Grippe aviaire : 320 canards tués en vingt minutes dans cette ferme

Dans les Landes, nous avons suivi les vétérinaires de l'Etat qui procèdent à un abattage massif. Nécessaire, mais très dur à vivre pour les éleveurs.

En Chalosse (Landes), jeudi.
En Chalosse (Landes), jeudi.

    Une exploitation familiale. Chez Pierre*. Quelque part en Chalosse, microterroir au sud de Mont-de-Marsan (Landes) qui vit par et pour le canard gras. Jeudi matin, sur la route déserte qui ne serpente que pour les quelques fermes du coin, à l'écart du village, trois véhicules d'un coup... Précédé de peu par le vétérinaire local venu faire des prélèvements, le convoi redouté est arrivé, annoncé la veille par téléphone. La camionnette des services vétérinaires, puis celle de l'équipe de trois « attrapeurs » mandatés par les services de l'Etat — comme leur nom l'indique, leur travail consiste, principalement dans les élevages d'envergure, à saisir les canards pour les mettre en cage en vue de leur transport, leur gavage, leur abattage... —, suivies d'un camion-benne bâché.

    Première question de l'un des quatre vétérinaires mandatés par l'Etat, occupé comme tous à se vêtir de deux couches de combinaisons, de bottes aux surbottes scotchées, d'un masque, de gants et d'une charlotte : « Vous avez de la mortalité ? » Réponse véhémente de Pierre, l'éleveur-gaveur : « Mais non ! Ils vont bien ! » L'échange est rhétorique : les visiteurs de la ferme ne sont pas venus diagnostiquer, mais exécuter.

    Car l'exploitation, une dizaine de jours auparavant, en a eu, de la « mortalité ». « Quelques cas, sur des canards de 6 à 7 semaines, des jeunes. Pas beaucoup, hein, ça représentait 2 % de l'exploitation. Et ensuite plus rien... » ajoute-t-il. Le vétérinaire est venu, a fait ses prélèvements, a déclaré le cas aux autorités sanitaires.

    Une piqûre derrière la tête

    « On savait que ça allait arriver, convient l'agriculteur, installé en autarcie -- le canard ne quitte pas la ferme de son premier jour à son abattage, est nourri de grains cultivés sur la ferme -- depuis près de trente ans. Il faut tuer, on tue, mais bon... Les 1 000 qui vont être abattus aujourd'hui, ça devait être notre stock, ils auraient dû vivre jusqu'en avril ou mai. On n'a pu en élever que 600 sur 1 600. L'année dernière, on a travaillé jusqu'à fin avril. Cette année, le dernier abattage s'est fait le 13 février. »

    Il faudra une vingtaine de minutes pour tuer les 320 canards du premier des trois lots de l'exploitation, d'une piqûre derrière la tête. Du cabanon où se déroule l'abattage, les hommes en blanc sortent, des poignées de canards morts dans chaque main, pour les déposer dans le godet d'une des deux tractopelles qui se relèvent pour charger la benne. Direction l'équarrissage, après désinfection des roues du camion. Certains bougent encore, font quelques pas, avant d'être rattrapés, raccompagnés vers leur destin, de s'éteindre définitivement. Ce qui faisait le fleuron de la gastronomie finira incinéré, et parfois utilisé... en combustible industriel !

    Une salariée de l'exploitation, à bonne distance, écrase une larme. « On ne s'y attache pas comme à un chien, il m'arrive de les traiter de connards quand ils griffent, mais on les connaît. Ici, on leur donne du soja, du blé, du tournesol, du colza de la ferme. Et puis ils connaissent le goût du maïs avant le gavage, pas comme dans l'industrie », remarque Marion*. La jeune femme égrène encore tout ce qui ne sera plus dans quelques minutes, avant qu'il ne reste dans les cabanons et tractopelles que désinfectants et le seul souvenir des cancanements. « Ils sont enfermés tous les soirs à l'abri des renards, des chiens errants, et des renards à deux pattes. Avec de la lumière pour éviter le stress, comme les enfants ! » L'exploitant a éloigné ses parents âgés pour la journée, pour leur épargner ce spectacle de désolation. Son père, qui à près de 80 ans continuait à s'occuper des palmipèdes, n'en verra plus pour plusieurs mois.

    * Les prénoms ont été changés.

    Le confinement en question
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