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Analyse

La Silicon Valley peut-elle sauver l'humanité ?

Apple et Facebook vont financer la congélation d'ovocytes pour leurs salariées. Cette décision est révélatrice de deux courants idéologiques très présents dans la high-tech californienne : le transhumanisme et le solutionnisme.

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Par Benoît Georges

Publié le 22 oct. 2014 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

La nouvelle a d'abord suscité l'incrédulité, puis la plupart du temps la désapprobation : deux des plus grands groupes de la Silicon Valley sont prêts à financer la congélation d'ovocytes de leurs salariées. Selon la chaîne NBC News, qui a révélé l'information la semaine dernière, Facebook rembourse déjà les frais de prélèvement et de conservation d'ovocytes à hauteur de 20.000 dollars et Apple s'apprête à intégrer cette technologie à son assurance-santé interne à partir de janvier 2015. Dans les deux cas, la justification est la même : favoriser l'emploi des femmes - particulièrement faible dans la high-tech californienne - et les aider à mieux maîtriser leur carrière.

Au-delà des questions d'éthique - la congélation d'ovocytes pour des raisons de convenance personnelle est interdite en France, mais elle est autorisée aux Etats-Unis -, le fait que des entreprises basées en Californie sont les premières à proposer ce « service » à leurs salariées est révélateur de deux idéologies particulièrement présentes dans la Silicon Valley : le transhumanisme et le solutionnisme. Souvent vues d'un oeil moqueur ou condescendant de ce côté-ci de l'Atlantique, ces deux tendances n'en ont pas moins une grande influence sur l'ensemble de la planète, parce qu'elles sont portées par les entreprises les plus puissantes de notre siècle numérique.

Le transhumanisme, d'abord. Ce courant de pensée, apparu dans les années 1980, prône que le progrès scientifique et technique peut - et même doit - servir à améliorer les capacités physiques et cérébrales de l'être humain. Pour les transhumanistes, la convergence des biotechnologies, des nanotechnologies, de l'informatique et des sciences cognitives (NBIC) promet une nouvelle ère dans laquelle le vieillissement, la maladie et la mort pourront être sinon supprimés, du moins contrôlés avec précision. Quitte à détourner pour cela des innovations médicales développées à l'origine pour soigner ou réparer. La congélation d'ovocytes, conçue au départ pour résoudre des problèmes d'infertilité mais désormais employée pour retarder l'horloge biologique, en est un assez bon exemple.

La Silicon Valley apparaît aujourd'hui comme le point culminant du mouvement transhumaniste. Davantage qu'Apple et Facebook, c'est Google qui s'y intéresse le plus. Fin 2012, le géant des moteurs de recherche a embauché l'un de ses théoriciens les plus connus, Ray Kurzweil, au poste de « director of engineering ». Pionnier de l'intelligence artificielle et futurologue provocateur, Kurzweil affirme que l'homme et l'ordinateur vont fusionner, faisant entrer l'humanité dans une nouvelle ère qu'il appelle « singularité ».

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Il y a tout juste un an, Google a également annoncé la création de Calico, une entreprise dont l'ambition est de prolonger d'au moins vingt ans l'espérance de vie humaine. Son PDG, Arthur Levinson, ancien patron de la firme de biotechnologies Genentech, préside aussi le conseil d'administration... d'Apple. Dans une Californie où le culte du corps et la chirurgie esthétique font partie de la culture locale au même titre que le Golden Gate, la prolongation de la vie est vue comme un marché d'avenir - d'autant qu'elle répond à une préoccupation universelle : la peur de vieillir et de mourir.

La décision d'Apple et de Facebook symbolise une autre tendance forte de la Silicon Valley, que l'essayiste et chercheur américain Evgeny Morozov appelle le « solutionnisme » : l'idée que les NBIC peuvent apporter une solution à tous les problèmes du monde, même les plus éloignés de la technologie. Comme l'ont souligné la semaine dernière les participantes du Women's Forum de Deauville, l'idée que la congélation d'ovocytes peut contribuer à combattre le sous-emploi féminin dans la high-tech est simpliste et naïve. Les raccourcis de ce type sont pourtant monnaie courante en Californie et donnent lieu à des prédictions enflammées souvent reprises au niveau mondial. La start-up Modern Meadow affirme ainsi que l'association des cultures de cellules et de l'impression 3D résoudra le problème de la faim dans le monde en permettant de produire de la viande artificielle. La voiture autonome doit supprimer à la fois les embouteillages et la mortalité routière. Le Big Data aidera à repérer des épidémies avant même qu'elles ne se déclenchent. Les Mooc remplaceront les universités et faciliteront l'accès des plus pauvres à la culture.

La liste peut sembler sans fin et, pour certains gourous de la Silicon Valley, elle l'est : lors d'une conférence donnée en octobre 2012, Eric Schmidt, président exécutif de Google, n'avait pas hésité à déclarer : « Si nous nous y prenons bien, je pense que nous pouvons réparer tous les problèmes du monde. » Quant à l'entrepreneur Peter Diamandis, cofondateur avec Ray Kurzweil de la Singularity University, il a prophétisé en 2012, dans son livre « Abundance » (non traduit en français), un monde où la pauvreté, la faim et la maladie seront à jamais éradiquées.

Cette vision utopique est loin d'être partagée par tous, y compris aux Etats-Unis. En juin 2013, la revue « Foreign Policy » avait brillamment démonté les idées solutionnistes dans un article intitulé « Can Silicon Valley Save the World ? ». Les auteurs reconnaissaient les progrès extraordinaires des semi-conducteurs et de l'Internet ces quarante dernières années, ainsi que leur bénéfice pour les pays les plus pauvres. Mais ils expliquaient que la réalité sociale et géopolitique était incroyablement plus complexe que ne l'imaginent les géants californiens : si Twitter et Facebook ont joué un grand rôle dans le soulèvement des pays arabes il y a deux ans, la technologie n'a par exemple été d'aucune utilité quand il s'est agi de remplacer les dirigeants renversés.

Les points à retenir

Les transhumanistes comme les solutionnistes pensent que les nouvelles technologies peuvent résoudre tous les problèmes du monde, comme la faim, la maladie ou la pauvreté.

Portés par les entreprises les plus puissantes de notre siècle numérique, ces deux courants de pensée ont une influence croissante sur la planète.

Google est particulièrement en pointe sur ces sujets.

Chef du service Idées & Débats Benoît Georges

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