A la fin du mois de juillet, Qassem Soleimani, patron de la force Al-Qods, la force d’élite extérieure des gardiens de la révolution iraniens, a été signalé à Moscou. Le département d’Etat américain avait alors protesté auprès de la Russie, qui n’avait pas annoncé ce voyage en dépit des sanctions votées au Conseil de sécurité des Nations unies contre des responsables du programme nucléaire iranien, dont M. Soleimani. Selon la chaîne Fox News, le principal dirigeant militaire iranien en Syrie et en Irak avait rencontré Vladimir Poutine, le président de la Russie, et Sergueï Choïgou, son ministre de la défense. Le Kremlin avait démenti, selon l’agence RIA, toute rencontre avec M. Poutine. Des médias iraniens avaient rapporté que M. Soleimani avait évoqué des enjeux régionaux et la vente d’armes avec des officiels russes.
Selon l’agence Reuters, qui cite des sources dans la région, la visite de M. Soleimani avait été la première étape de la planification d’une hausse importante de l’implication russe dans la guerre syrienne, qui se déroule depuis le mois de septembre. Elle aurait marqué la naissance d’une nouvelle alliance russo-iranienne en soutien à Bachar Al-Assad, le président de la Syrie.
La Russie a mené ses premières frappes aériennes en Syrie mercredi dernier à partir d’une base aérienne à Lattaquié, tandis qu’une offensive au sol des forces progouvernementales syriennes et de leurs alliés iraniens et du Hezbollah libanais est semble-t-il en préparation.
Le général Soleimani est arrivé à Moscou alors que la situation se détériorait en Syrie : l’armée syrienne et les milices alliées que dirige M. Soleimani étaient en recul sur presque tous les fronts. Lattaquié, le bastion du régime sur la côte méditerranéenne, fief de la minorité alaouite à laquelle appartient la famille Al-Assad, était particulièrement menacé. C’est aussi le secteur où se trouve Tartous, la seule base navale russe en Méditerranée. « Soleimani a mis la carte de la Syrie sur la table. Les Russes étaient très inquiets et ont eu le sentiment que les choses étaient en net déclin et qu’il y avait un réel danger pour le régime. Les Iraniens leur ont affirmé qu’il était encore possible de reprendre l’initiative », raconte un haut responsable régional à Reuters.
« D’accord, nous interviendrons »
Selon trois hauts responsables dans la région, le voyage de Soleimani en juillet a été précédé par des contacts à haut niveau entre Russes et Iraniens. La planification de l’intervention aurait été dans l’air depuis plusieurs mois. Cela voudrait dire que pendant que les Occidentaux notaient ce qui leur semblait être une nouvelle souplesse de Moscou sur l’avenir du président de la Syrie, Téhéran et Moscou discutaient de la manière de renforcer Bachar Al-Assad.
La décision d’un effort russo-iranien conjoint en Syrie aurait été prise lors d’une réunion entre Sergueï Lavrov, le ministre des affaires étrangères de la Russie, et Ali Khamenei, le Guide suprême de la République silamique, il y a quelques mois, explique un haut responsable d’un pays de la région versé dans les questions de sécurité. « Soleimani, chargé par Khamenei de diriger la partie iranienne de l’opération, s’est rendu à Moscou pour discuter des modalités », a dit ce responsable.
L’ayatollah Khamenei a également envoyé un émissaire spécial à Moscou pour y rencontrer le président Poutine, a déclaré un autre responsable régional. « Poutine lui a dit : “D’accord, nous interviendrons. Envoyez Qassem Soleimani.” Il y est allé pour expliquer la carte du théâtre. »
L’intervention militaire en Syrie est décrite dans un accord entre Moscou et Téhéran selon lequel les frappes aériennes russes viendront en soutien aux opérations au sol par les forces iraniennes, syriennes et du Hezbollah libanais, explique un des responsables régionaux interrogés. L’accord prévoit aussi la fourniture d’armes russes plus sophistiquées à l’armée syrienne et l’établissement de salles d’opérations conjointes, qui regrouperaient ces alliés ainsi que les représentants du gouvernement irakien, qui est allié à la fois à l’Iran et aux Etats-Unis. Une des salles d’opérations est à Damas et l’autre à Bagdad.
L’Etat islamique épargné
Depuis le début de son intervention, la Russie, qui affirme lutter contre l’Etat islamique, a essentiellement frappé d’autres groupes rebelles, notamment l’Armée de la conquête, formée principalement par les troupes du Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida, et du groupe djihadiste Ahrar Al-Cham, ainsi que par des groupes affiliés à l’Armée syrienne libre. Ces groupes ont accumulé d’importantes victoires contre l’armée syrienne depuis le printemps dans les provinces de Hama et d’Idlib, s’approchant à moins de 30 kilomètres de la région de Lattaquié, qu’ils menacent directement.
La Turquie, soutien des rebelles à sa frontière sud, toute proche de Lattaquié, préparait par ailleurs avant l’intervention russe l’établissement d’une zone de repli pour les rebelles dans le nord de la Syrie, où des groupes alliés (dont possiblement Ahrar Al-Cham, selon les vœux d’Ankara) auraient pu se renforcer à l’abri des bombardements de l’aviation syrienne.
Le Monde.fr avec Reuters
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