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Rentrée scolaire : la laïcité à marche forcée

Plusieurs réformes de la première rentrée post- « Charlie  » visent à replacer l’école « au cœur de la République  ».

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Publié le 29 août 2015 à 14h35, modifié le 31 août 2015 à 14h20

Temps de Lecture 5 min.

Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation, et Olivier Falorni, député de la Charente-Maritimes, dans un collège à La Rochelle, le 28 août.

Après deux rentrées des classes marquées par le changement des rythmes scolaires, celle qui s’annonce mardi 1er septembre – la troisième préparée par la gauche – est résolument placée sous le signe de deux notions intimement liées : citoyenneté et laïcité. Au risque de hérisser, par un excès de zèle, une partie du corps enseignant et de la société.

L’école de la République avait été pointée du doigt au lendemain des attentats de janvier, l’éducation nationale mise en cause lorsque ont retenti des « Je ne suis pas Charlie » dans quelque 200 collèges et lycées. Huit mois ont passé, et c’est en classe, du CP à la terminale, que la Rue de Grenelle avance sa réponse. Ou plutôt ses réponses : nouvel enseignement moral et civique, « réserve citoyenne », prévention de la radicalisation, « commémorations patriotiques », journée de la laïcité… Une bonne partie des mesures déclinées par Najat Vallaud-Belkacem lors de sa conférence de presse de rentrée, le 24 août, entendent replacer l’école « au cœur de la République ». Toutes sont d’ailleurs issues de la « grande mobilisation de l’école pour la défense des valeurs républicaines » engagée par François Hollande, le 21 janvier.

Dans le périmètre immédiat de l’école aussi, la référence à la laïcité est forte. Sur les temps périscolaires, des ateliers voient le jour, à Paris par exemple, pour sensibiliser les enfants au vivre-ensemble. L’enseignement supérieur n’est pas en reste avec la réédition, le 17 septembre, du guide Laïcité et enseignement supérieur publié en 2004, année de la loi interdisant le voile à l’école.

Un thème de rentrée omniprésent… au risque de l’être trop ? Il faut dire que le paysage scolaire n’est pas bouleversé outre mesure par d’autres nouveautés. La réforme des zones d’éducation prioritaires (ZEP) est certes généralisée, mais c’est en 2014 qu’elle a fait débat, lorsqu’il a fallu sélectionner le millier de réseaux à labelliser. Quant au collège et à ses nouveaux programmes attendus pour 2016, c’est courant septembre – voire en octobre – que l’on saura si la mobilisation des opposants reprend.

« Excès de zèle »

Sur le terrain, enseignants et chefs d’établissement saluent volontiers « le principe » de cette rentrée placée sous le sceau de la citoyenneté, même si les « effets d’annonce » les hérissent un peu. « Attention à la surenchère d’initiatives, alerte Hubert Tison, de l’Association des professeurs d’histoire-géographie. Parmi les élèves, et même parmi les enseignants, tout le monde n’a pas le doigt sur la couture du pantalon. Les excès de zèle en matière de laïcité, sur les commémorations patriotiques, on sait très bien les querelles que cela soulève… L’essentiel, c’est de laisser une marge d’autonomie aux enseignants, demande-t-il. Une bonne équipe réussit toujours à mobiliser sa classe. »

Du côté des principaux de collège, même accueil prudent. « C’est encore une chance qu’après ce qui s’est passé en janvier, on n’ait pas tout oublié, témoigne Philippe Tournier, porte-parole du syndicat SNPDEN-UNSA. Mais l’Etat reste ambigu sur la laïcité : il agite les grands principes tout en nous enjoignant, sur le terrain, de faire preuve de “discernement” face aux difficultés. » « Or il est illusoire de penser qu’un consensus existe dans ce domaine, conclut ce principal d’un établissement parisien, ou de croire ou que les polémiques peuvent être évitées. »

Celles-ci ont déjà refait surface sur les réseaux sociaux. En cause : la signature désormais obligatoire de la Charte de la laïcité par les familles, document de 15 articles qui n’avait plus vraiment fait débat depuis son affichage, il y a deux ans, dans toutes les écoles et les établissements publics. Sa présentation, à la rentrée 2013, avait été saluée par la majorité du corps enseignant, tout en étant jugée discriminante par certains – dont des institutions religieuses comme le Conseil français du culte musulman.

« Si quelqu’un refuse de signer, on fait quoi ? On engage des poursuites ? », demandent des enseignants sur la Toile. « C’est tellement marrant de lire ici et là qu’on veut “promouvoir les valeurs de la République” à l’école. C’est comme vivre en Théorie », commente sur Twitter Sihame Assbague, porte-parole du collectif Stop le contrôle au faciès, qui raille ainsi « la rentrée archi-Charlie ».

« Laïcité à deux vitesses »

« Que cette charte ne s’applique pas aux deux millions d’élèves de l’enseignement privé, n’est-ce pas la preuve d’une laïcité à deux vitesses ? », interroge Béatrice Mabilon-Bonfils. Pour cette sociologue, auteure de La Laïcité au risque de l’Autre (éd. de l’Aube, 2014), les injonctions qui pleuvent sur la communauté éducative depuis janvier vont dans un bien mauvais sens. « Ce discours moralisateur surplombant l’élève, les familles, et qui semble tomber d’en haut alors qu’eux-mêmes expérimentent au quotidien un système éducatif inégalitaire, cela ne peut pas parler aux jeunes, observe la professeure à l’université de Cergy-Pontoise. On leur vante la fabrique du “commun” et, dans la pratique, les écarts de réussite se perpétuent à tous les niveaux du système éducatif ! »

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La loi de refondation de l’école (juillet 2013) a pourtant inscrit noir sur blanc la réduction des inégalités comme une priorité, mais celle-ci n’est guère visible pour les observateurs de l’école, même après trois rentrées préparées par la gauche. Ce qu’ils observent en revanche aujourd’hui, c’est le coup d’accélérateur mis sur le « volet citoyenneté ». Une « précipitation » dénoncée par le SNES-FSU, majoritaire dans le secondaire, qui voit dans le nouvel enseignement moral et civique un « bricolage aberrant ». Or ces critiques rencontrent d’autant plus d’échos que le volet formation promis par le gouvernement a, lui, pris du retard.

« Sur la laïcité, il y a bien une accélération, mais on est dans l’exacte filiation du projet porté dès 2012 par Vincent Peillon, tempère l’historien Claude Lelièvre. Il ne faut pas se tromper de laïcité. On vise là une laïcité de conscience, de conviction, et pas de réglementation ou de prescription. Dans la lignée de Jules Ferry pour qui la tâche première de l’école républicaine, avant même le lire-écrire-compter, était de faire des petits républicains. »

Pas d’impréparation non plus aux yeux de Jean Baubérot, auteur de La Laïcité falsifiée (éd. La Découverte, 2014), qui dit partager cette conception de la laïcité « comme liberté de penser et de croire ». Mais « il faut que l’institution soit prête à impliquer les parents, à entendre leurs doutes et leurs questions, et à absolument les prendre en compte, prévient-il. S’il n’y a pas ce mouvement dialectique entre la rue de Grenelle et les familles, entre l’éducation nationale et les jeunes qu’elle encadre, le risque de réveiller les crispations existe. »

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