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Dolce & Gabbana une ambition à l'italienne

En trente ans, le duo s'est imposé en faisant de la Péninsule le thème de leurs collections et de leur marketing. Et leur évolution vers le grand luxe ne change en rien leur antienne. Retour sur un itinéraire qui fait rimer glamour et business.

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Par Gilles Denis

Publié le 26 août 2016 à 01:01

Soudain, la nuit est tombée sur le vieux Naples, l'air chaud comme le sirocco s'est mis à vibrer, les petits pavés irréguliers et noirs ont tremblé, prêts à se fendre pour découvrir les entrailles romaines de la cité, les conversations se sont tues et les regards se sont tournés vers l'attroupement qui se formait en haut dela via San Gregorio Armeno. Alors s'est élevée une mélopée depuis les balcons pavoisés et les rues bondées. Trois syllabes scandées comme une incantation: «So-phi-a, So-phi-a, So-phi-a.» Et elle est apparue: Sophia Loren, descendant la rue des crèches, entourée de Domenico Dolce et Stefano Gabbana qui, dans une inimaginable clameur, la portaient jusqu'au trône de bois doré préparé pour elle, sur le parvis de San Lorenzo Maggiore. «Sei la più bellissima, sei napoletana e sei nostra regina!» (« Tu es la plus belle, tu es napolitaine et tu es notre reine! ») criaient les femmes en pâmoison sur son passage, alors que les hommes se précipitaient pour lui offrir un éventail. Dans une cohue invraisemblable et une atmosphère tenant de l'opéra populaire et du miracle napolitain, elle s'est assise, mi-madone mi-souveraine, acceptant l'hommage de sa ville d'une inclinaison de tête, prête à assister à une procession aux allures de miracle de San Gennaro, patron mythique de la cité parthénopéenne, dont le sang se liquéfie une fois l'an...

Une procession toute païenne en l'occurrence: 99 modèles de couture défiant l'apesanteur - les rues autour de la Spaccanapoli sont pentues -, le temps et les modes, rendant hommage à Sophia et à Naples tout entière entre petites robes noires et capes brodées aux allures de chasubles - très défilé de mode ecclésiastique fellinien - contrastant avec guêpières et jarretelles tout droit sorties de Mariage à l'italienne, robes du soir pour cérémonie des oscars et folklore napolitain réinterprété grand genre. 99 modèles glissant sur la rue suintante comme autant de figures de proue de l'italienneté. 99 modèles signés du duo le plus italien de toute la Botte, Dolce & Gabbana. L'apogée de quatre jours fêtant l'artisanat d'art sous le nom d'Alte Artigianalita, réunissant 300 des plus grandes clientes de la marque, qui auront aussi été tentées par la haute joaillerie présentée en ouverture ou les robes de plage proposées dans un pop-up store. Quant à leurs époux et autres compagnons du sexe dit fort, ils auront connu les joies de la couture masculine avec Alta Sartoria, célébrant dans le cadre du castel dell'ovo le grand style du tailleur napolitain, via un hommage à James Bond aussi coloré que brodé. Des jours de démesure offerts à des fans tous en total look du père à l'enfant, la mère et la grand-mère, et ne boudant pas leur plaisir devant cette démonstration de puissance aussi globale que généreuse - On ne lésine ni sur le champagne, ni sur le Riva, ni sur le feu d'artifice dans ce conte de fées en technicolor. Quelques semaines auparavant, au lendemain de la présentation de la collection de prêt-à-porter masculin, Stefano Gabbana avait prévenu: «Il faut voir Alta Moda (le nom de cette couture là, NDLR) pour comprendre qui nous sommes et qui nous voulons être. À dire vrai, notre ambition est simple: nous voulons être le Chanel italien.» Une prise de risque? Une provocation? «De quoi aurions-nous peur?» rugissait en réponse le créateur.

