Alors que le bilan « provisoire » est passé à vingt morts, lundi 5 octobre, après le déluge et les coulées de boue qui ont frappé le littoral en la Côte d’Azur ce week-end, la catastrophe repose la question des constructions en zone inondable et des prévisions de Météo France.
1. Pourquoi construit-on en zone inondable ?
La protection des zones inondables a longtemps souffert de la pression immobilière. Depuis 1995, il existe des plans de prévention des risques d’inondation (PPR) qui distinguent trois types de zones :
- Rouge : risque élevé, pas de constructions possibles même par dérogation ;
- Bleue : risque moyen, constructions possibles selon certaines conditions ;
- Blanche : risque inexistant.
En effet, dans une zone bleue, si on ne peut placer un camping, un hôpital ou une école, il n’est pas interdit de construire des logements, à condition d’informer les acquéreurs des risques encourus et de respecter certaines normes.
Quant à la zone rouge, si elle empêche toute nouvelle construction, celles qui datent d’avant 1995 ne sont pas rasées pour autant, et continuent d’être habitées. Elles peuvent également être étendues (garage, piscine, abri…)
Ces zones sont définies en fonction de la crue la plus importante constatée historiquement dans la zone. Or, les inondations de ce week-end ont dépassé ce record historique. En outre, dans un département très urbanisé, la carte se superpose avec énormément de bâti existant, on peut le voir sur la carte ci-dessous des zones de risque à Mandelieu, commune durement frappée ce week-end.
Si les plans de prévention des risques d’inondation existent, ils ne suffisent pas à décourager la construction en zone à risque, notamment du fait des prix de l’immobilier, qui rendent difficile de « sanctuariser » une zone convoitée. Surtout, ces plans n’empêchent aucunement l’inondation de bâtiments déjà construits sur des zones à risque.
Le bassin Nice-Cannes-Mandelieu est d’ailleurs clairement identifié comme une zone « TRI » (territoire à risque important d’inondation), caractérisé par la présence importante de bâti en zones inondables.
Autre point : cette hyper-urbanisation, en détruisant les surfaces agricoles, rend d’autant plus difficile l’absorption de l’eau par les sols. En cas de crue, l’eau circulera bien plus aisément sur un sol bétonné ou goudronné que dans un champ où elle sera retenue.
2. Pourquoi les bâtiments situés dans ces zones ne sont-ils pas construits en conséquence, sans sous-sol ?
Là encore, il faut comprendre qu’un classement en zone inondable n’aboutit pas à la destruction des bâtiments existant sur la zone pour les remplacer par de nouveaux.
Il est possible, même en zone rouge, de rénover une surface existante, ou de modifier la destination d’un bâtiment. De fait, sur la zone concernée, les « zones rouges » correspondent pour certaines à des endroits situés en plein centre-ville et déjà fortement construits.
Si on peut interdire la construction de nouveaux bâtiments, il est par essence très difficile à une collectivité locale d’obliger les propriétaires de logements situés en zones rouges d’effectuer des travaux coûteux de mise aux normes de sécurité.
3. Pourquoi les pouvoirs publics ne sont-ils pas plus fermes ?
Les élus locaux, responsables de la prévention des risques, ont souvent le plus grand mal à freiner des mouvements d’urbanisation qui les dépassent. Ainsi, dans les Alpes Maritimes, 95 % de la population est regroupée dans des zones côtières très densément peuplées. De manière générale, sur le littoral de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, on compte plus de 700 habitants au km², et des prix au mètre carré supérieurs à 5 000, voire 7 000 euros.
La demande immobilière est donc au plus haut, et il est des plus difficile pour un élu d’empêcher promoteurs comme particuliers de chercher à récupérer des terrains, même en zone inondable. En outre, les élus, qui sont pour partie décisionnaires dans l’établissement des zones à risque, font l’objet de multiples pressions.
