“Je suis révolté par l’injustice depuis l’enfance et ça ne s’est pas arrangé”, Marc Trévidic

Il s’inquiète des failles de notre système judiciaire et politique face à la menace d’attentats. Pourtant ce magistrat farouchement indépendant, usé mais pas blasé, croit toujours à sa mission. Marc Trévidic est l'invité de “Télérama” cette semaine.

Publié le 21 octobre 2014 à 18h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h20

Retrouvez l’intégralité de l’entretien avec Marc Trévidic dans Télérama, en kiosques mercredi 22 octobre 2014.

Enthousiaste et opiniâtre, Marc Trévidic est un homme de vocation qui n’a pas choisi la facilité dans son métier de juge d’instruction. Spécialiste de l’antiterrorisme et de l’islamisme radical, il navigue depuis des années dans des eaux troubles, aux confins de la justice, de la politique et de la diplomatie. Jaloux de son indépendance, surtout quand ses enquêtes déplaisent au pouvoir : quand il reprend de zéro l’enquête sur l’assassinat du président rwandais Juvénal Habyarimana (1994), lorsqu’il envisage une bavure de l’armée algérienne lors de la mort des moines de Tibhirine (1996), ou encore quand il s’attaque à l’aspect politico-financier de l’affaire Karachi (2002).

A 49 ans, et malgré son apparente austérité – visage pâle, costume sombre –, Marc Trévidic garde quelque chose d’enfantin. Une exclamation naïve, un éclat de rire brusque, la voix qui tremble lorsqu’il évoque ses parents, tous deux cadres chez Renault, décédés il y a près de vingt ans. Passionné de rock et de poésie, il publie, après deux livres sur le terrorisme islamiste, Qui a peur du Petit Méchant Juge ?, plaidoyer en forme de fable pour le juge d’instruction. Magistrat indépendant chargé d’enquêter en matière pénale avant de transférer le dossier, s’il l’estime fondé, aux tribunaux, le juge d’instruction revient en effet de loin : en 2009, Nicolas Sarkozy a voulu le supprimer, avant de renoncer.

En cette période d’alerte maximale aux attentats, Marc Trévidic évoque la menace terroriste, sans langue de bois ni angélisme, et explique son métier – un travail de fourmi épuisant et souvent entravé, qui fait du juge d’instruction un « emmerdeur » indispensable à la démocratie et à l’indépendance de la justice.

Comment avez-vous choisi la justice, et votre spécialité, l’antiterrorisme ?
Je suis allé en fac de droit un peu par hasard, j’étais bon et ça m’a plu très vite. Je suis révolté par l’injustice depuis l’enfance, comme tout le monde, mais contrairement à certains, en devenant adulte, cela ne s’est pas arrangé. J’ai passé le concours de la magistrature en pleine vague d’attentats de 1985-1986, c’était l’époque des otages au Liban, de la première loi antiterroriste, en 1986. J’étais fasciné, notamment par l’atmosphère de secret autour de ces événements. On me demande souvent pourquoi je parle à la presse ; il me semble indispensable d’expliquer pourquoi des bombes explosent !

L’erreur judiciaire, comme dans les affaires Grégory ou Outreau, c’est votre hantise ?
Dans mon premier dossier, dans la Somme, j’ai mis en détention provisoire un homme accusé de viol par sa sœur. Il était innocent. J’y pense souvent. Mais si la crainte de commettre des erreurs est saine, elle ne doit pas m’immobiliser. C’est pourquoi, lorsque je me sens perdu, je liste les faits objectivement : le suspect a été pris en photo le 30 octobre au volant d’une voiture, le 31 il a fait le plein, et le 2 novembre, quelqu’un à bord de cette voiture a commis un crime. Est-ce que les faits dont je dispose prouvent qu’il est coupable ? Je classe les éléments certains et ceux qui sont discutables. Paradoxalement, les preuves scientifiques sont souvent discutables.

Je vous donne un exemple : dans l’affaire Plévin – un vol d’explosifs, en 1999 –, des Basques d’ETA sont arrêtés. Dans leurs sacs de couchage, on trouve sur un poil l’ADN d’un nationaliste breton. On va le chercher. Il nie. Il avait prêté son sac à un autre « natio » breton. La « preuve » ne prouvait rien. Il faut apprendre à classer les éléments pour limiter les risques d’erreur.

Vous décrivez un juge d’instruction empêché par le pouvoir, seul, impopulaire… Pourquoi s’infliger une vie pareille ?
Bien sûr, c’est un métier usant. Et qui implique une vie anormale, avec, dans mon cas, la présence permanente de deux gardes du corps depuis neuf ans… Il faut donc savoir en sortir. Ce sera sans doute bientôt, pour moi, mais je voudrais d’abord voir certains dossiers avancer, voire aboutir… En attendant, j’ai le sens du devoir ! Je suis payé par l’Etat, la loi dit que je dois trouver les auteurs de crimes et délits, c’est mon travail et je le fais. Je suis têtu, et j’ai un ego qui n’admet pas l’échec. Et puis c’est exaltant, des gens comptent sur moi, je suis en prise avec l’actualité, le monde qui bouge. Résoudre les crimes a une fonction sociale évidente, encore plus dans l’antiterrorisme, puisque l’action est préventive. Le « terro » est une drogue qui donne des poussées d’adrénaline, et provoque des descentes douloureuses.



 

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