Et pourquoi se priver de quelque ambition que ce soit quand on a déjà remué plusieurs fois les montagnes pour se faire une place au soleil, que l'entreprise que l'on a fondée en 1985 compte 332 boutiques et a dépassé le cap du milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2012 - pour atteindre 1,19 milliard en 2015. La recette du succès? Leur duo sans doute: à Domenico Dolce, le taciturne tombé dans le bain enfant de la couture - son père était tailleur en Sicile -, le goût du détail; à Stefano Gabbana, l'orateur né, celui de la mise en scène. Les deux se rencontrent au début des années 80 chez un designer italien oublié, Correggiari, deviennent un couple professionnel - ce qu'ils sont toujours - et privé - ce qu'ils ne sont plus. Vite, très vite, ils fondent leur propre maison dont ils demeurent à ce jour les seuls propriétaires. Signe qui ne trompe guère sur leur ambition: ils la baptisent de leurs propres noms. Après une première saison décevante - ils manquent de mettre la clef sous la porte -, le succès va être fulgurant et reposer sur le «made in Italy» sous toutes ses coutures. Quand Armani révolutionna la construction des vestes dans les années 80, quand Versace introduisit le sexy dans le luxe, les deux compères parient sur l'image de la Péninsule pour être le meilleur vecteur de leur prêt-à-porter. La bonne idée? Avoir toujours présents, dans toutes les collections, des essentiels portables avec en produits phares la petite robe noire et le petit costume noir.

discrétion n'est pas D & G

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À partir de ces icônes, Domenico Dolce et Stefano Gabbana font de la mode comme d'autres font de la cuisine: leur fond de sauce (ou de commerce) leur permet de se livrer à toutes les expérimentations et excentricités lors des shows et des campagnes mettant en scène les symboles esthétiques de l'Italie en général, et de la Sicile en particulier. Côté égéries, Sophia Loren, qui apparaît dans la dernière campagne pour le parfum Dolce, succède à Monica Belluci, ou Madonna, véritable cheval de Troie italo-américain à destination des États-Unis, entre couvertures d'albums, costumes de tournée et publicité. Côté inspiration, les défilés ont passé en revue toutes les références de Cinecitta à Visconti, des rois normands de Sicile aux pêcheurs de Capri, en passant par les dancings des années 50, les ragazzi ne rechignant pas au torse nu et les femmes fatales à bouche carmin. Le style des deux est loin de la discrétion : «Chez Dolce Gabbana, nous sommes plus dans l'explosion de joie que dans le demi-sourire. Nous revendiquons une authenticité souriante, un lifestyle plein de vie», confirme Stefano Gabbana. Au passage, toutes les extensions de territoire ont été envisagées, de la maille au maillot de bain, en passant par les réfrigérateurs (en partenariat avec Smeg), les glaces (avec Magnum) et les voitures (pour une série limitée de C3 de Citroën), les lunettes etles parfums. Les lunettes sont fabriquées par le géant transalpin Luxoticca depuis 2006. Les parfums, longtemps sous licence Procter & Gamble, vont passer avec le maquillage sous le pavillon japonais de Shiseido au 1er octobre 2016. Un changement de partenaire qui marquerait aussi la volonté du duo de jouer davantage encore dans la cour du luxe en développant la part de ce secteur (400 millions d'euros en 2015) dans leur chiffre d'affaires.

Car au tournant des années 2010, les deux compères ont décidé de monter en gamme. Ciao à la seconde ligne D&G, bonjour Alta Moda, la couture donc. Après un premier défilé en 2012, elle s'enrichit d'une offre masculine, Alta Sartoria, et d'une branche joaillerie, Alta Gioielleria. Les petites mains entrent en action, les maîtres tailleurs prennent leurs ciseaux, broderies citrons et fleurs succèdent aux imprimés. Résultat? Face aux modèles, les madones baroques des églises siciliennes ressemblent à des carmélites. L'esthétique de la maison prend de l'altitude et, au passage, le prêt-à-porter s'enrichit de références stylistiques, comme les broderies, réservées à la haute couture. Dans le même temps, à travers la restauration de films italiens, l'engagement culturel de Doce & Gabbana ne cesse de croître - une qualité essentielle pour compter dans le monde du grand luxe. Banco: le succès est une fois encore au rendez-vous. Sans doute car la marque séduit par son côté bon enfant une nouvelle clientèle qui peut être un rien effrayée devant les lourdes portes de l'avenue Montaigne ou de la rue Cambon. Ici, les deux gaillards accueillent à bras ouverts Russes et Chinoises, jouent le jeu lors des grandes messes Alta Moda, posant avec elles, leur offrant des contes de fées où les princesses peuvent être blondes et avoir les yeux en amande...

