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Lundi 8 février, Jérôme Cahuzac est entré dans l'arène. Au sens propre du terme, tant la configuration de cette salle des Criées - celle d'un amphithéâtre - le place au centre de l'assistance. Le public et les journalistes ne sont pas, comme il est de coutume, installés derrière le prévenu. Ils le toisent depuis des bancs légèrement surélevés. Ils l'encerclent et l'oppressent. Poursuivi devant le tribunal correctionnel de Paris pour fraude et blanchiment de fraude fiscale, l'ex-ministre délégué au Budget sait que la France l'a déjà jugé coupable. Ne se plaint-il pas depuis ses aveux « les yeux dans les yeux », le 2 avril 2013, d'être devenu « un paria », « un banni de la République » ?
Ce lundi après-midi, Jérôme Cahuzac assume et ne fuit pas. L'ancien chantre de la rigueur est aujourd'hui le roi de la ponctualité : il arrive avec quarante-cinq minutes d'avance sur l'ouverture de l'audience, fend la presse compactée en meute comme s'il se réveillait d'un mauvais cauchemar. Il ne ménage pas les journalistes, les repousse, met sa main dans le visage de l'un d'entre eux pour le dégager de son chemin. Brutal réflexe de celui qui fut, dans une autre vie, boxeur amateur. Fier dans un costume sombre, une maîtrise feinte, Jérôme Cahuzac prend sa place devant ses juges. Puis s'éteint : il paraît même par moment s'assoupir. Une bise inattendue de son ex-femme, Patricia, elle aussi poursuivie par le tribunal pour fraude fiscale, semble seule capable de le sortir de sa torpeur.
« Vous pouvez m'appeler Madame Cahuzac »
Assise, les yeux baissés vers le sol, droite dans un tailleur noir, les mains posées bien à plat sur les cuisses, comme si elle avait été punie d'avoir été trop sage, Patricia Cahuzac arbore un sourire qui ne lui sert qu'à camoufler le tremblement nerveux de ses lèvres. Elle ne se lève elle aussi que pour répondre au président du tribunal : « Oui, vous pouvez m'appeler Madame Cahuzac », dit-elle. C'est elle, Patricia, qui a précipité la chute de Jérôme, lorsqu'interrogée par les enquêteurs en février 2013, elle n'a rien caché de l'argent dissimulé de son ex-mari. Elle s'était ensuite rétractée, trop tard, comprenant qu'elle allait être happée elle aussi dans l'engrenage infernal qui a avalé son époux.
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Ce lundi, le tribunal ne s'est pas penché sur les relations empoisonnées entre Jérôme et Patricia Cahuzac, et n'a pas davantage examiné le fond de l'affaire. Les magistrats doivent d'abord s'attarder sur des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) déposées par les avocats de la défense, selon lesquelles leurs clients ne peuvent être poursuivis à la fois par le fisc et par la justice pénale. En clair : Jérôme et Patricia Cahuzac, qui ont déjà fait l'objet d'un redressement fiscal, estiment ne pas pouvoir être sanctionnés une nouvelle fois devant un tribunal. Si les juges décidaient, mercredi, de transmettre cette QPC à la Cour de cassation, le procès serait suspendu en attendant une éventuelle décision du Conseil constitutionnel. Début janvier, le même cas de figure, en matière de succession, s'est présenté lors du procès Wildenstein. Le procès a été suspendu et une QPC est en cours d'examen à la Cour de cassation. Le pire des scénarios pour le parquet national financier qui mène l'accusation.
« Le droit de faire du droit »
Lundi après-midi, à l'audience, le vice-procureur a ainsi vigoureusement protesté contre une éventuelle transmission de la QPC à la Cour de cassation, qui serait synonyme de report du procès : « Monsieur Cahuzac a déposé des conclusions aux fins de relaxe. Il vous demande donc de le déclarer non coupable. En substance, il dit : certes, je n'ai pas respecté la loi, mais j'ai depuis régularisé ma situation […] Monsieur Cahuzac a été député, membre de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, ministre du Budget. À aucun moment il ne s'est ému que poursuivre des gens au pénal pour fraude fiscale puisse poser difficulté […]. Aujourd'hui, parce que la loi s'applique à sa personne, Jérôme Cahuzac vient dire : Non, pas à moi. C'est anormal », a-t-il dit.
Et le parquet de souligner que les sanctions encourues face au fisc sont largement moindres que celles encourues devant la justice pénale. Qu'il y a donc lieu de mener de front les deux procédures : « D'un côté, vous encourez une sanction unique, financière. Alors que de l'autre côté, vous encourez pas moins de huit peines cumulées : l'emprisonnement, l'interdiction des droits civiques, l'hypothèse [infamante, NDLR] d'une publication de la décision de justice, l'interdiction de conduire un véhicule, la confiscation des biens mobiliers et immobiliers, etc. […] Quelle étrange conception de M. Cahuzac que de dire devant vous que l'argent aurait le même prix que la liberté ! L'argent ne vaut pas tout, l'argent n'a pas le même prix que nos droits et libertés les plus précieuses. »
Jérôme Cahuzac, qui affronte la honte d'un procès public, « souhaite être jugé et aussi vite que possible », a aussitôt rétorqué un de ses avocats, Me Jean-Alain Michel. Avant que Jean Veil, autre conseil de Jérôme Cahuzac, ne surenchérisse : « Ce n'est pas parce que l'on est traité par la presse comme un paria que l'on n'aurait pas le droit de faire du droit. » Mercredi matin à 9 heures, le tribunal dira s'il transmet ou pas la QPC à la Cour de cassation. Et si le procès peut ou non se poursuivre.
Il a régularisé le fisc. Le reste, ce sont des considérations moralisatrices ne relevant pas de la justice. On lui reproche d'avoir menti "les yeux dans les yeux", la belle affaire, surtout concernant un homme politique ! Il ne peut plus exercer, est devenu un paria. Dès qu'il retrouve un semblant d'activité professionnelle, il a le fisc sur le dos, histoire de décourager tout employeur. Quoi de plus ? Qu'il se suicide ? Cet acharnement devient grotesque. Il a payé, c'est réglé.
Je me pose la question de savoir si toutes ces indignations sont bien réelles, ne sont-elles pas que le paravent de beaucoup de turpitudes bien dissimulées par les plus virulents indignés ?
Ce n'est pas un drame shakespearien, juste une évasion fiscale courante qui a pris les dimensions d'une affaire d'Etat par la faute de l'ex-ministre. Et c'est de ce mensonge que Cahuzac entend s'exonérer par le recours à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Ayant été condamné fiscalement, il considère qu'il ne doit pas être jugé pénalement et demande donc que la Cour de cassation, puis le Conseil constitutionnel se prononcent sur ce qui serait selon lui et ses avocats une double peine. Point de vue que ne partage pas le vice-procureur Jean-Marc Toublanc, qui a fait remarquer au prévenu que, ministre, il ne s'était jamais soucié de la question lorsqu'un contribuable aurait pu être poursuivi fiscalement et pénalement. Qui des deux va l'emporter, le vice-procureur ou Cahuzac (plus parieur que paria) ?