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Manifestations à Calais et à Rennes : y a-t-il eu « deux poids deux mesures » ?

Des personnalités de droite comparent l’interpellation du général Piquemal en marge d’une manifestation islamophobe et celles de manifestants d’extrême gauche.

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Publié le 08 février 2016 à 15h30, modifié le 09 février 2016 à 14h12

Temps de Lecture 5 min.

L’arrestation, samedi 6 février à Calais, en marge d’une manifestation islamophobe interdite, du général Christian Piquemal, 75 ans, ancien patron de la Légion étrangère française de 1994 à 1999, ainsi que de quatre autres personnes, a été dénoncée par de nombreuses personnalités au Front national, mais aussi dans une partie de la droite plus traditionnelle.

Certains, à l’instar de Guillaume Larrivé ou Guillaume Peltier (Les Républicains), ont évoqué un « deux poids deux mesures », comparant les arrestations de ce week-end à Calais à l’« impunité totale » dont auraient bénéficié les militants No Borders à Calais, il y a quelques semaines, ou des militants d’extrême gauche à Rennes, samedi 6 février. Cette manifestation contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et contre l’état d’urgence a été marquée par des bris de vitrines et des jets de projectiles divers en direction des forces de l’ordre.

« L’impunité totale pour les No Borders qui taguent la statue du général de Gaulle à Calais, il y a quelques semaines. Ensuite il y a l’impunité totale ce week-end à Rennes (…), où le centre-ville a été saccagé par des militants d’extrême gauche, aucune comparution immédiate. Et là, on s’attaque à ce général, qui fut le commandant de la Légion étrangère », a déclaré M. Larrivé, sur France Info lundi 8 février.

Petit tour d’horizon sur ces différentes manifestations, leur autorisation ou non, les suites judiciaires à ce stade, et sans préjuger des jugements à venir.

1. Qui organisait la manifestation à Calais ?

C’est un rassemblement des sympathisants français de Pegida, mouvement islamophobe et anti-immigration né en Allemagne, qui avait appelé à manifester. Pegida est représenté en France à travers une association créée par Loïc Perdriel, en 2015, avec l’aide de l’idéologue d’extrême droite Renaud Camus.

Des manifestants de Pegida, à Calais, samedi 6 février.

Ce groupuscule, qui n’avait rassemblé qu’une petite centaine de personnes lors d’une première manifestation à Calais en novembre 2015, ne brille pas par sa tolérance. Il suffit d’aller sur sa page Facebook pour trouver de très nombreux liens vers des sites d’extrême droite radicale, et des commentaires des plus haineux.

Début 2015, des membres du Bloc identitaire, groupuscule d’ultradroite, avaient assuré le service d’ordre d’une réunion de Pegida en France, rappelle Le Figaro. Et les participants à ces rassemblements sont bien souvent des figures connues de l’ultradroite.

La première manifestation de Pegida à Calais, en novembre 2015, s’était soldée par de nombreux dérapages et actes islamophobes, la maire de la ville, (Natacha Bouchart, LR) fustigeant la préfecture qui n’avait pas fait interdire ce défilé.

2. La manifestation était-elle autorisée ?

Non. Evoquant les débordements survenus la semaine précédente en marge d’une manifestation « pro-migrants », et sa crainte d’une confrontation entre pro et anti-migrants cette fois , le ministère de l’intérieur avait interdit le rassemblement. Mais Pegida avait prévenu de son intention de défiler tout de même. Le groupuscule avait contesté en justice l’interdiction de manifester, en vain : le tribunal administratif lui a donné tort.

Samedi, une petite centaine de manifestants a donc tenté de se rassembler dans la ville. « Vers 12 h 30, des groupes ont commencé à circuler en centre-ville, essentiellement de l’ultradroite de type néonazie. Sept d’entre eux ont été interpellés dès le début, puis un rassemblement s’est fait devant une brasserie de la gare », a précisé la préfecture.

Après plusieurs débordements, et des sommations des forces de l’ordre, une série d’interpellations a eu lieu. Sur une vingtaine d’interpellés, cinq sont poursuivis pour avoir porté des armes (tasers, armes blanches, etc.). Le général Piquemal, lui, comparaît pour « participation à un attroupement qui ne s’est pas dissous après sommation ».

3. Ce type d’arrestation est-il inhabituel ?

Non. Dès lors qu’un rassemblement est interdit, le tenir tout de même expose les organisateurs et les participants à des sanctions.

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L’article 431-9 du code pénal punit d’une peine qui peut aller jusqu’à six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende :

  • le fait d’avoir organisé une manifestation sur la voie publique n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration préalable ;
  • le fait d’avoir organisé une manifestation sur la voie publique ayant été interdite dans les conditions fixées par la loi ;
  • le fait d’avoir établi une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur l’objet ou les conditions de la manifestation projetée.

Etre un simple participant à une manifestation interdite, en revanche, n’est pas un délit en soi. Mais refuser de se disperser après sommations par les forces de l’ordre, l’est : l’article 413-4 du code pénal punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait, pour celui qui n’est pas porteur d’une arme, de continuer volontairement à participer à un attroupement après les sommations ».

Et si elle se concentre souvent sur les cas les plus graves (qui ajoutent des violences ou du port d’armes au rassemblement), il n’est pas rare que la justice condamne les participants à un rassemblement interdit : six militants propalestiniens en ont fait les frais en 2012, par exemple.

4. Les manifestations de Calais et de Rennes étaient-elles autorisées et ont-elles donné lieu à des poursuites ?

Ces deux rassemblements étaient autorisés. Une douzaine de militants No Borders ont été arrêtés à l’issue de leur manifestation fin janvier, plusieurs d’entre eux étant en attente de jugement. Même chose à Rennes, où plusieurs interpellations ont eu lieu après les débordements samedi 6 février et où trois personnes sont jugées en comparution immédiate.

Evoquer la comparution immédiate comme le fait M. Larrivé, pour laisser entendre qu’elle est une circonstance aggravante, est quelque peu abusif également : elle est appliquée aux cas de flagrants délits qui ne nécessitent pas de longue instruction – certains militants No Borders ont d’ailleurs été concernés par cette procédure en janvier –, et tout prévenu peut la refuser et demander une audience plus tardive s’il le souhaite.

5. Un militaire à la retraite est-il tenu au « devoir de réserve » ?

La question peut se poser. Le statut général des militaires de 1905 spécifie un strict devoir de réserve et l’interdiction de participer à des groupements militants, mais pour les militaires en activité. Si, comme c’est probable, à la retraite, le général Piquemal est demeuré officier de réserve, il reste soumis en principe soumis à une certaine discrétion quant à ses opinions politiques.

Cette arrestation intervient dans un contexte particulier quant aux hauts gradés de l’armée : Depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande, en 2012, et plus encore depuis les manifestations contre le mariage homosexuel en 2013, une partie de l’extrême droite agite le fantasme d’une insurrection militaire, et l’état-major français admet être vigilant quant à ces tendances.

Sur la page Facebook de Loïc Perdriel, on trouvait d’ailleurs, une semaine avant la manifestation, cette image renvoyant vers un article Wikipédia consacré aux manifestations des Ligues d’extrême droite, le 6 février 1934, qui avaient failli dégénérer en coup d’Etat.

Capture de la page Facebook de Loïc Perdriel, l'un des responsables de Pegida en France.
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