Tunisie : les 5 enjeux clés d'un scrutin historique

Tunisie : les 5 enjeux clés d'un scrutin historique
De gauche à droite, le président de l'Assemblée constituante Mustapha Ben Jaafar, le président Moncef Marzouki et le Premier ministre sortant Ali Larayedh. (HASSENE DRIDI/AP/SIPA)

Près de quatre ans après la révolution qui entraîna la fuite de Ben Ali, les Tunisiens élisent dimanche les députés de leur nouvelle Assemblée.

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Le chemin fut long. Près de quatre ans. Mais dimanche, les Tunisiens pourront enfin élire les députés de leur nouvelle Assemblée. Un scrutin qui ne sera peut-être pas parfait. Mais qui est porteur d'enjeux clés pour un pays encore fragile. Tour d'horizon. 

1. Mettre fin à la période de transition

Les législatives du 26 octobre et la présidentielle de novembre sont, d'une certaine manière, le scrutin qui va inaugurer pour de bon la nouvelle Tunisie.

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Depuis les événements de décembre 2010 et janvier 2011, des élections ont déjà eu lieu dans le pays. Mais elles visaient à désigner les hommes et les femmes chargés, au sein d'une Assemblée constituante, de définir les contours de la nouvelle Tunisie. Et le président n'était, lui, toujours pas élu.

"C’est, enfin l’ouverture d’une étape institutionnelle normalisée", souligne le politologue Larbi Chouikha, membre de la précédente Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) en charge de la bonne marche des élections. "Mais il y a énormément de défis. Le principal est de mettre fin à la bipolarisation qui a découlé des précédentes élections, qui ont vu le parti islamiste Ennahda arriver en tête."

Pour des questions essentiellement identitaires, le pays s’est coupé en deux entre pro et anti-Ennahda, dans toutes les strates de la société. Les institutions, elles, ont cessé de jouer correctement leur rôle. "Il faut mettre fin à tout cela alors qu'apparaissent déjà des traces indélébiles : il existe une crise de confiance entre gouvernants et gouvernés et même entre gouvernés entre eux", explique Larbi Chouikha.

Cette bipolarisation transparaît de façon flagrante dans les intentions de vote. Si, faute de loi les encadrant strictement, les sondages sont interdits de publication durant la campagne électorale, il n’est pas interdit aux partis et autres institutions d’en faire réaliser. Leur fiabilité prête à caution, mais selon différents observateurs de la vie politique tunisienne, deux partis se détachent : Ennahda et Nidaa Tounès, l’anti-Ennahda.

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A peine trois ans après l’inauguration de la révolution, le paysage politique se réduit à ces deux pôles, avec comme mot d’ordre le ‘vote utile’ qui étouffe toutes les autres formes d’expression alternatives intéressantes", regrette Larbi Chouikha.

"Cela risque d’amener tous les Tunisiens qui ne s’y retrouvent pas à ne pas aller voter. Ce qui n’est pas une bonne chose pour la transition démocratique."

2. Le risque d’abstention

Le risque d'abstention n'est en effet pas négligeable. Beaucoup de Tunisiens affirment leur déception face à l'absence de changements, ces quatre dernières années, dans leur quotidien. La situation économique n'est pas meilleure, loin de là. Les libertés ont certes progressé mais elles ne sont pas garanties pour autant.

Nombreux sont ceux en tout cas qui  tiennent un discours désabusé. Car les thèmes les plus chers aux Tunisiens sont peu abordés par les candidats et la presse, elle-même désorganisée. "Le débat public est d'une pauvreté affligeante, d'une médiocrité et d'un avilissement très grave. Au lieu d'évoquer les véritables problèmes économiques, les projets de société, le chômage des jeunes, la question de l'endettement… les candidats s'attaquent sur des futilités", explique Larbi Chouikha.

Selon un récent sondage, l'emploi reste toutefois la première préoccupation des Tunisiens.

