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Assassinat

Kiev : un ex-député russe abattu en plein jour

Denis Voronenkov, réfugié en Ukraine et recherché dans son pays pour «escroquerie», a été assassiné jeudi en plein centre de la capitale. Les autorités y voyent la main du Kremlin.
par Veronika Dorman
publié le 23 mars 2017 à 18h10

Jeudi, 11h25, centre de Kiev. L'ex-député russe Denis Voronenkov se fait abattre devant un hôtel cinq étoiles, alors qu'il en sortait accompagné de son garde du corps. Ce dernier, blessé, tire sur l'assaillant, qu'il touche grièvement. Le corps inerte de Voronenkov restera longtemps étendu sur le trottoir. Le tireur a été transporté à l'hôpital, où il est décédé en milieu d'après-midi.

Le transfuge Denis Voronenkov, 45 ans, défraye les chroniques des deux pays depuis qu'il a troqué les rives de la Moskova pour celles du Dniepr. Député au sein du Parti communiste russe entre 2011 et 2016, il a fui Moscou, avec son épouse, la chanteuse d'opéra Maria Maksakova, députée du parti Russie unie, au lendemain des législatives de l'automne 2016, après avoir perdu son fauteuil à la Douma. Installé à Kiev, le couple a obtenu la nationalité ukrainienne, en renonçant à la russe.

Dès sa défection, l'ex-parlementaire a commencé à collaborer avec les autorités ukrainiennes. «J'ai témoigné dans l'affaire de haute trahison de Ianoukovitch [l'ancien président ukrainien, chassé en 2014, ndlr], a claironné Voronenkov dans les médias ukrainiens. Ianoukovitch est une marionnette. Il a signé son abdication, et sa requête de faire entrer l'armée russe [en Ukraine] était illégale.» A partir des déclarations de Voronenkov, et de celles d'un autre député russe en disgrâce avec un permis de séjour ukrainien, Ilya Ponomarev, le procureur général d'Ukraine a conclu que le Kremlin avait mis en œuvre une intervention armée dès le mois de décembre 2013, durant les premières semaines de la contestation – encore pacifique – sur le Maïdan, la place de l'Indépendance à Kiev. Voronenkov était donc un précieux témoin «de l'agression contre l'Ukraine et du rôle de Viktor Ianoukovitch dans l'entrée des troupes russes en Ukraine».

Plus pro-Kremlin que le Kremlin

Avant son envol, Voronenkov n'était pas connu pour son indépendance politique ou son amour de l'Ukraine. Au contraire, lui et son épouse étaient plus pro-Kremlin que le Kremlin. Comme tout le monde, ils ont voté pour l'annexion de la Crimée en 2014. Voronenkov a cosigné une loi pénalisant les appels au séparatisme. Passé de l'autre côté des barricades, le citoyen ukrainien fraîchement émoulu a expliqué qu'on avait, sans procuration, appuyé sur le bouton à sa place. Et de comparer allègrement son ancienne patrie à l'Allemagne nazie. «Tout un état est devenu fou, dans un accès de délire pseudo-patriotique», a-t-il déclaré dans un entretien à Censor.net.

Voronenkov s'était surtout fait remarquer par un mariage tapageur «interpartis», en épousant Maksakova en 2015. Sinon, son nom était associé, ces dernières années, à des affaires de corruption. En 2014, il a fait l'objet d'une enquête pour appropriation illégale d'un immeuble dans le centre de Moscou. En 2015, le Fonds de lutte contre la corruption d'Alexei Navalny a souligné qu'un salaire de député ne pouvait pas être suffisant pour l'achat de cinq appartements d'élite, cinq voitures de luxe et une résidence secondaire.

Casseroles

Dans une enquête publiée par le journal indépendant Novaya Gazeta, les anciens collaborateurs et connaissances de l'ex-député transfuge, juriste de formation, qui fut aussi un agent du Service fédéral du contrôle des drogues, s'accordent pour souligner le caractère versatile et mythomane du personnage. Malgré toutes ses casseroles, il est parvenu, ces dix dernières années, à échapper à la justice, grâce à ses contacts dans les services de sécurité. Mais les avis concordent : s'il a fui la Russie, c'est pour ne pas se retrouver sur le banc des accusés, une fois privé de son immunité parlementaire. Mi-février, le Comité d'enquête russe a lancé contre lui un mandat d'arrêt fédéral, un avis de recherche Interpol, tandis qu'un tribunal moscovite a prononcé une arrestation par contumace.

Voronenkov, lui, a justifié son exil par la nécessité de fuir le FSB (services secrets russes), qui aurait «commandité» les enquêtes criminelles contre lui. Quant à ses déclarations publiques contre la Russie, c'est une manière de se protéger. «J'avais des craintes sérieuses qu'on allait me jeter dans un coffre de voiture et me rapatrier en Russie, et je n'aurais jamais pu justifier qu'il s'est agi d'un enlèvement», a-t-il expliqué quelques jours avant sa mort au média ukrainien Gordonua. Selon Ilya Ponomarev, qui avait justement rendez-vous avec Voronenkov au moment du meurtre, ce dernier craignait pour sa vie. «[Les autorités ukrainiennes] lui avaient affecté une protection rapprochée, car on craignait des tentatives d'assassinat par les services secrets russes», a confié Ponomarev sur la chaîne Dojd. Voronenkov était attendu ce jeudi après-midi au parquet militaire pour faire une déposition dans l'affaire Ianoukovitch.

«Acte de terrorisme d’Etat»

«L'assassinat perfide dans le centre de Kiev de Denis Voronenkov est un acte de terrorisme d'Etat de la part de la Russie, qu'il a dû fuir pour des raisons politiques», s'est empressé de déclarer le président ukrainien Petro Porochenko. Le parquet général ukrainien envisage deux hypothèses : élimination d'un témoin dans l'affaire de l'ancien président ukrainien Viktor Ianoukovitch, et élimination d'un témoin dans une affaire de contrebande par le FSB. Dans les deux cas, la participation de la Russie est indiscutable, selon la police. «Elucubrations», a répondu le Kremlin, en accusant l'Ukraine d'avoir été incapable de protéger l'ex-député.

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