Des victimes des attentats du 13 novembre et leurs proches à leur arrivée à l'école militaire.

Des victimes des attentats du 13 novembre et leurs proches reçus par les juges d'instruction à l'Ecole militaire, mardi 24 mai.

AFP/FRANCOIS GUILLOT

Ils sont sortis un par un, au compte-gouttes, parfois par petits groupes, les visages fermés, vidés par les heures qu'ils venaient de vivre. Blessés, rescapés, proches... Le 13 novembre les a tragiquement rassemblés, faisant d'eux des victimes des attentats. Ils ont perdu un enfant, ont un fils ou une fille qui a été blessé, ou l'ont été eux-mêmes. Pendant trois jours à partir de ce mardi, les plus de 1000 parties civiles sont reçues par les six juges d'instruction à l'Ecole militaire de Paris. C'est la première fois qu'ils peuvent mettre des visages sur cette justice qui instruit ce dossier tentaculaire, six mois après les attentats de Paris et Saint-Denis et leurs 130 morts.

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"Comment se fait-il, alors que les attentats ont commencé au Stade de France, qu'on ne nous parle que du Bataclan?", lance à sa sortie Florette, blessée à Saint-Denis, "meurtrie aussi bien dans [sa] chair que psychologiquement". "Il faut nous dire ce qu'il s'est passé, on a besoin de savoir. Mais on nous répond qu'ils n'ont pas encore pu exploiter les images des caméras de vidéosurveillance. Ça fait six mois quand même!"

"Six mois après, si on se replace dans le contexte de cette procédure, ce n'est pas si long, nuance maître Gérard Chemla, l'un des avocats des victimes. Par ailleurs, les juges sont dans une obligation de synthèse, ils ne peuvent pas non plus rentrer dans tous les détails." Car en raison de leur très grand nombre et du caractère inédit de la procédure, les parties civiles ont été réparties, le premier jour étant consacré aux victimes des terrasses et du Stade de France, mercredi et jeudi à celles du Bataclan.

Les noms des 130 victimes énumérés face à Salah Abdeslam

Qu'ont fait exactement les policiers le soir des faits? Comment les services de secours sont-ils intervenus? Quel rôle exact chaque terroriste a-t-il joué? Où en est la délivrance de mandats d'arrêt européens? Mohamed Abrini va-t-il être jugé en France? Les questions étaient nombreuses. Le juge Teissier a procédé avec minutie à un exposé du contenu du dossier et a délivré une chronologie très précise, minute après minute du soir des attentats.

Évidemment, il a été notamment question de Salah Abdeslam, quatre jours seulement après l'audition au cours de laquelle il a fait valoir son droit au silence. Et ce détail livré aux parties civiles: si le seul membre des commandos du 13 novembre toujours en vie a refusé de s'exprimer, le juge lui a parlé. Et il ne s'est pas contenté de poser des questions restées sans réponses, il a énuméré un à un le nom des 130 victimes.

"Les juges nous ont rassurés et expliqué que ce n'est pas parce qu'il n'avait pas parlé que cela se passerait comme ça les prochaines fois. Ils semblaient confiants", explique Mohammed Zenak, dont la fille a été blessée au Comptoir Voltaire par l'explosion de Brahim Abdeslam. Opérée à nouveau à l'oeil mardi, la jeune étudiante parisienne n'avait pas pu faire le déplacement, c'est son père, membre de l'association 13 novembre fraternité et vérité, qui était là pour elle.

"Chaque question était un moment de douleur"

"Je voulais savoir pourquoi on n'arrive pas à le faire parler. Je trouve qu'on est un peu trop gentils avec lui. Il est ennuyé d'être filmé en permanence dans sa cellule? Moi je suis énervée qu'ils aient tués ma fille", lâche de son côté Elisabeth Boissinot, qui a perdu sa fille Chloé à la terrasse du Carillon. Mais la peine n'est jamais loin de la colère. "C'est douloureux d'être ici. Je n'étais pas revenue depuis les jours qui ont suivi le 13 novembre, lorsque l'on cherchait Chloé", souffle cette mère, pressée de "rentrer dans [sa] province".

"Il y avait des points de vue très divergents au sein-même des victimes. Certains ont exprimé beaucoup de haine, d'autres de la peine. Chaque question était un moment de douleur", rapporte maître Jean Reinhart qui souligne une "extraordinaire attention" des juges qui ont "su trouver des paroles apaisantes".

"Chacun réagit en fonction de son vécu, de ses émotions. Il y avait autant de témoignages que de situations. L'auditoire était d'une grande diversité", complète Catherine Oresenne. Cette chirurgien-dentiste a été blessée au Stade de France. Triple fracture à l'épaule et de nombreuses contusions. Ce mardi, aux Invalides, elle a son sac bleu sur le dos qui la suit comme ce soir de novembre. Et, alors que la place qui fait face à l'Ecole militaire s'est progressivement vidée, elle conclut: "On est victimes des attentats. Et on le restera jusqu'à notre mort, c'est devenu notre statut."

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