A cet égard, la question des compétences de chacun joue aussi : face à un maire et à une communauté de communes qui préférera parfois afficher des constructions nouvelles, quitte à les placer en zones à risques, il n’est pas toujours évident d’imposer la volonté de l’Etat. Comme le notait un rapport l’an dernier :
« Les élus les plus investis dans cette responsabilité [de protection civile] témoignent des difficultés qui sont les leurs à faire partager la culture du risque par leurs collègues et les populations concernées. Ils restent d’ailleurs minoritaires, et de trop nombreuses collectivités négligent l’information préventive, allant parfois jusqu’à un déni du risque ».
Immobilier, intérêts électoraux... Dans bien des cas, les mairies ne sont pas incitées à faire preuve de zèle sur les risques climatiques. Si on regarde l’état de la prévention des risques en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, on constate que les plans de prévention inondation sont d’ailleurs dans bien des cas « en cours » ou non terminés.
4. Pourquoi des campings s’installent-ils toujours aussi dangereusement près des rivières ?
Un camping s’installera près d’une rivière pour deux raisons : d’une part pour le cadre offert, ensuite pour le prix du terrain, souvent moindre. Depuis une série de catastrophes naturelles, cependant, les nouvelles installations sont bien plus réglementées. Le problème vient généralement des installations anciennes.
Encore une fois, il faut distinguer les campings déjà installés de ceux qui souhaiteraient s’installer dans le futur dans une zone à risque. En 2011, à la suite des dégâts de la tempête Xynthia, l’Etat a lancé un « plan submersion rapide » destiné à identifier, sur tout le territoire, les zones risquant, en cas de crue, de présenter un danger immédiat.
Mais ce plan à pris du retard, au point que les ministres de l’écologie et de l’intérieur, Ségolène Royal et Bernard Cazeneuve, ont soumis une instruction aux préfets, fin 2014, afin de rappeler la réglementation, notamment en matière de campings. L’instruction demandait ainsi de finir le recensement de ces lieux, toujours en cours.
Elle insistait également sur la nécessaire fermeté que les préfets devaient avoir face aux maires, parfois enclins à préserver un camping déjà installé et vecteur d’emploi et de tourisme plutôt que d’imposer sa fermeture. Malheureusement ces conclusions n’auront pas suffi.
5. Les municipalités ont-elles des obligations particulières selon le niveau d’alerte météo ?
En cas d’alerte météo, la préfecture prévient les maires des zones concernées, en les prévenant de l’intensité de l’épisode, de ses conséquences et de l’attitude à adopter. C’est ensuite aux mairies de relayer l’information auprès des citoyens, et évidemment en priorité les plus concernés, par tous les moyens possibles.
Le maire a ensuite la responsabilité d’assurer l’exécution par ses services de toutes les mesures adéquates pour protéger les populations : diffusion de consignes de sécurité, évacuation de personnes dans des zones à risque, accueil et relogement des sinistrés, renseignement auprès des familles… évidemment, selon les moyens de la commune. Celle-ci peut, à tout moment, demander à la préfecture de fournir des moyens et une aide supplémentaire.
Si le maire a fait tout ce qui était en son pouvoir, et peut le prouver, sa responsabilité ne peut être engagée. A défaut, il est possible pour des sinistrés d’attaquer la commune en jugeant qu’elle n’a pas fait ce qu’il fallait.
6. Quel est le degré d’erreur que se fixe Météo France et est-il respecté ?
Météo France émet depuis 2005 une carte de vigilance biquotidienne montrant, département par département, les risques encourus. Cette carte est construite en couleurs matérialisant le niveau de menace, qui va du vert au jaune, puis à l’orange et enfin au rouge.
Seules les deux dernières couleurs déclenchent des actions spécifiques : la préfecture doit alerter toutes les communes concernées, et Météo France émet alors des bulletins spécifiques sur l’alerte.
Néanmoins, Météo France ne peut, pas plus qu’aucun autre service de météo, connaître à l’avance le détail de l’événement climatique. En clair, on peut prévoir de fortes pluies, mais pas dire à l’avance combien de centimètres d’eau vont tomber. C’est aux préfectures et aux communes qu’il appartient d’évaluer la situation et de prendre les mesures adéquates.
L’un des éléments clés de cette catastrophe réside dans le fait qu’elle a battu les records précédents, notamment en matière d’intensité de précipitations. Or les modèles météorologiques se basent sur ces records pour évaluer le danger.
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