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La photo ou l’école du regard

Les techniques de prise de vue se sont banalisées, mais choisir l’angle qui fera sens ou questionner les apparences supposent toujours un long travail personnel. Reportage à Arles, berceau de jeunes artistes.

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Publié le 26 février 2017 à 14h26, modifié le 26 février 2017 à 14h26

Temps de Lecture 5 min.

Stage de chambre au studio de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles en février 2017.

Fixes ou animées, publiées par des professionnels ou mises en scène par des millions d’amateurs, les images défilent à la vitesse grand V sur les écrans qui ont envahi le quotidien. Comment se faire alors entendre dans ce flux incessant, quand on est un jeune auteur ? Bien avant l’entrée des élèves dans la vie active, l’Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles (ENSP) les invite à se saisir de la question. En ce mois de février, le deuxième semestre commence ainsi par une semaine ­consacrée aux « approches professionnelles ». Objectif : apprendre à monter un dossier d’artiste, à postuler à des festivals ou à réfléchir à sa présence en ligne.

Au premier étage de cet ancien hôtel particulier du XVIsiècle, une douzaine d’étudiants se mettent ainsi dans la peau de différents acteurs du monde de l’art, du galeriste au collectionneur, pour évaluer le site d’une de leurs camarades. Celui qui joue le critique d’art propose d’ajouter une liste de références personnelles, en littérature ou en arts plastiques. L’interprète du mécène imagine une page réservée aux internautes qui voudraient soutenir la photographe, avec un renvoi vers une plate-forme participative. « En créant des liens vers des portails événementiels, vous pouvez créer une caisse de résonance », encourage Yannick Vernet, responsable des projets numériques de l’ENSP, en charge de l’atelier du jour.

Pourquoi ne pas préférer aussi une présentation vidéo à la classique énumération d’expériences du CV ? « Mais, sur Facebook, personne n’écoute vraiment les ­vidéos, on est obligé de les doubler d’un texte », s’exclame un participant. « Attention, réplique l’enseignant, la personne qui va d’elle-même sur le site d’un artiste est dans une démarche active, contrairement à celle qui déroule un fil d’informations sur un réseau social. N’oubliez pas que les réactions varient selon les supports. »

La publication d’une œuvre ne se joue pas en un clic. Pour qu’elle soit regardée et pas seulement vue, il faut s’interroger sur son interlocuteur, adapter son discours, accompagner sa réception. Néanmoins, si c’est en apprenant à moduler les approches que les artistes en herbe pourront toucher un public, c’est par la singularité de leur univers qu’ils le retiendront. Un cap difficile, mais les précédentes promotions de l’école leur ont montré la voie.

Stage de chambre au studio de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d'Arles en février 2017.

Depuis sa création en 1982, dans une ville qui se transforme chaque été en rendez-vous international de la photo avec les Rencontres d’Arles, l’ENSP a vu éclore nombre de grandes signatures. Dans l’un de ses couloirs, transformé en trombinoscope géant, figurent toujours les portraits de photographes reconnus comme ­Mathieu Pernot, Aurore Valade, Sébastien Calvet ou encore Valérie Jouve, et le directeur, Rémy Fenzy, est intarissable sur les parcours des uns et des autres. Peut-on parler d’un style arlésien ? « Dans les travaux de nos élèves et des anciens, le point de vue est en général très travaillé. Cela dit, notre objectif est de respecter et d’accompagner la sensibilité de chacun, pour les aider à trouver la meilleure expression possible de leur originalité, insiste Rémy Fenzy. Il s’agit de former des auteurs. »

Recrutés à bac + 2 minimum, certains ­talents sont déjà passés par un BTS de photographie, les Beaux-Arts ou une ­licence d’arts plastiques, mais d’autres ont un profil plus autodidacte. Ce sont les personnalités et les projets qui comptent lors du concours, plus que les éventuelles ­connaissances techniques. Ces dernières, les 25 heureux élus – parmi 300 à 400 candidats chaque année (hors classe internationale et doctorat) – pourront les approfondir durant les trois ans d’études.

C’est en début de cursus que se concentre l’enseignement en laboratoire. Vêtus de blouses blanches, des étudiants de première année naviguent ce jour-là entre les salles de développement et de tirage. La pénombre règne et des pellicules, suspendues dans une sorte de vitrine, sont en train de sécher. Ici, l’argentique n’est pas passé de mode. « Moins chère, avec moins de risques de corrosion que le numérique », selon le directeur, cette pratique a aussi des vertus pédagogiques. « Cela suppose de savoir comment réagit le papier et donc de bien gérer son temps », explique Patrick Massary, l’un des responsables de l’équipe technique. Tout en enrichissant la palette d’outils qu’ils pourront mobiliser au gré de leurs projets, les étudiants réajustent aussi leur vision des choses. « J’ai toujours préféré l’argentique, assure l’une d’entre eux, Anaïs Castaings, mais grâce aux cours, j’ai pu développer des pellicules que j’avais conservées et j’ai redécouvert des photos que je pensais connaître. »

Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d'Arles, stage de chambre au studio de l'école.En février 2017

Pour adapter l’angle de leur travail, ils suivent aussi des cours de philosophie, de sociologie ou de grammaire de l’image, surtout en deuxième et en troisième années. En parallèle d’un projet personnel, ils devront aussi préparer un mémoire de recherche pour valider le diplôme. Une démarche théorique qui pourrait brider la créativité ? « Non, répond Manon Letort, cheveux rouges et sourire aux lèvres au sortir d’un atelier d’écriture. La consultation d’éditions anciennes en bibliothèque nourrit nos références et nous inspire. Le photographe qui passe sa vie à mitrailler sur le terrain, c’est un mythe. »

Internet a élargi le champ de la photo

Si elle les aide à se situer dans une histoire de l’art, l’école veut aussi confronter ses recrues aux tendances actuelles en donnant la parole à de nombreux intervenants extérieurs, autour d’un petit noyau fixe d’enseignants permanents. Ce vendredi, c’est Marion Hislen, directrice du festival Circulation(s) (dont l’édition 2017 a lieu jusqu’au 5 mars au Centquatre-Paris), qui est de passage pour une conférence. Elle en profite pour rencontrer des élèves de dernière année, comme Iris Winckler, une brune aux allures sages et à la voix posée, mais dont le regard ­affûté questionne l’envers des décors urbains quotidiens. Marion Hislen reprend plusieurs fois un cliché du quartier de La Défense, admire les teintes grisées d’un autre, compose une série à partir du portfolio tout en conseillant à la jeune artiste de creuser la sensation d’inquiétude qui se dégage de certaines photos.

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Pour aller au bout de sa démarche, Iris Winckler sait qu’elle pourra compter sur l’appui des autres élèves. « On discute beaucoup. Ce sont ces échanges aussi qui font la richesse de l’école », dit-elle en rejoignant l’association des étudiants, en pleine préparation des journées portes ouvertes. « Il y a régulièrement des bilans où chacun présente son travail, ce qui permet d’avoir beaucoup de retours », ajoute Lucie Liabeuf, 25 ans, qui coordonne l’exposition du lendemain.

Une voie dans laquelle elle-même voudrait persévérer après l’école. Possible ? Des anciens ont bien fait carrière dans la gestion de festivals ou la conservation de musées. Et Internet a élargi le champ de la photo. En bouleversant les questions de diffusion, la Toile « ouvre beaucoup d’enjeux autour de la valorisation des fonds », assure Rémy Fenzy. Reste à avoir un solide projet pour en faire un tremplin.

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