgerald avaient des bagarres homériques. Francis criait, Zelda se sauvait, il la poursuivait…

Dans votre film, on retrouve la même douceur, et, en même temps, la même acidité que dans "Tendre est la nuit"…

- C’est bien Fitzgerald, ça. J’aime bien ce mélange de sourire et de grimace. Et j’aime cette période d’avant-guerre. Quand j’ai tourné "Minuit à Paris", j’ai réalisé qu’en ce temps-là, il n’y avait pas d’antibiotiques, ni d’anesthésie. C’était une époque formidable, à condition d’être en bonne santé, de ne jamais aller chez le dentiste, de ne jamais subir d’opération. Et les femmes n’avaient pas la pilule. Ceci dit, le dollar était au plus haut.

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Vous êtes le plus européen des cinéastes américains, n’est-ce pas ?

- Mon rêve est devenu réalité : devenir européen – ou presque. Ainsi, en 2004, je n’arrivais pas à réunir aux Etats-Unis le financement de "Match Point". Je l’ai trouvé à Londres, et je me suis dit : "Pourquoi ne pas tourner à Londres ?" Puis je suis allé à Rome, à Barcelone, à Paris, et, soudain, j’ai été adopté par l’Europe.
En vérité, à mes débuts, je rêvais d’être Godard, Fellini, Truffaut ou Resnais ! Avec Bergman et Antonioni, ce sont les cinéastes qui m’ont donné envie de faire ce métier. Je fais partie d’une génération de réalisateurs qui n’avaient pas les yeux tournés vers Hollywood. Nous voulions être Européens !

Comment choisissez-vous vos lieux de tournage ? Les pays vous font des propositions financières ?

- Oui. On m’approche pour me dire : "Faites un film à Rio, ou à Stockholm, ou à Buenos Aires, et on vous financera". J’ai même eu des propositions en Israël et en Russie. Je n’accepte qu’à la condition d’avoir un scénario qui fonctionne dans ce décor. 
Ma sœur, qui produit mes films, est allée à Rio, puis en Argentine. Elle s’assure que tout est ok, et il me revient de trouver une idée. Pas une idée qui pourrait être réalisée n’importe où, mais qui soit en phase avec l’esprit du lieu. Si je dois tourner à Rio, je veux que ce scénario ne soit possible qu’à Rio. Rien n’est interchangeable. C’est la condition la plus difficile. Je n’aurais pas pu tourner "Vicky Cristina Barcelona" à Helsinki. Car, si je suis à l’aise à Paris, où j’ai vécu plusieurs mois, je ne connais pas Helsinki ou Rio.
Ensuite, il y a les autres problèmes : la moitié des dialogues de "To Rome with love" étaient en italien. Je me suis mis à parler en Antonioni. Dieu merci, ses films sont presque muets.

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Rio, ce n’est pas l’Europe, je vous signale.

- La Chine non plus. Pourtant, les Chinois m’ont fait des propositions et ma femme aimerait bien y aller, mais c’est un long voyage.
A vrai dire, je préfère tourner à Paris, que j’aime beaucoup. Vivre au "Bristol", en face de l’Elysée, c’est magnifique. J’y ai demeuré des semaines pendant le tournage de "Minuit à Paris" : dès que je me retrouve dans la rue, je suis heureux.

Comment fonctionnez-vous, avec vos producteurs étrangers ?

- Je me rends sur place avec ma sœur, nous leur présentons un devis, et nous mettons la barre maximum à 18 millions de dollars, par exemple. Ils acceptent, et proposent, disons, des aménagements sur les salaires, et c’est ainsi que tout se fait. Généralement, nos interlocuteurs sont très arrangeants, très coopératifs. Et, comme je suis New Yorkais, j’ai un avantage.

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Comment ça ?

- New York est la ville la plus européenne d’Amérique. Tout le monde a un brin de New York en soi.

Même vos films anciens, "Annie Hall" ou "Comédie érotique d’une nuit d’été" ont un parfum d’Europe…

- C’est probablement dû à une influence inconsciente, j’ai vu tellement de films de Truffaut, de Bergman, de Fellini… Si vous écoutez des millions de disques de Louis Armstrong, à la minute où vous emboucherez une trompette, vous aurez tendance à l’imiter. Si vous lisez Hemingway, vous aurez envie d’écrire comme lui.

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Si vous lisez "Perceval", vous écrirez comme Chrétien de Troyes ?

- Il ne faut pas exagérer. Je ne vais pas non plus filmer comme Griffith après avoir vu "Naissance d’une nation", j’endormirais toute la salle. Mais il est certain que j’ai été très influencé par le cinéma européen des années 1960.

Vous avez toujours été plus apprécié en Europe qu’aux Etats-Unis.

- C’est vrai. En Amérique, je suis apprécié dans les grandes villes, New York, Chicago, Boston, San Francisco, Washington…

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Bâton-Rouge et Duluth ?

- Ils ne savent probablement pas qui je suis, à Bâton-Rouge. Ils affichent "Spider-Man", Clint Eastwood, Sylvester Stallone, et ils demandent…

"Woody qui ?"

