FUSION Pont-de-Beauvoisin: et au milieu coule une rivière

Aux confins du Dauphiné, Pont-de-Beauvoisin voit double. Scindée depuis un traité signé au XIVe siècle, la ville compte une partie iséroise et une autre savoyarde, de part et d’autre du Guiers. Peut-être plus pour longtemps : les municipalités aspirent en effet à ne faire qu’une. Explications.
Aurélie SOLEGER - 20 oct. 2014 à 06:03 | mis à jour le 15 janv. 2022 à 18:36 - Temps de lecture :
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Sur le pont du Guiers, qui matérialise le passage entre les parties iséroise et savoyarde de Pont-de-Beauvoisin, les deux maires   se retrouvent symboliquement. Michel Serrano (à gauche, maire isérois) et Raymond Ferraud (à droite, maire savoyard) se lancent,   avec l’appui unanime de leurs conseils municipaux, dans l’aventure d’un regroupement entre les deux communes.
Sur le pont du Guiers, qui matérialise le passage entre les parties iséroise et savoyarde de Pont-de-Beauvoisin, les deux maires se retrouvent symboliquement. Michel Serrano (à gauche, maire isérois) et Raymond Ferraud (à droite, maire savoyard) se lancent, avec l’appui unanime de leurs conseils municipaux, dans l’aventure d’un regroupement entre les deux communes.

Il n’est ni très grand, ni très long, ni très altier. Érigé en bois au Moyen Âge, rebâti en pierre sous François Ier. Trait d’union parfois, frontière symbolique souvent. Le pont “du beau voisin d’en face” n’imaginait sans doute pas qu’il cristalliserait l’attention depuis près de sept siècles. Enjambant le Guiers, il a donné son nom à une ville, écartelée en deux communes aux confins du Dauphiné : un pied en Savoie, l’autre en Isère, Pont-de-Beauvoisin est une hydre à deux têtes.

Tout y est double, de la gendarmerie à la trésorerie, en passant par l’église et la mairie. Une bizarrerie de l’histoire qui va peut-être faire long feu : à la faveur d’une redistribution des cartes aux dernières élections, les deux conseils municipaux viennent de se prononcer, à l’unanimité, pour un regroupement des deux communes.

« Cette partition de la ville est une aberration »

Avec, en toile de fond, des arguments de poids au moment où la réforme territoriale s’invite sur le devant de la scène nationale : « On parle de mille-feuille administratif. D’économies d’échelle à trouver, de mutualisation à envisager », détaille Michel Serrano, le maire isérois. Avant que son homologue savoyard, Raymond Ferraud, n’enfonce le clou : « Cette partition de la ville est une aberration. Le moment est sans doute venu pour Pont-de-Beauvoisin. Si nous ne saisissons pas cette occasion, ce sera peut-être perdu à jamais. »

Mais l’un et l’autre le savent aussi : le dossier, pour long et compliqué qu’il s’annonce au niveau juridique, sera surtout épineux sur le plan de l’identité. De l’âme. Des tripes. Car même si la question de l’implantation de la future commune nouvelle est, pour l’instant, évacuée à plus tard par les édiles, elle reste au cœur des préoccupations des habitants. En clair : Pont-de-Beauvoisin basculera-t-il en Savoie ou en Isère ?

Et cela n’a rien d’anecdotique. Peut-être de façon plus épidermique encore, du côté de la Savoie. « Les Isérois, il y a trente ans, ils nous appelaient les ritals. Les “pioustres”. En passant le pont, certains nous demandaient nos passeports », certifie Marcel. « Mon grand-père me racontait qu’Isérois et Savoyards se mettaient des marrons sur le terrain de foot, en Savoie. Et puis le match retour se faisait le soir, au cinéma, en Isère », appuie Michel. Avant que Ghislaine n’embraye : « J’ai entendu des gens dire que si on basculait en Isère, ils vendraient leurs maisons et iraient s’installer à Domessin. Et moi je ne veux pas que ma voiture soit immatriculée en 38 ! » Sourire…

« La symbolique du rapprochement ne sera pas opérante, si elle est imposée »

Au-delà de la caricature, une réalité : depuis toujours, marrons ou pas, le sport national à Pont-de-Beauvoisin, c’est de se moquer de son… voisin. « Tous les jours, on se chiffonne. Tenez, encore hier soir au club de gym : on asticote les Isérois en leur demandant de retourner en France ! Le Savoyard, il est là. Il est debout et il ne bouge pas. »

Une singularité locale dont les maires sont intimement conscients. « Beaucoup de Pontois sont attachés de façon atavique à leur identité. La symbolique du rapprochement ne sera pas opérante, si elle est imposée. Cette belle aventure humaine, que nous nous apprêtons à vivre, il faut l’expliciter avec sérénité », argumente Michel Serrano. Qui reconnaît également ne pas avoir été interpellé violemment concernant ce projet de fusion. Raymond Ferraud non plus, du reste : « Ce sont surtout les anciens qui causent. Il faut que l’idée fasse son chemin. » L’un et l’autre, d’ailleurs, n’évincent pas la possibilité d’une consultation populaire. Référendum, dialogue… La formule pourrait porter sur le principe du regroupement, mais non sur le choix de département pour la cité unifiée.

Le pont, quant à lui, reste là. Et alors qu’Isérois et Savoyards prennent leur destin en main et tentent d’écrire une nouvelle page de leur histoire, il regarde passer le Guiers. Immuable et paisible, devant l’agitation des hommes. Car, fusion ou pas, au milieu, coulera toujours une rivière.

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