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Séisme au Népal : Katmandou, dans la terreur et le chaos

Après le séisme qui a dévasté le Népal et sa capitale, samedi 25 avril, les habitants fuient des habitations trop instables.

Par  (Katmandou, envoyé spécial)

Publié le 27 avril 2015 à 08h48, modifié le 27 avril 2015 à 20h33

Temps de Lecture 7 min.

Des centaines d’habitants de Katmandou chargés d’effets personnels commençaient à s’amasser, lundi 27 avril, sur les routes à la sortie de la ville, dans l’espoir qu’un véhicule les embarque. Après deux jours de terreur, ils fuient la capitale népalaise, défigurée mais surtout instable. Depuis le séisme de magnitude 7,8 qui a frappé le Népal samedi 25 avril, de puissantes répliques menacent maisons et immeubles. Des familles entières, selon les secouristes, sont encore sous les décombres. Des quartiers, privés d’électricité. La plupart des habitants ont passé la nuit dans le froid, sous les averses. Le dernier bilan provisoire fait état de plus 4 000 morts et plus de 7 500 blessés dans tout le pays. C’est le séisme le plus violent qu’ait connu le Népal depuis 1934. Les secousses ont été ressenties du Bangladesh au Pakistan en passant par le Tibet et l’Inde, où 59 habitants sont morts.

Partout, l’inquiétude est palpable. Dimanche à l’aube, au milieu de couvertures, des cantines cabossées et des réchauds à gaz éparpillés sur le sol poussiéreux, la famille Hirachan attend toujours un signe de vie de l’un de ses siens, Paras. La veille à la mi-journée, quelques heures après le tremblement de terre, ce dernier a réussi à parler à sa famille avec son téléphone portable alors qu’il était prisonnier des décombres avec sa mère. « Sa voix était étouffée, mais il avait l’air de bien se porter. Ils sont tout proches de nous maintenant », se rassure alors sa tante devant l’hôtel de cinq étages réduit en miettes, dans un faubourg de Katmandou. Les visages de la famille Hirachan sont fermés, leurs yeux rougis de fatigue, mais ils gardent espoir. Derrière eux, des badauds, retenus par un cordon de sécurité, sont venus assister au spectacle.

« Vous allez les laisser mourir ? »

Les équipes d’intervention spécialisées sont occupées ailleurs, dans l’un des innombrables bâtiments en ruine qui parsèment la ville de plus de 800 000 habitants. C’est donc un agent chargé du trafic qui s’est improvisé responsable des opérations de secours dans l’hôtel effondré. Ou plutôt, un « officier » qui gère le trafic, comme en attestent les deux étoiles dorées cousues sur sa chemise et ses épaulettes bleues. Une pelleteuse déblaie les gravats et une dizaine de militaires prêtent main-forte.

Les ambulances de la ville sont devenues des corbillards, transportant surtout des cadavres

Soudain, un homme perché au-dessus des ruines hurle, en agitant les bras. Il réclame des gants en plastique. L’homme est vite rejoint par des militaires. Une heure plus tard, Sukmaya Hirachan et son fils Paras sont sortis des gravats. Leurs corps sans vie, serrés l’un contre l’autre, sont raides, pliés par le poids des décombres. Ils sont posés sur de grands cageots en bois, puis photographiés. Elle, avec ses lunettes intactes et son chignon à peine défait ; lui, le bras suspendu en l’air, tous deux recouverts d’une poussière blanche, comme un linceul. Un policier va chercher à la hâte une bannière publicitaire récupérée dans les décombres d’un magasin pour les recouvrir, avant que la bâche ne soit finalement emportée par le vent. Leur famille est mise à l’écart de force par la police. Elle s’en va sangloter et hurler son désespoir dans un petit terrain vague à côté.

Une autre femme éclate en sanglots et s’agrippe à l’uniforme de l’« officier de circulation » : « Et mes deux enfants, vous allez les laisser mourir ? » Ce matin encore, cette mère a entendu son fils crier « maman ! » à plusieurs reprises dans le bâtiment d’à côté. « On n’a qu’une pelleteuse, il fallait choisir entre l’hôtel et le bâtiment voisin », tente de se justifier un secouriste. L’hôtel a été choisi car il abritait davantage de victimes. Il n’y a pas que les secouristes qui sont submergés, à Katmandou. Tous les hôpitaux débordent de patients, allongés sur des matelas posés sur le sol, ou sur des lits installés dehors.

Parcs transformés en camps de réfugiés

« Nous manquons de moyens et de médecins, et les répliques du tremblement de terre nous compliquent la tâche. A la moindre secousse, tous nos patients nous supplient d’arrêter l’opération en cours pour pouvoir sortir », explique le docteur Sanjay Bhattachan, qui est venu offrir son aide au Bir Hospital. A l’entrée de cet hôpital public, un système de triage a été mis en place où les blessés sont classés en « vert », « orange » ou « rouge », en fonction de l’urgence des soins dont ils ont besoin.