Des clichés totalement assumés

Demeure que, comme dans les contes de fées, les nuages se sont aussi accumulés dans le ciel azzuro des deux compères et les ténèbres ont parfois envahi leur théâtre d'ombres... Sans doute, Stefano Gabbana n'ignore pas les critiques: «Mais nous n'avons pas besoin de plaire à tout le monde.» Se fait-on plus précis qu'il n'élude même pas les réponses. Il faut dire que le duo sicilien a accumulé beaucoup de mauvaise presse ces dernières années... Un tableau sombre entre soupçons de fraude fiscale massive - un feuilleton judiciaire se terminant en octobre 2014 par leur blanchiment - et déclarations très traditionnelles sur la conception de la famille, en plein le débat sur l'homoparentalité, qui leur a valu un bashing sur les réseaux sociaux. «Que vous dire? Oui, nous croyons à la famille traditionnelle. Oui, nous adorons l'idée de la mama. C'est un cliché de l'Italie sans doute. Nous sommes des créateurs et nous jouons avec ces clichés», plaident-ils, sans doute pas mécontents du bruit - les deux gaillards savent utiliser à bon escient une dose de provocation et ont toujours su être de leur temps en matière de communication. Dolce & Gabbana fut ainsi la première marque à reconnaître le nouveau pouvoir des blogueurs et autres influenceurs en les invitant jusqu'aux premiers rangs de leurs défilés. Aujourd'hui encore, ils ont à coeur de ne pas rater la révolution des «Millenials» - cette génération née avec les années 2000 - en invitant une brochette des plus célèbres à leurs défilés, de Cameron Dallas (13 millions de followers) à Peter Brant (fils du top model Stéphanie Seymour), en passant par Lucas Maurice Morad Jagger (fils de Mick Jagger) ou Gabriel-Kane Day-Lewis (fils de Daniel Day-Lewis et Isabelle Adjani)...

Quid de leur collection d'abayas et hijabs, lancée début 2016, qui a provoqué un tollé de la part des féministes universalistes à l'instar d'Elizabeth Badinter, appelant au boycott de la marque - des collections ciblées existent également chez Uniqlo et Marks & Spencer. «Où qu'elle soit, une femme a le droit de se sentir belle. Y compris dans des coutumes qui nous sont étrangères», se défendait aussi Stefano Gabbana. Une prise de position qui continue de faire grincer des dents. Mais qui correspond visiblement à un marché que la marque n'a pas l'intention d'abandonner: si les habayas étaient absentes du défilé Alta Moda - comme du défilé de prêt-à-porter classique -, les djellabas et autres gandouras brodées et imprimées étaient bien présentes lors des défilés masculins... Il faut dire que, selon un rapport du cabinet de conseil en stratégie et management Bain, le marché du luxe au Moyen-Orient aurait enregistré un chiffre d'affaires total de 8,7 milliards de dollars en 2015, en augmentation de près de 28% par rapport à l'année précédente... Des créateurs? Sans doute. Des business men? Sans aucun doute. Une alliance qui fit, en son temps, le succès d'une certaine Gabrielle, devenue Coco Chanel. Et qui vivra verra.

La saga d & G

1985 Création de la marque Dolce & Gabbana et premier défilé féminin.1990 Première collection homme.1992 Premier parfum.1993 Création des costumes de The Girlie Show, la tournée de Madonna. 2000 Reprise en direct des licences de maille, sous-vêtements, beachwear, maillots, écharpes et cravates.2005 Première boutique en Chine à Hangzhou.2006 Réalisation des tenues de l'équipe d'Italie pour la coupe du monde de football.2009 Lancement de la ligne de maquillage.2011 Première collection de joaillerie.2012 Premier défilé couture d'Alta Moda.2013 Publication du livre Dolce Gabbana - Lionel Andrés Messi 2014 Lancement de la ligne de soins.2015 Lancement du rouge à lèvres Sophia Loren N°1.2016 Sophia Loren aux journées Alte Artigianalita à Naples les 7, 8, 9 et 10 juillet.

Pop foot

Côté celebrity marketing, Dolce & Gabbana n'a rien à prouver à personne. Côté glamour grand public, les créateurs parient depuis longtemps sur les icônes de la pop culture, Madonna en tête (photo). Elle a été leur égérie publicitaire, ils l'ont habillée pour ses tournées, pour ses couvertures d'album, pour ses apparitions sur tapis rouge. Une suprématie à peine perturbée par Kylie Minogue, autre icône, un rien plus gay, elle aussi fan du duo.Pour faire bonne mesure, et s'affirmer résolument présente sur le marché masculin, la marque capitalise également depuis plusieurs années sur le football en habillant équipes nationales et locales, allant jusqu'à consacrer un ouvrage au joueur de légende, Lionel Messi (photo), sans parler des projections sur grand écran des matchs lors des grandes compétitions pour leur staff et leurs amis...

Par Gilles Denis

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