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Mais, le débat est dévoyé. Seules des questions accessoires, politiciennes, et secondaires sont abordées alors que des défis énormes pèsent sur le pays", regrette le politologue.

"On parle d'un taux de participation autour de 50% dans les sondages réalisés par les partis", souligne Larbi Chouikha. En 2011, il était à peu près identique, "mais il faut nuancer car il y avait alors deux types d'électeurs. Les inscrits – qui ont voté à 80% – et les non-inscrits – qui ont voté à 10%. Pour ce scrutin, la loi est claire : il faut être inscrit pour voter et cela risque d'avoir des conséquences sur le taux de participation", souligne l'universitaire. 

3. Ennahda une nouvelle fois en tête ?

Arrivé en tête aux élections de 2011 pour l'Assemblée nationale constituante, les islamistes d'Ennahda semblent avoir moins le vent en poupe pour ce scrutin. L'exercice du pouvoir n'a pas été très favorable au parti, même si celui-ci a laissé les commandes en 2013 après le mouvement de contestation du Bardo.

La campagne en cours est donc une sorte d'opération de reconquête pour le parti islamique, qui peut toujours s'appuyer sur un maillage serré du territoire, notamment dans les régions les plus défavorisées.

"Sa gestion calamiteuse lui a fait perdre des voix à ses deux extrêmes", explique Larbi Chouikha. "Son aile dure, qui ne se retrouve pas dans le texte constitutionnel faute de rapprochement avec la charia, va très certainement voter pour des listes indépendantes plus radicales. Et l'autre tendance, plus modérée, essaye de se faire accepter, mais peine à y arriver. D'ailleurs, lorsqu'on regarde le discours de Ennahda, on a presque l'impression d'être passé d'une volonté d'islamisation de la Tunisie à une tunisification de l'Islam!", souligne le politologue.

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S'il y a bel et bien une baisse probable des intentions de vote du parti, il serait faux de le considérer comme enterré. Son score est un réel enjeu."

4. Le risque de fraude électorale

Autre enjeu de poids dans cette élection : le risque de fraude. Le président tunisien Moncef Marzouki s'est d'ailleurs senti obligé la semaine dernière de promettre au secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, en visite à Tunis, que son pays allait tenir en octobre et en novembre des élections "transparentes et intègres" et que "la Tunisie allait rejoindre le club des états démocratiques".

Lors du scrutin pour composer l'Assemblée nationale constituante en 2011, des mesures de dernière minute avaient été prises pour réduire le risque d'une utilisation frauduleuse de pièces d'identité, comme l'utilisation de l'encre électorale. On parlait alors de trafic de papiers de personnes décédées. Un soupçon pèse d'ores et déjà sur la validité des candidatures à la présidentielle de novembre. "Ce qui me surprend beaucoup, en fait, en ce moment, c'est l'attitude timorée de l'ISIE", s'étonne Larbi Chouikha.

"En 2011, les membres de l'ISIE, dont je faisais partie, avaient été proposés par des organisations nationales, confirmés par la haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. Or, cette fois-ci, tous les membres sont passés par le filtre politique, désignés par les membres de l’ANC", souligne le politologue.

5. Le retour des bénalistes

Dernier enjeu de taille de cette élection : le possible retour aux responsabilités d'anciens membres du parti de Ben Ali, le RCD, qui ont pu trouver des places sur les listes des formations en lice. "Ces élections peuvent permettre de recycler un certain nombre de figures de l'ancien régime" qui, compte tenu de l'instabilité qui règne depuis la révolution, peuvent incarner un certain retour à l'ordre, explique Larbi Chouikha. "Certains vont facilement se faire élire, car ils peuvent puiser dans les ressources dont ils bénéficiaient du temps de Ben Ali. Et comme 9.000 candidats sont répartis sur 1327 listes dans le pays, le risque d'éparpillement des voix est réel".

Céline Lussato - L'Obs

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