- Exactement. Quand j'ai débuté, j’étais entouré de réalisateurs qui désiraient faire des films à Hollywood : des films de pirates, des films d’aventure, des films de science-fiction. Moi, je voulais faire autre chose.

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Woody Allen sur le tournage de "Magic in the Moonlight"Woody Allen sur le tournage de "Magic in the Moonlight" (Mars Distribution)

Dès que "Bananas" est sorti au quartier Latin en 1971, vous avez conquis les cinéphiles français.

- Je me souviens à quel point j’avais été ravi de la réaction du public parisien. D’un seul coup, mon nom était connu ! En Italie, même chose ! Vittorio de Sica m’avait écrit ! Il adorait les films comiques… Mais la vérité, c’est que Paris a été le point de départ.
Des cinéphiles enthousiastes en Norvège ou en Hollande, ce n’est pas tout à fait la même chose. La France a probablement été le premier pays au monde à prendre le cinéma au sérieux. Je dis ça pour vous faire plaisir, évidemment.

La flatterie ne vous mènera nulle part… sauf à avoir de bonnes critiques.

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- C’est bien mon but. Votre perspicacité est remarquable.

On parle beaucoup de l’abêtissement du cinéma américain aujourd’hui. Qu’en pensez-vous ?

- Dans son ensemble, le cinéma des années 60 n’était pas plus intellectuel. Moi-même je n’étais pas un intellectuel, j’étais plutôt un fan de sport, mais, avec mes copains, on attendait toujours avec impatience le nouveau film de Monicelli ou de Bergman. On adorait. Aujourd’hui, les jeunes veulent des films avec des effets spéciaux, des histoires débiles avec des joujoux qui se transforment, des comédies pour adolescents…
Nous n’avions pas ces films taillés sur mesure. Bien sûr, il y avait des films stupides, mais nous aimions la Nouvelle Vague et le Néo-Réalisme. Tout ça a disparu. Que s’est-il passé ? Je ne sais pas pourquoi les étudiants, les jeunes, n’ont pas envie de voir des films intelligents et se précipitent pour voir "Very Bad Trip"…

Il y a aussi le fait que la production a explosé. Il y a trente nouveaux films par semaine, contre dix autrefois. Le choix est plus difficile.

- On a parfois l’impression que la notion d’auteur a disparu. L’abondance dissout les choses, dirait-on. C’est bizarre…

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Ceci dit, on a tendance à idéaliser les choses, non ?

- Oui, à l’école, j’ai eu de très bonnes notes en idéalisation. J’ai mon certificat d’idéal affiché dans mon bureau.

Le cinéma des sixties, c’est ça votre idéal ?

- C’était pas mal, non ? Ceci dit, vous savez quel film a fait les plus grosses recettes en 1962 ? "Blue Hawaï", avec Elvis Presley. Dans le genre, difficile de faire plus débile !

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Quel a été le premier film qui vous ait marqué ?

- "Stromboli" et "Riz amer". Puis, j’ai vu "I Vittelloni" et "la Strada", et j’ai été conquis par le cinéma italien. Mais, dans mon panthéon personnel, il y a aussi Tati, "la Règle du jeu", "la Grande Illusion"… Puis, j’ai vu "Hiroshima mon amour" et ça m’a marqué.

Vous avez revu "l’Année dernière à Marienbad" ?

- C’était un film bizarre, à l’époque. Très exigeant. Comme "l’Avventura"… Je les regarde avec moins de plaisir que "le Pigeon", mais quand même.

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Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle entre "Magic in the Moonlight" et un film des années 1940, "le Charlatan".

- Ah, un film merveilleux ! Avec Tyrone Power. C’était presque la version sombre de la même histoire que "Magic in the Moonlight". Hélas, c’est un film qui a disparu de la mémoire des spectateurs, personne ne sait qu’il existe. Je l’ai vu dans mon adolescence, et il ne m’a jamais quitté.

Votre film est l’histoire d’un prestidigitateur. Ce n’est pas la première fois que vous mettez en scène un illusionniste…

- Dans mon enfance, j’adorais voir des prestidigitateurs. Un jour, entre les cours du rabbin Lévy et les leçons de mathématiques à l’école, j’ai décidé de devenir magicien. J’avais 10 ans. J’ai étudié les trucs. Je me suis lancé. Je suis devenu le magicien le plus maladroit du monde.
Je n’arrivais pas à faire disparaître un pigeon, je n’avais pas de haut-de-forme, et les fausses cartes tombaient de mes manches. J’ai donc pris la décision de changer de carrière. Mais j’ai continué à pratiquer les tours et les illusions. Je ne désespère pas de transformer des barres chocolatées en lingots d’or. J’y travaille.

Bonne chance. Vous y arriverez.

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- Merci. Je vous ai déjà dit que vous étiez très perspicace?


Interview de Woody Allen, réalisateur de "Magic in the Moonlight", par François Forestier.

François Forestier
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