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Daredevil, initiales D.D.

A l’occasion de la sortie réussie de la surprenante série Netflix , passage en revue subjectif des trois comics préférés de Libération.
par Marius Chapuis et Jérôme Balazard
publié le 19 avril 2015 à 15h09

Un chiffon noué sur la tête, une silhouette ensanglantée est acculée dans un entrepot. Dehors, des dizaines de voitures du NYPD viennent pour en finir. La plupart bossent en sous-main pour le caïd de la ville. Epuisé, l'homme en noir écoute l'ultime appel radio que lui adresse son ennemi: «Comme vous, je veux sauver cette ville. Mais à une échelle qui compte», dit le Kingpin. En quelques mots, quelques symboles discrets, le réalisateur Drew Godard (la Cabane dans les bois) et Steven S. DeKnigh, à la tête de la série Daredevil que Netflix vient de lancer, puise dans une mystique marvelienne vieille de plus de trente ans. Ce chiffon qui fait office de masque, il date de janvier 1981. C'est un héritage direct de Frank Miller. L'échelle réduite du combat, c'est le coeur de l'histoire: Daredevil est un héros modeste et aveugle qui ne cherche pas à sauver le monde mais à défendre Hell's Kitchen. Le jour comme avocat rouquin, la nuit comme justicier à l'ouïe fine et à l'odorat affuté.

Même si le heros version Netflix a un portable sur lui (mais, bon dieu, où le range-t-il?), Daredevil vit dans une ville fantasmée où Latinos, Russes, Chinois coexistent. Un New York incroyablement horizontal, sans building à l'horizon. Pas de plan large, pas de ciel. Rien que la rue. Une approche opposée mais complémentaire à celle, flashy, de Marvel Studios version Avengers. Tandis qu'Iron Man et ses copains détruisent de larges pans de New York pour repousser une invasion extraterrestre, DD lutte contre les magouilles qui fleurissent sur les chantiers de reconstruction de la ville. Avec un poil de provo, le site IndieWire affirmait récemment que la série est ce qui se rapproche le plus de The Wire en matière de super-héros. Exagérée, la comparaison n'est pourtant pas sans fondement et montre bien que ce Daredevil s'adresse à un public plus adulte. On poussera le bouchon un peu plus loin en affirmant que les comics sont également destinés à un public plus large que les geeks fans de continuité Marvel. Voici trois incontournables.

«Marvel's Daredevil» série de Drew Goddard et Steven S. DeKnight, 13 épisodes, disponible sur Netflix.

Brian M. Bendis: Bas le masque

Le Daredevil lessivé de Bendis et Maleev (Photo Alex Maleev.MarvelComics).

Lorsque le scénariste Brian Michael Bendis endosse la franchise au début des années 2000, pas question pour lui de se contenter d'une succession d'historiettes punchy. Fortement influencé par le travail de Frank Miller, il embarque le dessinateur Alex Maleev dans un ambitieux run de cinq ans, au cours duquel ils vont méthodiquement mettre le personnage à terre.

Pour le justicier, le retour au réel est brutal: «Avant même de me réveiller, je sens que ma vie est finie. Ils sont à ma porte. Ils attendent, prêts à bondir. Ils veulent du sang.» Sur le péron, pas de meurtriers ou de super-vilains, des journalistes. Car le coup de génie de Bendis, par l'entremise du Kingpin, l'emblématique caïd new-yorkais que l'on retrouve dans la série de Netflix, est de s'attaquer non pas à Daredevil, mais à Matt Murdock. Donner des coups de poing à un super-héros est inutile. Détruire l'homme derrière le masque par contre…

Voilà donc la précieuse identité du héros de Hell's Kitchen révélée. La presse campe devant le domicile de l'avocat qui, prostré dans son salon, voit le FBI enquêter sur lui, ses proches être pris pour cible et la plupart des dossiers qu'il a instruits annulés pour entrave à la justice. Déployant son récit sur 1500 pages, Bendis ne fait pas du comics, il écrit un polar sombre et poisseux, où les affres psychologiques de Murdock revêtent plus d'importance que ses exploits costumés, le crayonné de Maleev renforçant le côté réaliste de l'affaire. En 2006, le duo laissera à Ed Brubaker et Michael Lark, qui reprendront le flambeau, un personnage exsangue, dont toute la vie a volé en éclats. Ce qui n'empêchera pas ces deux-là de joyeusement poursuivre cette entreprise de destruction, dans un run également de grande qualité, mais qui souffre de la comparaison avec celui de leurs prédécesseurs.