Au cours de la journée de dimanche, le nombre d’admissions a considérablement diminué. Les ambulances de la ville sont devenues des corbillards, transportant surtout des cadavres. Les premiers blessés, évacués par hélicoptères depuis la vallée du Népal, sont arrivés dimanche, mais au compte-gouttes. Leurs témoignages ne sont pas rassurants. L’un décrit son village, situé proche de l’épicentre du séisme, à environ 70 km de la capitale, complètement rasé, avec 400 maisons à terre et seulement 5 encore debout. L’Inde voisine a envoyé au Népal plusieurs hélicoptères pour accélérer l’évacuation des victimes. Certaines routes sont restées fermées et les autorités craignent des glissements de terrain.

La famille Hirashan préfère compter sur le soutien de sa communauté, les Marha Thakali, issue du village de Markha, pour acheminer les corps de la mère et de son fils. Un pick-up vient d’arriver pour les transporter vers une salle, utilisée par la communauté pour les mariages et les fêtes. Mais le véhicule s’arrête au bout de quelques centaines de mètres. Une marée humaine envahit la route. Le sol tangue comme un bateau roulant sur des vagues. Un séisme de 6,4 sur l’échelle de Richter vient à nouveau de frapper la capitale. La population redoute un tremblement de terre pire encore dans les jours à venir. A la moindre secousse, les habitants s’éloignent en panique des maisons restées encore debout.

Le pick-up arrive enfin dans la salle des fêtes, en périphérie de Katmandou. Ici, comme partout ailleurs, les habitants ont suspendu dans les jardins des bâches fixées sur des éperons en bois pour s’y abriter. Tout autour d’eux, les maisons sont intactes, mais ils ont peur d’y rentrer. « Mieux vaut vivre dehors, à l’écart du danger. Et de toute façon, on n’arrive pas à dormir la nuit à cause de la peur », explique Vivek, un jeune adolescent. Partout dans la ville, les jardins et les parcs se sont transformés en camps de réfugiés.

« Mieux vaut vivre dehors, à l’écart du danger. De toute façon, on n’arrive pas à dormir la nuit avec la peur », témoigne Vivek, adolescent réfugié dans un parc de Katmandou

A la tombée de la nuit, des centaines d’habitants convergent vers un immense parc de Katmandou, tenant dans leurs bras des réchauds à gaz et des matelas. Vivek montre des photos du désastre qui circulent depuis samedi sur les téléphones portables de Katmandou : « Ce sont les ruines de la tour Dharhara, notre monument national. C’est un peu comme si la tour Eiffel s’effondrait à Paris. » A côté de lui, son ami acquiesce : « C’était aussi l’endroit où tout le monde se retrouvait le soir, où on pouvait trouver les meilleurs “momos” de la ville, ces beignets de viande ou de légumes cuits à la vapeur qui sont la spécialité du pays. »

Silence de mort

Edifiée pour la première fois en 1832, reconstruite après le tremblement de terre de 1934, la tour Dharhara mesurait 50 mètres de haut et s’est effondrée en tuant 180 personnes. C’était l’une des attractions touristiques majeures et l’un des symboles de la richesse de l’héritage culturel népalais. La vieille ville de Katmandou est l’une des plus affectées, avec la destruction d’une partie de la place Durbar, classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Des siècles d’Histoire sont réduits à l’état de gravats. Des sculptures de déesses en bois finement sculptées gisent sur le sol, dans la poussière. Un silence de mort règne dans le quartier. Les fines ruelles enserrées par de hauts immeubles sont désertées. C’est d’un pas rapide que les rares passants les traversent, de peur de ne pouvoir en sortir vivant en cas de nouveau séisme.

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Dans la salle des fêtes, les membres de la communauté des Marha Thakali préparent les funérailles. Des moines sont attendus pour réciter les prières funéraires. Pas très loin, des nonnes tibétaines se sont mises à prier, à l’entrée de leur couvent abîmé par le séisme. Et tant pis si elles doivent réciter leurs mantras au bord d’une avenue bruyante et poussiéreuse où circulent les ambulances et les pelleteuses. Dans leurs robes de couleur pourpre, les cheveux coupés ras, elles récitent depuis samedi la même prière, écrite sur une petite feuille de parchemin. Elles demandent à la déesse de la terre de la clémence en lui rappelant sa « belle couleur dorée », sa « forme ronde, parfaite et stable ».

Dans la petite salle des fêtes, les corps de Sukmaya et Paras Hirachan viennent d’être posés côte à côte sur un lit. De vieilles photos de famille en noir et blanc ont été posées sur le corps de la mère, parée de ses plus beaux bijoux. Son fils a été revêtu d’un survêtement Adidas et de baskets pour rejoindre l’éternité. Assis seul dans un coin de la pièce, le veuf lève son visage tuméfié vers le ciel, recouvert de larmes. Puis il murmure les mantras chantés par les jeunes moines en face de lui, les yeux fermés. Les corps de son épouse et de son fils devaient être incinérés lundi.

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