Seul hic, la série n'a jamais bien marché en France et est compliquée à trouver en librairie, faute de réimpression du côté de Panini. D'autant plus regrettable qu'il s'agit probablement de l'une des meilleures portes d'entrée dans le monde des comics. Les anglophones, eux, peuvent facilement se procurer l'intégrale de Bendis-Maleev en trois tomes.

«Daredevil, the Man Without Fear» de Brian Bendis et Alex Maleev, éditions Marvel (coll. Ultimate), trois tomes de 25 à 35 euros chacun.

Frank Miller: la renaissance

 DD selon Frank Miller. A droite, les couvertures de l'édition française (Photo Panini.Marvel).

En 1981, Frank Miller n'est pas encore un grand nom du comics quand on lui confie le héros Marvel, en déshérance et pas franchement aimé du public. Il lui servira de terrain d'expérimentation avant sa relecture de Batman ou la création de Sin City. Le dessinateur Miller fait ses premiers pas de scénariste et ancre son récit dans la rue, un Manhattan crasseux qui rappelle les premiers Scorsese. Sur sa route, des dockers, des petites frappes, des dingues. Et des ninjas. Miller n'hésite pas à tuer, à commencer par Elektra, femme fatale incontournable dans la vie de Matt Murdock. Un run très marquant réédité en deux gros volumes par Panini, mais qui ne s'adresse peut-être pas aux débutants, le dessin, typé eighties, pouvant rebutter. Frank Miller quitte la série en 1983 avant de retrouver le personnage quelques années plus tard, le temps de deux histoires. Dans l'Homme sans peur, où il revisite les origines du personnage, un one-shot réutilisé à toute les sauces, y compris par Netflix. Et surtout le parfait Born Again, où Miller lache les chiens dans une entreprise sadique qui vise à briser Murdock en lui retirant tout ce qui compte pour lui: son appart, ses amis… Pourtant habitué à se retrouver avec un genou à terre, DD finit isolé, aux portes de la folie. Un récit assez court qui imprègne le run de Bendis. Le dessinateur David Mazzuchelli livre parmi ses plus belles planches. En lévitation, il retrouve Frank Miller quelque mois plus tard pour signer Batman Year One.

«Daredevil par Frank Miller» éd. Panini Comics, deux tomes, 400 pp, 35,50€

Mark Waid: le faux joyeux

Le justicier aveugle selon Chris Samnee (Photo Marvel Comics).

On aime bien voir Daredevil souffrir. Trahi, plaqué, outé, emprisonné…  franchement , ça devenait limite sadique. En reprenant la série, en 2011, Mark Waid (Kingdom Come) prend un chemin plus lumineux. Après avoir touché le fond, Daredevil se réfugie dans la positivite attitude. Les palettes pop de Marcos Martin, Paolo Rivera et Chris Samnee font oublier le style réaliste de Maleev et Lark et donnent une inhabituelle impression de légéreté. Un nouveau souffle qui passe notamment par des trouvailles visuelles afin de représenter le monde tel que le perçoit le justicier aveugle, tout en lignes. Evidemment, la balade n'est pas aussi enjouée que Murdock le souhaiterait, mais Waid offre quelques moments de grâce à son héros, comme cette escapade champètre de 24 pages où il tente de retrouver son chemin en plein blizzard, affublé d'une trentaine de gamins. Surtout,Waid et ses dessinateurs ne font pas un ersatz de film sur papier, mais embrassent pleinement les champs de la BD. En regardant ce qui s'est fait avant (le ton seventies, le côté silver age) et en ouvrant des chemins. Qui conduisent parfois loin de New York et du chaudron de Hell's Kitchen.

«Daredevil All New Marvel Now» de Mark Waid et Chris Samnee, éd. Panini Comics, 160 pp., 16,95€

 

Bonus Track: Daredevil–End of Days

Daredevil est mort. Après tout ce qu'il a pris dans la tronche, on est presque soulagé pour lui (photo Panini.Marvel).

On est bien conscient que conseiller le run de Bendis et Maleev alors qu'on ne peut que difficilement trouver en français est quelque peu contre-productif. Alors on est allé trouver un bonus, toujours signé Bendis. L'album (en deux tomes) End of Days est un whodunnit, une enquête façon Agatha Christie qui vise à éclaircir les conditions de l'assassinat de Daredevil. Et, comme dans Citizen Kane, à comprendre ce que le héros vieillissant a voulu dire dans un dernier souffle: «Mapone». Bendis fait ses adieux au personnage de la meilleure des façons. Daredevil est mort: au royaume de l'aveugle, le reborn se fait languir.

«Daredevil–End of Days» de Brian Michael Bendis, Klaus Janson et Bill Sienkiewicz, éd. Panini Comics, deux tomes, 96pp.,12,50€

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